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Football : les femmes iraniennes ont leur place en tribune

Ce jeudi 10 octobre, environ 3 500 iraniennes ont pu assister au match de qualification pour l’Euro-2022 opposant l’Iran au Cambodge. Une présence historique : depuis presque quarante ans, les femmes n’avaient plus le droit d’assister à un match de football. 

Les femmes iraniennes célèbrent cette double victoire : celle de leur présence et celle de leur équipe nationale qui s’est imposée 14 à 0 face au Cambodge.
Crédit photo : AFP

Dans le stade Azadi de Téhéran deux victoires ont été célébrées ce jeudi 10 octobre. Celle de l’équipe de football de l’Iran qui s’est imposée 14 à 0 face au Cambodge durant le match de qualification pour l’Euro-2022. Mais aussi celle de la présence de supportrices iraniennes qui, même restreintes à seulement quelques tribunes et sous la surveillance de 150 policiers, ont pu assister librement au match. 

Ces 3500 places ont été vendues en seulement quelques heures. L’Irna, l’agence officielle iranienne a confirmé le 8 octobre qu’il ne restait plus aucune place pour le match Iran-Cambodge. Sur Twitter, les Iraniennes se sont organisées pour réclamer davantage de sièges avec l’hashtag #WakeUpFifa.

Interdites depuis la Révolution islamique 

Depuis 1981, soit deux ans après la Révolution islamique en Iran, les femmes iraniennes se voient refuser l’accès aux stades pour les compétions de football. Une interdiction officiellement justifiée par la nécessité de les protéger de la « grossièreté et de l’atmosphère masculine » ainsi que de « la vue d’hommes à moitié dénudé ». Le 10 octobre est donc une date marquante pour la liberté de la femme dans ce pays : c’est la première fois en presque quarante ans qu’un nombre significatif de femmes se trouvent en tribunes. 

En effet, par le passé, des femmes avaient déjà été autorisées à assister à un match. Ainsi, en 2001, une vingtaine d’Irlandaises étaient en tribune pour le match de football masculin Iran-Irlande, une première pour le pays depuis l’interdit postrévolutionnaire. En 2005, c’est au tour des Iraniennes : quelques dizaines de femmes avaient été autorisées à assister à la rencontre Iran-Bahreïn. Depuis, les autorisations se sont faites rares – lors de la Coupe du monde de 2018 retransmise sur grand écran, par exemple, l’interdit a été levé. Pour contourner cette sanction, les femmes avaient pris l’habitude de se déguiser en homme. Une pratique qui n’est pas sans danger pour les supportrices. 

Disparition tragique de la « Bluegirl »

De nombreuses femmes ont été arrêtées pour être rentrées dans un stade vêtues en homme et certaines d’entre elles ont été poursuivies par la justice. C’est le cas de Sahar Khodayari. En mars dernier, la jeune femme de 30 ans, surnommée « Bluegirl » car elle portait les couleurs d’Esteghlal, son équipe favorite, est arrêtée pour avoir assister à un match de football masculin grimée en homme. Après trois jours en prison, elle est libérée sous caution, dont le montant a été fixé à 50 millions de tomans soit 4 000 euros. En septembre dernier, elle est convoquée au tribunal. Sur place, elle apprend que le juge ne se présentera pas à cause de problème familial. 

Dans les couloirs, elle surprend une conversation suggérant qu’elle risque une peine de six mois de prison, selon plusieurs médias iraniens. La jeune femme décide de s’immoler par le feu devant le tribunal. Hospitalisée, elle succombera à ses blessures, le 9 septembre.

L’histoire de la « Bluegirl » a ému la scène internationale. Les fans ont appelé au boycott des matches de l’Iran. Sur Twitter, célébrités, footballeurs et militants ont interpellé la Fifa pour que des mesures soient prises, comme le bannissement ou la suspension de l’Iran des compétitions internationales. 

L’Iran dans le viseur de la Fifa

Depuis cette mort tragique, la Fifa ne cesse d’augmenter les pressions contre l’Iran. Son objectif : que le pays autorise les femmes à assister aux rencontres de qualifications pour la Coupe du monde 2022.  Une demande comme l’exige un des articles fixant les statuts de la Fifa «  toute discrimination d’un pays, d’un individu, ou d’un groupe de personnes pour des raison de couleur de peau, (…) de sexe, (…) ou pour toute autre raison est expressément interdite, sous peine de suspension ou d’exclusion ».Un ultimatum a donc été posé : l’Iran avait jusqu’au 31 août pour accorder l’accès aux femmes aux matches de la compétition ou des sanctions seraient prises. Le 25 août dernier, le Ministère de la Santé annonce que les supportrices seront autorisées lors du match du 10 octobre. Le gouvernement a toutefois assuré que cette décision n’était pas liée « à toute pression étrangère »de la Fifa. 

Cette annonce n’a satisfait qu’à moitié la fédération. Si les femmes ont pu assister au match Iran-Cambodge, il n’en est encore rien pour les autres rencontres et compétitions. Elle exige des autorités iraniennes qu’elles autorisent l’accès à toutes les femmes dans les stades de football « pour tous les matches »et sans restreindre le nombre de places mises à leur disposition, sans quoi des sanctions seront prises contre l’équipe nationale. 

Une décision « cynique » pour Amnesty International

Dans un communiqué publié la veille du match, l’ONG Amnesty International se montre aussi peu satisfaite de la mesure. Elle critique la vente d’un nombre très limité de billets aux femmes pour assister à ce match. « La décision d’autoriser un nombre symbolique de femmes à entrer dans le stade […] est une opération de communication cynique de la part des autorités qui cherchent à redorer leur image à la suite du vif tollé suscité dans le monde entier par la mort tragique de Sahar Khodayari« , a dénoncé l’organisation. Elle a ainsi appelé les autorités à lever « toutes les restrictions concernant la présence des femmes dans les tribunes des stades de football« . 

Le communiqué rappelle également que depuis début 2018, au moins 40 femmes ont été arrêtées, dont certaines ont été poursuivies en justice, pour avoir tenté d’entrer dans des stades de football, selon Amnesty International.

Cette interdiction est également critiquée au sein même de la politique iranienne. Le président Hassan Rohani a ainsi indiqué à plusieurs reprises être favorable à la levée de l’interdiction de la présence des femmes lors des matchs de football masculin. Mais c’est sans compter sur le clan ultraconservateur, qui continue de s’y opposer. 

Jennifer Beghin