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Hajar Raissouni, symbole de la lutte progressiste au Maroc
Le tribunal de Rabat s’est déclaré. La journaliste Hajar Raissouni a finalement été condamné lundi à un an de prison ferme.

Interpellée fin août à la sortie de son rendez-vous chez son gynécologue, la jeune femme de 28 ans a été arrêté pour « avortement illégal » et « relations sexuelles hors mariage ». L’avortement, passible de deux ans de prison, est encore un tabou dans la société marocaine. Avec elle, son compagnon, son gynécologue, l’anesthésiste et la secrétaire médicale ont eux aussi été arrêtés pour « complicité d’avortement ». Jugés en même temps, ils ont tous reçus des peines. Deux ans de prison ferme pour le gynécologue et interdiction de pratiquer la médecine, un an pour son fiancé, un an avec sursis pour l’anesthésiste et huit mois avec sursis pour la secrétaire. Cette affaire est depuis devenu symbole de la lutte pour une société plus progressiste dans le pays.
« Un procès politique »
Depuis le début du procès, la reporter de Akhbar Alyaoum nie l’avortement et assure avoir été traitée pour une hémorragie interne. Chose que son gynécologue a confirmé aux autorités. La journaliste d’un des seuls médias indépendants du pays dénonce un « procès politique ». Le 4 septembre, Hajar Raissouni a envoyé une lettre à sa rédaction depuis la prison, mentionnant qu’elle avait été interrogée sur ses articles politiques et sur ses oncles, militants des droits de l’homme et opposants politiques. Elle a aussi indiqué avoir été contrainte à un examen médical forcé de la part de la police afin qu’elle avoue des crimes qu’elle n’a pas commis. Suite à cet épisode, elle explique qu’elle compte porter plainte. Pour ces raisons, citoyens comme ONG pensent qu’Hajar a été arrêtée non pas pour un avortement mais en raison de son travail journalistique. Les autorités marocaines nient tout lien avec sa profession dans cette affaire. La journaliste a par le passé publié des articles critiques du régime et son rédacteur en chef, Taoufik Bouachrine, a déjà été condamné à 12 ans de prison en novembre 2018 pour agression sexuelle. Mais le Groupe de travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire a conclu que le procès était injuste et infondé.
Hajar Raissouni a reçu une vague de soutient de la part de nombreuses organisations comme Human Rights Watch et Amnesty International qui demandent sa libération immédiate. Dans un communiqué la directrice régionale de l’ONG pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Heba Morayef, déclare que « l’arrestation de Hajar Raissouni et de quatre autres personnes est complètement injustifiée et ces allégations constituent une intrusion scandaleuse dans sa vie privée ». Elle continue : « Ce cas montre une nouvelle fois la nécessité urgente d’abroger les lois marocaines rendant les relations sexuelles hors mariage et l’avortement passibles de poursuites pénales. Ces dispositions portent atteinte à un certain nombre de droits des femmes, notamment à l’autonomie corporelle et personnelle, à l’absence de discrimination, au respect de la vie privée et à la santé ». Quant à Reporter Sans Frontières, ils dénoncent dans leur pétition que le procès « traduit l’existence d’un système où les affaires de mœurs sont utilisées comme des moyens de pression contre les personnes considérées comme gênantes pour le pouvoir. »

« Le corps des femmes n’est pas une propriété publique »
Au Maroc, l’avortement est interdit en toutes circonstances, sauf lorsque la santé de la femme enceinte est en danger et que son mari est d’accord. Mais selon le droit international, « les femmes ont droit à l’autonomie corporelle et personnelle, qui comprend la liberté de prendre leurs propres décisions en matière de sexualité et de procréation. La criminalisation de services de santé dont seules les femmes ont besoin, tels que l’avortement, représente une discrimination liée au genre ».
Nombreuses ont été les réactions sur les réseaux sociaux à montrer cette affaire comme le symbole d’un problème de mœurs au Maroc. Le collectif Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (M.A.L.I) a posté sur leur page Facebook : « MAROC – LE CORPS DES FEMMES N’EST PAS UNE PROPRIÉTÉ PUBLIQUE. Soutien et solidarité à la journaliste Hajar Raissouni. Soupçonnée d’avoir pratiqué un avortement, la journaliste ainsi que l’équipe médicale accusée d’avoir procédé à l’intervention ont été incarcérées. M.A.L.I. qui lutte pour la liberté des femmes à disposer de leur corps, rappelle que le droit à l’avortement est un droit fondamental. ». Même le cousin du roi Mohammed VI, Moulay Hicham, qui aujourd’hui vit aux États-Unis a dénoncé « une violation de l’esprit de nos traditions musulmanes quant à la discrétion sur les affaires personnelles des citoyens, en protection de leur honneur et contre la diffamation ». La romancière Leïla Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab ont aussi publié une tribune dans plusieurs médias et des milliers de personnes l’ont signé.

Le gynécologue et président de l’Association marocaine de lutte contre les avortements clandestins (Amlac), Chafik Chraïbi a confié à France24 vouloir modifier l’article 453 du Code Pénal marocain. Selon lui, son pays n’est pas prêt d’accepter l’avortement sans conditions car « dans notre société encore très conservatrice, être pro-choix veut dire débauche. ». Selon les chiffres officiels, il y a 50 000 à 80 000 avortements clandestins chaque année. L’IVG non sécurisée est responsable d’environ 4,2 % des décès parmi les femmes enceintes. Et en 2018, la justice marocaine a poursuivi 14 503 personnes pour débauche, 3 048 pour adultère, 170 pour homosexualité et 73 pour avortements.
Kimberley Lestieux