L’équitation éthologique, l’art de murmurer à l’oreille des chevaux

Maeva Munier, monitrice en équitation éthologique, pratique et enseigne un mode d’éducation qui rompt avec l’équitation classique.

Maeva Munier, monitrice en équitation éthologique, éduque une jeune jument.
Crédit Photo : Camille Esteve ©

Dans les hauteurs de Levens, sur la Côte d’Azur, se niche le ranch Au Pen Dau Ferion. Un cadre idyllique où se côtoient chiens, chèvres, ânes, oies et, bien entendu, chevaux. C’est pour eux que vient Maeva Munier, monitrice en équitation éthologique. Mais en quoi consiste exactement ce métier, basé sur un mode d’éducation du cheval bien différent des méthodes classiques ?

L’éthologie, une pratique peu connue…

L’éthologie est une science qui se base sur l’étude du comportement animal. Si les premiers comportements éthologiques semblent émerger pendant l’Antiquité grecque grâce à des philosophes tels qu’Aristote ou Théophraste, ce n’est qu’au cours du XIXe et XXe siècles que l’éthologie prend réellement racine, notamment grâce aux travaux de Charles Darwin ou d’Ivan Pavlov. Pourtant, aujourd’hui encore, l’éducation éthologique semble encore peu répandue. Maeva Munier, de son côté, pratique l’équitation éthologique depuis l’âge de quatorze ans et l’enseigne depuis deux ans, en se basant sur les travaux de scientifiques, appelés « éthologues ». L’éthologie équestre consiste donc à comprendre le cheval, afin de lui apprendre l’équitation.

« Le cheval, lui, il naît sans savoir ce qu’on va lui demander », explique Maeva, dont le rôle consiste à « débourrer » les poulains, c’est-à-dire, leur apprendre à accepter un cavalier, ainsi qu’à comprendre les ordres de base. « On se sert des études menées par les éthologues pour apprendre à communiquer avec le cheval et apprendre au cheval à nous comprendre, chose qui n’est pas faite dans l’équitation en général ». Et pour cela, la patience est le maître mot.

L’éducation par l’éthologie est plus longue et minutieuse que la méthode classique, où l’animal est contraint d’obéir aux ordres du cavalier, sous peine de punition. Dans l’éthologie, seul le système de récompense est exploité. De plus, l’anthropomorphisme, c’est-à-dire prêter au cheval des raisonnements humains, est à proscrire. « J’enseigne à mes élèves à comprendre le cheval, comment il apprend, comment il pense, comment il agit, comment il perçoit son environnement, quel est son monde sensoriel… – poursuit Maeva – Tout ça c’est totalement différent de nous, il faut éviter de faire de l’anthropomorphisme, ce qui est très dangereux avec les chevaux puisqu’à la base ce sont des proies et nous, des prédateurs, donc nous ne raisonnons pas du tout de la même manière. »

De plus, selon la jeune femme, ce mode d’apprentissage serait également plus sécurisant que les méthodes classiques. « On a beaucoup de problèmes, notamment au niveau de la sécurité, parce que 90 % des accidents pourraient être évités si les chevaux étaient mieux éduqués, mais s’ils sont mal éduqués, c’est de la faute de l’humain, qui n’a pas pris le temps de comprendre ce qu’était cet animal avant de monter dessus », explique-t-elle.

Le but à atteindre est donc de parvenir à une meilleure pratique de l’équitation, plus sécurisée, et où le cheval n’est pas malheureux.  

… mais qui fait ses preuves

C’est donc pour bénéficier de cette éducation bienveillante que Gladys et sa fille de quatorze ans, Chiara, se sont adressées à Maeva. Propriétaires d’une jeune jument prénommée Eurêka, elles l’éduquent dans le ranch Au Pen Dau Ferion, à Levens. Et après plusieurs semaines de travail, leur constat est sans appel.

