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Le TGV Lyon-Turin, un projet qui fait débat
Le gouvernement italien a commandé un rapport sur le projet de train à grande vitesse reliant Lyon à Turin. Publiée ce mardi, son résultat est très négatif. Retour sur un projet qui nourrit les polémiques depuis près de 20 ans.
Le projet de TAV (pour Treno ad Alta Velocità, Train à Grande Vitesse en français) entre Lyon et Turin ne serait pas rentable. C’est en tout cas ce qu’annonce l’étude de rentabilité publiée ce mardi 12 février. Les coûts seraient en effet supérieur de plus de 7 milliards d’euros aux bénéfices engrangés par la construction du tunnel transalpin.
Considéré comme “un trou inutile dans une montagne” par le ministre italien des transports, Danilo Toninelli, ce tunnel est sujet de discorde au sein du gouvernement italien, constitué par une coalition entre deux partis populistes : La Ligue du Nord, et le mouvement 5 Étoiles.
Le vice-premier ministre Matteo Salvini, qui représente la Ligue, est très favorable au projet. Pour lui, « le Lyon-Turin doit absolument se faire”.
De son côté, le Mouvement Cinq Étoiles, représenté par Luigi Di Maio, le ministre du développement économique, du travail et des politiques sociales, y est fermement opposé. Pendant la campagne électorale, les représentants du mouvement avaient promis de “tout faire pour arrêter ce projet inutile”.
Alors, pourquoi divise-t-il autant, des deux côtés de la frontière ?
Déjà 8,6 milliards dépensés
Le point central du projet est un tunnel de 57 kms, construit communémment entre l’Italie et la France. Cette infrastructure, au coût élevé, est issu d’une coopération européenne, ce qui signifie qu’il est subventionné, et donc financé par l’Union Européenne, à hauteur de 40%. « Les études annonçaient 10 milliards d’euros quand le projet a été présenté en 2009, aujourd’hui on est à 8,6 milliards », rappelle Daniel Ibanez, économiste des procédures collectives, au sujet du coût du tunnel transfrontalier.
L’Italie s’acquitte ensuite de 35%, et la France des 25% restants. Pourquoi ce déséquilibre ?
Car à côté de ce tunnel principal, l’Italie s’est engagée sur son territoire, de créer un tunnel de 19,5 kms à sa charge. Alors que la France doit creuser dans ses terres et à sa charge sur 33 kms.

Source : La Transalpine
Mais cela ne s’arrête pas là. En tenant compte de ta totalité des opérations à effectuer, de la partie française à la partie italienne, les estimations sur le coût total oscillent entre 20 et 26 milliards d’euros.
D’autre part, les analyses sur l’exploitation du tunnel sont pessimistes sur de potentiels bénéfices. Pire, les pertes seraient colossales. Une perte de 7 milliards d’euros jusqu’en 2059, selon le rapport commandé par le gouvernement italien.
« L’analyse socio-économique n’est pas favorable, tout le monde le sait depuis plus de 20 ans. Ce n’est pas une surprise ce qui se passe”, conclut Daniel Ibanez.
Le TAV, une partie d’un projet colossal de réseau de Lisbonne à Kiev
La construction du tunnel Lyon-Turin ne représente en fait qu’une infime partie d’un réseau de transport plus global censé rapprocher les capitales européennes entre elles, et permettre de s’y rendre plus rapidement.

Le but initial du TAV est de relier plus rapidement Paris à Milan, pour les hommes, comme pour les marchandises. Grâce à la construction du tunnel, on pourrait théoriquement relier Lyon et Turin en 2H. Le moyen le plus rapide étant aujourd’hui la voiture, en 3h et 40 minutes. Mais l’accident du tunnel du Mont-Blanc en 1999, et le scepticisme des politiques a conduit à réorienter le projet principalement vers le fret ferroviaire (transport de marchandises).
Les travaux ont déjà commencé
Les premiers ouvriers et engins de chantiers s’activent en 2002, pour des travaux préparatoires au niveau du tunnel transfrontalier. On commence à mettre en place ce qu’on appelle des descenderies : un accès de surface aux travaux souterrains. L’étape suivante début en juillet 2016, avec des galeries de reconnaissances sur 8 km et 11 m de diamètre. « En 2 ans, 8 km de galeries de reconnaissances ont été creusées, sachant qu’en tout, il y a 114 km à creuser », explique Daniel Ibanez, économiste des procédures collectives et principal opposant au projet.
Mais les travaux, pas encore validés juridiquement à cause des difficultés de financements, avancent malgré le flou politique. La galerie de reconnaissance côté italien achevé, celle côté français avance, au niveau de Saint-Martin-La-Porte, elle doit atteindre 9 kms. Surtout, 2019 marque le début d’une première phase de travaux sur deux ans, notamment à la gare Saint-Jean-de-Maurienne. Le gros du chantier est prévu pour 2022, son échéance, pour 2029-2030.
En réalité
Que cachent ces promesses ? D’abord l’incohérence de certains calculs du promoteur. Notamment sur l’argument écologique. Ce projet ferait décroître le trafic routier au profit du ferroviaire, plus respectueux de l’environnement. « Le promoteur annonce qu’1 million de camions vont être retirés, pour réduire de 3 millions de tonnes les émissions de CO2 par an. Mais il annonce aussi que 80 millions de tonnes de CO2 sur 70 ans seront économisées, ce qui est en réalité égal à environ 1,2 M de tonnes et non 3 millions. Il y a aussi un problème de méthodologie dans les calculs, les gains annoncés sont largement surévalués. D’autre part, le tunnel ne permet de sortir que 340 000 poids lourds de la route. Cette histoire c’est de la communication », résume Daniel Ibanez.
Ce tunnel de 57 km permettrait, là-aussi en théorie, de désengorger le trafic routier entre la France et l’Italie, où 1,8 million de poids lourds ont circulé en 2018, par le tunnel du Fréjus. L’un des enjeux est donc environnemental, puisque le train est un moyen de transport écologique, qui permettrait de transporter les mêmes quantités de marchandises, si ce n’est plus.
Mais celui qui se qualifie de “proposant” et non d’opposant au projet révèle aussi que l’on pourrait désengorger les routes alpines sans cette infrastructure très onéreuse : « Dès 1998, le rapport du Conseil général des ponts et chaussées l’écrivait. La ligne existante permet de faire passer 75 trains de fret par sens et par jour, or il en passe 10 aujourd’hui, il y a un peu de marge… Sans utiliser la capacité totale de la ligne, on peut sortir environ 980 00 camions. Pas besoin de claquer 26 milliards pour sortir 1 million de camions ”, affirme-t-il. Il suffirait d’utiliser les infrastructures existantes. Ces raisons ont conduit Les Amis de la terre à saisir le Conseil d’État “pour l’annulation du décret prorogeant les effets de la déclaration d’utilité publique du tunnel.”
De nombreux opposants
D’abord du côté italien, Luigi Di Maio et le Mouvement Cinq Étoiles marquent leur opposition à la construction du tunnel. Alors que le leader de Ligue du nord, Matteo Salvini, affiche son soutien au projet. La discorde ne s’arrête au sein du gouvernement et se prolonge dans une partie de l’opinion publique, en témoignent les manifestations “No TAV” pour “pas de tgv” qui regroupent des milliers d’activistes chaque année. En France, le “No TAV Savoie” pour la version française, s’oppose aussi au tunnel transalpin. Le gouvernement français, illustré par la visite de la ministre des transports Elisabeth Borne sur le chantier le 1er février dernier, veut trouver une solution politique.
Arno Tarrini
Guillaume Laclotre