Bangladesh : la lutte pour l’égalité homme-femme perdure

Marche à Dhaka, le 8 mars 2008 © Human’s Rights Watch

Mercredi 10 avril, Nusrat Jahan Rafi, une bangladaise de 19 ans est morte après avoir été brulée vive 4 jours plus tôt. Elle avait porté plainte pour agression sexuelle dénonçant le directeur de son école. Pourtant, le Bangladesh se présente comme un pays qui se veut égalitaire et où les femmes luttent pour leurs droits. 

Tué pour avoir dénoncé 

Rassemblement à Dhaka le 12 avril 2019 © SAZZAD HOSSAIN AFP

Le 6 avril, la jeune étudiante a été conduite sur le toit de son école islamique par un groupe d’hommes, dont des camarades de classe. Leur but était qu’elle retire sa plainte mais Nusrat Jahan Rafi ne s’est pas laissé impressionner et a refusé. Ses agresseurs l’ont alors attaché avec une écharpe et aspergé de kérosène (un carburant utilisé dans l’aviation) avant de mettre feu à ses vêtements. Leur plan, qui était de faire croire à un suicide, a échoué puisque l’écharpe a brulé en premier et a permis à la jeune femme de s’enfuir, selon la police. Dans un état critique et brulée à 80 %, elle a été conduite à l’hôpital où elle est restée 4 jours et a succombé à ses blessures. Entre temps, elle a tout de même eu la force d’enregistrer une vidéo dans laquelle elle maintient ses accusations contre son directeur : « il m’a touchée, je me battrai contre ce crime jusqu’à mon dernier souffle ». Ce meurtre a ému tout le pays et en particulier les femmes qui ont pour certaines manifesté dans les rues de la capitale deux jours après sa mort, brandissant des photos de la jeune fille. La première ministre Sheikh Hasina s’est exprimée et a déclaré « qu’aucun coupable n’échapperait à l’action légale ». Pourtant, les associations du pays et l’organisme Human Rigths Watch estiment que les autorités ne s’empressent pas d’enquêter sur les affaires de viols et d’agressions sexuelles et que le gouvernement « manque d’engagements vis-à-vis des victimes ». 

Seul pays musulman dirigé par une femme, le Bangladesh favorise l’émancipation des femmes

A 71 ans, Sheikh Hasina est la première ministre du pays (mandat de 1996 à 2001 et depuis le 6 janvier 2009). C’est à ce jour le seul pays musulman dirigé par une femme. Le Bangladesh se situe au huitième rang des pays où l’écart entre hommes et femmes est le plus faible en termes d’autonomie politique. Cela est en partie lié au fait que le chef de l’Etat est une femme depuis plus longtemps que dans les autres pays du monde. De plus, entre 1990 et 2011, la proportion des sièges détenus par des femmes au Parlement a doublé, passant de 10 à environ 20%. Pour favoriser la représentativité politique des femmes, la Constitution Bangladaise de 1972 avait prévu que 15 sièges leur soient réservés. Plusieurs révisions constitutionnelles ont permis d’augmenter ces places à 30 puis 45 et enfin, depuis 2011, à 50 sièges sur les 350. Toujours d’un point de vue politique, le Bangladesh dispose de loi sanctionnant les violences faites aux femmes : le Dowry Prohibition Act de 1980, qui rend illégal la pratique de la dot (l’apport de biens par une des familles, ou par le fiancé, au patrimoine de l’autre, ou du nouveau ménage) ; L’Acid Control Act et l’Acid Crime Prevention Act de 2002, qui encadrent les importations, la production et la vente d’acide sulfurique. Elles sanctionnent aussi de la peine de mort les auteurs de vitriolage (agresser une personne avec de l’acide sulfurique). Enfin le Child Marriage Restaint Act de 1929 fixe l’âge légal pour se marier à 18 ans pour les filles et 21 ans pour les garçons. On peut également considérer comme réel tournant dans la lutte pour l’égalité la Conférence Mondiale sur les Femmes au Mexique en 1975. Le Bangladesh a été un des premiers « pays les moins avancés » (PMA) à combattre les disparités entre hommes et femmes.
Mais ce qui a permis au pays de faciliter l’accès des femmes à l’éducation, à la santé et à l’emploi, ce sont aussi les Objectifs du Millénaires pour le Développement (OMD) fixés par l’ONU en 2000 qu’il a atteint avec succès. Le développement économique du pays a augmenté le taux d’activité des femmes. L’industrie textile, qui représente 80 % des exportations bangladaises, emploie aujourd’hui plus de trois millions de femmes. 

Mais de gros progrès restent à faire 

Néanmoins, le pays a encore beaucoup de chose à changer pour qu’on puisse parler d’égalité entre les hommes et les femmes. Le Bangladesh reste classé 139ème sur 188 au Gender Inequality Index du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Le pays souhaite pourtant quitter le groupe des « pays les moins avancés » pour rejoindre celui des « pays en développement » d’ici 2021. Mais certaines problématiques, en partie celles concernant les femmes viennent fragiliser ses ambitions de développement. Le pays est concerné par la pratique des mariages précoces. Bien qu’elle soit en baisse depuis longtemps, elle reste « courante » surtout dans les environnements les plus pauvres comme en milieu rural ou dans les bidonvilles. Selon une étude de l’Unicef de 2015, 66 % des jeunes filles au Bangladesh seraient mariées avant l’âge de 18 ans, 29 % avant l’âge de 15 ans et 2 % avant l’âge de 11 ans. Les lois mises en place sont largement ignorées dans la pratique. Les victimes de viols, d’agressions sexuelles ou encore de vitriolage rencontrent encore des difficultés pour déposer plainte. Au total, et malgré les lois, au moins 3385 cas de vitriolage ont été recensés entre 1999 et 2017 par l’ONG Acid Survivors Foundation. Un autre problème se pose, mais est lui aussi très compliqué. Il s’agit du statut juridique de la femme. A ce jour, la Turquie est le seul pays musulman régi par une loi laïque incluant les lois familiale et individuelle. Au Bangladesh, comme dans la plupart des autres pays musulmans, il existe deux systèmes juridiques parallèles : le code civil laïque et le code familial religieux.Mais la constitution ainsi que le code pénal et les codes civil et criminel sont en théorie laïques et s’appliquent autant aux citoyens et citoyennes musulmans que non musulmans. Rappelons que dans ce pays d’Asie, 80 % de la population est de confession musulmane et le reste est en majeure partie hindoue. Ces deux religions sont fondées sur des principes, des textes et des lois individuelles et familiales différents.  Enfin, les femmes peinent toujours à se faire une place et notamment dans l’Histoire. Elles se sont battues plusieurs fois au côté des hommes et notamment pour l’indépendance du Bangladesh dans les années 70. Déjà en 1967, elles se mobilisaient massivement pour leurs droits et leur pays. A cette date elles créent les Comités d’action fémininequi deviendront la Bangladesh Mahila Parishad, un organisme toujours actif aujourd’hui. Mais ces femmes qui ont combattu ont été en partie tuées et torturées. Elles ne sont pas ou peu reconnues dans l’histoire de cette période. Elles ne sont considérés que comme mères, sœurs ou épouses des hommes qui ont combattus aussi ou comme victimes de viols de guerre. Les mouvements actuels de femmes se mobilisent pour faire reconnaître le rôle actif de ces femmes dans la révolution pour l’indépendance. 

                                                                                                          Flavie Thivol