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« Opening Night», Isabelle Adjani mise en abyme
Pour une des dernières pièces sous son mandat à la tête du Théâtre National de Nice, Irina Brook a frappé un grand coup, en obtenant la venue d’une des plus grandes actrices françaises, Isabelle Adjani. Elle joue une actrice nostalgique de sa jeunesse et névrosée à l’approche de la première de son spectacle dans « Opening Night », qui est présentée depuis le début de la saison théâtrale comme l’évènement de l’année.

Cette pièce est inspirée d’un scénario de John Cassavetes datant de 1977, qui avait lui-même revisité une œuvre de John Cromwell en 1968. Dans l’histoire originale, on suit d’une actrice célèbre qui doit prendre le rôle d’Arkadina de La Mouette de Tchekov. Dans l’adaptation de Cassavetes, l’actrice star, interprété par son épouse Gena Rowlands, doit aussi jouer le personnage principal d’une pièce, mais elle assiste à la mort accidentelle d’une admiratrice de 17 ans et se retrouve hantée par la vision de la jeune fille, à laquelle elle s’identifie. C’est Isabelle Adjani elle-même qui a demandé Cyril Teste, le metteur en scène d’en faire une nouvelle version, lui qui a la particularité d’utiliser un dispositif particulier, jouant avec les frontières entre le théâtre et le cinéma.
Une mise scène à mi-chemin entre théâtre et cinéma
Le public venu en nombre découvre d’abord un grand écran en plein centre de la scène, simplement entouré d’étagères et de quelques meubles au style neutre et minimaliste, une table et un canapé. Les spectateurs sont bruyants, le début de la représentation a du retard. Soudain, l’écran s’anime. On y voit l’activité en coulisses, acteurs, metteur en scène, costumière… À ce moment-là, on ne sait pas si on a affaire aux acteurs ou s’ils sont déjà dans leurs rôles. Selon le scénario de Teste, les personnages sont des acteurs qui se préparent à une répétition avant la première d’une pièce. Puis au fur et mesure que la pièce avance, chacun fait son entrée en scène, y compris l’homme qui porte une petite caméra manuelle dont les images sont projetées sur l’écran. Une véritable prouesse, le spectacle est filmé et retransmis en direct, comme une sorte de long plan-séquence. Les coulisses et ses secrets deviennent partie intégrante de la scène, et le caméraman devient un élément de l’action à part entière. On a l’impression d’être doué d’ubiquité, en suivant deux scènes différentes en même temps lorsque la caméra est en coulisses, mais que certains acteurs sont visibles sur scène. On a ainsi le sentiment de regarder un film mais également d’assister à son tournage. Mais ce dispositif technique déroutant au premier abord n’empêche pas des plans très esthétiques, très travaillés, alors même qu’ils sont réalisés sous nos yeux.
Isabelle Adjani au sommet
Toute cette mise en scène ne fait que renforcer la profonde mise en abyme de la pièce en elle-même. Nous sommes face à Isabelle Adjani, qui joue une actrice qui doit jouer un rôle. En permanence à fleur de peau et toujours au bord du craquage, la star se perd dans ses névroses et ses délires alcoolisés durant lesquelles Adjani est bouleversante. Son interprétation est remarquable et certaines scènes sont jouées avec une intensité et une obscurité saisissante. L’icône française voit sa propre personnalité, son personnage d’actrice et le rôle que doit interpréter son personnage se mêler et s’enchevêtrer les uns sur les autres. Parfois ils sont bien distinguables, par des changements de voix ou d’attitude, mais bien souvent les différentes facettes se confondent, de manière volontairement floue. Cette mise en abyme permanente et profonde est amplifiée par une mise en scène captivante et originale, portée par un dispositif technique spectaculaire qui expose de manière efficace les liens entre le cinéma et le théâtre, avec pour formidable porte-parole Isabelle Adjani.
Etienne Le Van Ky