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[Le Phoenix] « Et tout le monde s’en fout », l’interview exclusive

L’équipe du Phoenix a rencontré Axel Lattuada, réalisateur et acteur pour la websérie « Et tout le monde s’en fout » au Festival Play Azur 2019 à Nice. Dans son interview, il revient sur le processus de création de la série et du combat de ses créateurs autour de questions sociétales.
Peut-être avez-vous déjà vu sur Youtube ce jeune homme encapuchonné au ton volontairement condescendant et à l’humour incisif ! Secondé par la pétillante Zoé (Solveig Anrep), Axel Lattuada (alias Lexa) parle de tout face caméra. Des femmes, au sable, à l’éducation sexuelle, en passant par l’estime de soi, ce duo atypique aborde toutes les thématiques sociétales sans tabou ni complaisance, mais toujours avec humour. Leur but ? Eveiller les consciences et parler de toutes les thématiques sociales et sociétales dans un format court et humoristique. L’équipe du Phoenix a eu la chance de rencontrer Axel Lattuada, co-créateur de la série avec Fabrice de Boni, et de découvrir l’impact sociétal de leurs vidéos.
Q : L’émission « Et tout le monde s’en fout » a démarré en 2017, et on a pu remarquer qu’elle a connu un très gros succès assez rapidement. Pourtant, ce qui la caractérise, c’est ce ton volontairement condescendant, qui fait beaucoup rire, mais n’était-ce pas un pari risqué au début ?
R : « Effectivement, l’émission est née il y a presque deux ans jour pour jour. Et oui, c’était un pari totalement risqué. Ce qu’il s’est passé avec « Et tout le monde s’en fout », c’est qu’on a fait ça un dimanche, parce qu’on s’ennuyait avec mon pote Fabrice [de Boni], et on a décidé de faire un truc qui nous faisait plaisir à nous, sans chercher à savoir ce qui marchait ou ne marchait pas. On n’est pas des consommateurs de Youtube, nous, à la base ; moi j’avais fait une autre petite série avant mais qui n’avait pas trop marché. On n’a donc vraiment pas cherché à faire en sorte que ça marche. Sachant qu’on allait le mettre aux yeux de publics, forcément, on se disait « on verra bien » mais en tout cas, on ne pensait pas du tout que ça ferait un foin pareil. On a donc construit ce personnage en se disant tout simplement : « Ok, on veut traiter quelques sujets qu’on avait envie de traiter et qui nous tiennent à cœur », par exemple sur les femmes, notre première vidéo. A la base, j’avais juste dit à Fabrice : « Tu ne veux pas qu’on se filme dans ton canapé en train de discuter des sujets qu’on traite tous les jours, on poste ça sur Youtube et on appelle ça « Et tout le monde s’en fout » ? » C’était vraiment histoire de faire un truc, parce qu’on est réalisateurs tous les deux et on n’avait plus de projet. Il m’a répondu « Non, je n’ai pas du tout envie d’être filmé, mais toi si tu veux je te filme toi ! » Je lui ai dit : « Ok, mais on ne fait pas le Youtubeur dans sa chambre, on ne fait pas « Axel qui parle de ça », on créé un personnage. » On vient de la fiction : on a fait ce qu’on savait faire encore une fois. On s’est mis dans sa cave parce qu’on ne voulait pas faire chier ses colocs, c’était la contrainte de base. Mais du coup, on s’est demandé « qu’est-ce qu’un mec foutrait dans une cave ? »
Nous, au quotidien, ce qui nous fait marrer, c’est ce ton condescendant, qu’on utilise entre nous pour rigoler. Jamais on n’oserait faire ça avec les gens. On s’est demandé « qu’est-ce qui nous fait rire ? » et ce qui nous fait rire, on le met dans le personnage. On lui a donc insufflé tous les traits de caractère et toutes les manières de communiquer que nous, on ne s’autorise pas. On est donc partis d’un principe de psychologie qui s’appelle l’ombre, qui a été étudié par Jung, qui explique en gros que lorsque tu es face à un comportement que tu ne t’autorises pas, soit ça t’énerve, soit ça te fascine. Jung explique que pour être heureux il faut réintégrer son ombre, et arrêter d’être en réaction, c’est ce qu’on explique dans la vidéo sur La Salope. C’est l’un des principes les plus fondamentaux à comprendre, pour moi, c’est-à-dire, savoir qui on est. On s’est donc basés sur ce principe de l’ombre pour créer ce personnage qui s’autorise tout ce qu’on ne s’autorise pas dans la vie : être professoral, être condescendant, parler la bouche pleine, hurler sur les gens en disant qu’il faut être bienveillant etc. On a construit ce personnage comme ça. Donc oui, c’était destiné à être comme ça dès le début, on a vu que ça marchait, donc on en a rajouté des couches. »
Q : Comment se passe la sélection de vos thématiques ? Vous avez fait des vidéos vraiment très différentes les unes des autres. On retrouve quand même les problématiques sociétales actuelles, certaines assez atypiques, comme la vidéo sur Le Sable, notamment.