Maeva enseigne à Gladys à travailler le saut d’obstacle avec sa jument, Eurêka.
Crédit photo : Camille Esteve ©

« Grâce à Maeva, on a vraiment compris le cheval qu’on montait. – explique Chiara. Ça nous a beaucoup aidées à comprendre certaines réactions qu’elle [Eurêka] pouvait avoir dans son débourrage, ou simplement quand on la montait. Au niveau de l’apprentissage, ça nous a vachement aidées, dans le sens où on a pu affiner certaines choses dans la façon où on monte Eurêka. »

Chiara parvient à passer le saut d’obstacle. Crédit photo : Camille Esteve ©

La jeune fille, passionnée d’équitation depuis son enfance, souhaite par ailleurs concourir uniquement en hunter, des concours hippiques où est évaluée avant tout l’harmonie entre le cheval et son cavalier. Sa mère, Gladys, qui lui a transmis cette passion, reconnaît également les bienfaits de l’éthologie. « Quand vous montez à cheval, si vous pratiquez l’éthologie, vous vous posez plein de questions, et vous apprenez à votre cheval à réfléchir. Dans l’éducation classique, on ne leur apprend pas, on veut qu’il reste sur la piste, on ne veut pas qu’il bouge, on veut qu’il obéisse au cavalier, qu’il fasse ceci, qu’il fasse cela… Et du coup, le cavalier ne lui apprend pas à réfléchir. Là, on apprend aux deux à réfléchir. Un cheval à qui on n’a pas appris à réfléchir, il va fuir devant un obstacle, puis il va sauter en l’air, parce qu’il ne sait pas ce qu’on lui demande. […] La plus-value [de l’équitation éthologique] est à tous les niveaux : c’est sécurité et compréhension. Au moindre signal, si on sent qu’il y a quelque chose qui n’est pas comme d’habitude, on est plus en sécurité parce qu’on ne va pas y aller, contrairement à l’équitation classique forcée. […] L’éthologie apprend au cheval à se prendre en charge, à être autonome et moins dépendant de l’humain. Parce que, parfois, on peut être défaillants, donc il ne faut pas que le cheval le soit, notamment en extérieur ».

Un combat contre la maltraitance

Mais si Maeva Munier enseigne l’éthologie, ce n’est pas uniquement pour améliorer l’éducation du cheval mais aussi et surtout pour lutter contre la maltraitance ordinaire qui touche encore aujourd’hui de nombreux chevaux. « Aujourd’hui, en 2019, avec toutes les connaissances scientifiques sur le comportement de l’animal, c’est inacceptable de voir des chevaux mal éduqués et maltraités comme nous le faisons, par méconnaissance, par tradition, ou par manque de remise en question », explique-t-elle. Et les formes de maltraitance sont nombreuses :

« Mettre son cheval en box, seul, parce que c’est plus pratique […] il est à disposition et propre quand on veut s’en servir… Mais le cheval n’est absolument pas fait pour ça ! C’est un être social, qui marche entre 20 et 30 kilomètres dans la nature, alors que son box ne fait 250 mètres » – explique-t-elle, à titre d’exemple. L’enrênement, les punitions, tirer de plus en plus fort sur le mors, frapper un cheval pour le forcer à aller quelque part ou le laisser attaché pendant plusieurs heures sont, selon Maeva, « des choses que l’on voit quotidiennement dans le monde de l’équitation et qui sont banales et dans les mœurs pour la plupart des gens, mais pour moi, c’est inacceptable. » 

Des méthodes encore courantes, génératrices de stress intense chez l’animal et donc, à terme, contreproductives. Sur ce point, la jeune femme est catégorique : l’équitation classique pose à la fois un problème sécuritaire, ainsi qu’une forme de « gaspillage ».

« L’équitation compte beaucoup d’accidents. Une étude faite aux Etats Unis démontre qu’en moto, on a un accident toutes les 5 000 heures de pratique, alors qu’en équitation, un accident toutes les 350 heures de pratique en moyenne. Les accidents d’équitation sont parmi les plus graves, avec 30 % de fractures et 20 % d’hospitalisation. Pourtant, un très grand nombre d’accidents pourraient être évité si les chevaux étaient éduqués. De plus, une étude a montré que 66 % des chevaux allant à l’abattoir entre l’âge de 2 et 7 ans y étaient pour problème de comportement. Un cheval ne nait pas mauvais, dangereux, agressif, mal éduqué. Le seul responsable est l’humain ! Enormément de chevaux finissent mal et même de très bons chevaux, avec des performances sportives élevées ! »

La jeune femme, également chargée de débourrer une jeune jument dans un ranch de Lantosque, espère ainsi éveiller les consciences, encore sceptiques face à cette approche plus souple et à l’écoute du cheval. Elle n’hésite pas, par ailleurs, à proposer des conseils et à partager sa passion sur sa page Facebook, qui compte déjà près de 3 000 personnes.

Camille ESTEVE