R : « Tout est cohérent. Tous les épisodes de « Et tout le monde s’en fout » traitent de la même chose : la dissonance cognitive. C’est un terme de psychologie sociale, qui désigne les œillères qu’on se met dans le monde pour ne pas avoir l’impression d’être quelqu’un de mauvais quand on tire la chasse d’eau en sachant que c’est de l’eau potable qu’il y a dedans. Tous les sujets de « Et tout le monde s’en fout » traitent donc de la dissonance cognitive. Très naturellement, est venu ce diptyque entre un épisode qui va parler de se changer soi (L’Estime de Soi, Le Désir Sexuel…), c’est-à-dire tout ce qui est à l’échelle de l’individu, et l’épisode de la semaine suivante traite d’un sujet plus sociétal à l’échelle de l’Humain avec un « H » majuscule. Mais tous les épisodes finissent de la même manière : change-toi pour changer le monde. Nous, on croit au rapport holistique entre tous nos sujets. »
Q : On parlait toute à l’heure du fait de s’autoriser ce qu’on ne s’autorise pas dans la vie de tous les jours, mais malgré tous, vous êtes vus sur la plateforme Youtube, qui a ses règles et ses contraintes. Y a-t-il une forme de censure ou d’autocensure ? Pouvez-vous tout vous autoriser ou est-ce que vous anticipez ce qui sera accepté ou non ?
R : « On ne s’autocensure pas. Le fait qu’on soit trois auteurs fait qu’il y a un certain équilibre qui se crée. Cela dit, moi, je mets un point d’honneur à ce que ce ne soit jamais grossier, par exemple. Si je laissais les deux autres faire, ça partirait en vrille (rires). Après, chacun a son sacerdoce et ça crée cet équilibre, et c’est aussi pour ça que le succès de « Et tout le monde s’en fout » est là, parce que l’intelligence collective de ce projet a fait que chacun est capable d’entendre l’autre et de se remettre en question. Il n’y a aucun sujet qu’on s’interdit de traiter, en revanche, il y a beaucoup de sujets sur lesquels on prend du temps. Certains sujets mettent beaucoup de temps à éclore, comme La Religion, qui est un sujet sensible, qu’on a mis beaucoup de temps à traiter.
En termes de censure, on peut parler de censure, oui, parce qu’il y a un truc qui se passe avec « Et tout le monde s’en fout » depuis un an et demi : chaque fois qu’on sort un épisode, le lendemain de sa sortie, on est dans les tendances Youtube, c’est-à-dire qu’on est mis en avant. Une fois on a été deuxième, parfois on est vingtième et puis on monte et on descend. En tout cas, c’est plus ou moins systématique parce que ce sont des algorithmes, en fonction du nombre de vues sur un court laps de temps. Et comme par hasard, l’épisode sur Le Clitoris n’a pas été dans les tendances, alors qu’il a été vu autant que les autres. L’épisode qui est sorti hier, L’Education Sexuelle, n’est pas encore dans les tendances. Donc il y a une forme de contrôle, très souvent puritaine, il faut bien l’avouer. Tu fais une vidéo sur la bite, il n’y a pas de souci, ça passe très bien, mais si tu fais une vidéo sur le clitoris, c’est interdit. On ne peut pas dire qu’on a été très embêtés par Youtube, déjà parce qu’on n’a pas monétisé la chaîne : on ne gagne pas d’argent avec Google, donc on n’est pas partenaires de Google. Ils n’ont pas vraiment la main mise sur nos vidéos, mais on est quand même sur la plateforme, donc il y a des règles en vigueur. Après, les règles, il faut les apprendre pour pouvoir rebondir dessus… C’est du jonglage, il faut le faire intelligemment. Ma vision des choses, c’est que de toute façon le cadre est posé, tu gagneras plus de temps à mettre de l’énergie pour utiliser le cadre tel qu’il est plutôt qu’à essayer de le défoncer. A part cette histoire de tendance, on n’a jamais eu de problème de vidéo retirée. »
Q : Justement, si on pense à la vidéo de La Salope par exemple, elle aurait pu être plus sujette à être retirée à cause de son titre que Le Clitoris, qui reste un terme anatomique, paradoxalement. La Salope est restée dans les tendances, et avait vraiment bien marché pour le coup.
R : « Après on fait exprès de choisir des titres « Pute à clique » comme on dit, parfois on se dit « ok, on verra si ça passe ». Mais on n’a jamais été embêtés par la censure, vraiment. »
Q : Sur chacune de vos vidéos, vous vous réunissez autour d’une thématique, d’un combat, pour que les choses changent. Savez-vous si des actions ont déjà été menées, ne serait-ce qu’en partie, grâce à vos vidéos ? Y a-t-il des choses qui ont commencé à se débloquer grâce à « Et tout le monde s’en fout » ?
R : « Oui, on a reçu des dizaines et des dizaines de témoignages. Ça va d’une maman qui nous dit qu’elle a transformé son arrivée d’eau dans sa maison pour récupérer les eaux de pluie après la vidéo sur L’Eau, à un papa qui nous explique que grâce à sa vidéo sur Le Bonheur, il a repris contact avec sa fille et que sa vie a changé. Il y a eu aussi ce père, l’autre jour, qui nous a dit que son fils a sept ans et demi et que la première chose qu’il fait en rentrant de l’école, c’est crier « Et tout le monde s’en fout ! » pour regarder l’épisode qui vient de sortir en boucle. Aujourd’hui, le bouquin Et tout le monde s’en fout est la condition pour voir la vidéo. Il peut regarder une vidéo s’il lit une page du bouquin. Il détestait lire et il se met à apprendre et à aimer lire grâce à ça. Donc oui, on a reçu beaucoup de témoignages comme ça… C’est une belle revanche, on était tous les trois des cancres à l’école et maintenant, on est utilisés dans les écoles ! »
Une belle revanche, en effet, car aujourd’hui, la chaîne compte près de 500 000 abonnés grâce à leur manière originale et décalée d’aborder des thèmes sensibles pour faire évoluer les consciences !
Camille Esteve