octobre 21

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Le Chili plongé dans l’une des plus grosses crises de son histoire

Des quartiers de Santiago en feu, les militaires dans la rue, un couvre-feu décrété : le Chili se soulève, protestant contre la situation économique du pays.

« J’ai décrété l’état d’urgence et, à cette fin, j’ai nommé le général Javier Iturriaga à la tête de la défense nationale » : c’est la déclaration du président chilien, Sebastián Piñera, qui a embrasé les rues de la capitale vendredi. Depuis deux jours des centaines de milliers de manifestants protestent après l’augmentation des prix du métro. Après une première hausse en janvier dernier, le ticket est passé de 800 à 830 pesos (1,04 euro) aux heures de pointe.

« La goutte d’eau qui fait déborder le vase »

L’augmentation du prix du ticket de métro de quelques pesos pourrait paraître anodine, mais affecte trois millions de Santiagois chaque jour. Mais derrière cette protestation s’exprime le ras-le-bol de millions de Chiliens. Le coût de la vie est de plus en plus élevé dans le pays, notamment dans la capitale de six millions d’habitants. Boris van der Spek, journaliste correspondant au Chili analyse la situation du pays : « Le taux de chômage grimpe, le système de retraite est vraiment très mauvais, l’université est aussi très chère et de nombreux étudiants vivent avec des dettes. Il y a un ras-le-bol général. L’augmentation du prix des transports c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. »

Le mouvement, d’abord initié par les étudiants, est désormais rejoint par tous les partis de travailleurs et toutes les générations sont mobilisées. Alana, étudiante en ingénierie à Santiago, soutient le mouvement : « Toute la ville est paralysée on ne peut plus se rendre à l’université. Il faut comprendre qu’il y a énormément de problèmes, notamment en matière d’inégalités. Je n’ai pas beaucoup d’espoirs que ça aille mieux… »

Dans plusieurs quartiers de Santiago des manifestants ont érigé des barricades et se sont heurtés à la police. Ces derniers ont fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogènes. Face aux scènes de violences urbaines et d’affrontements entre forces de l’ordre et manifestants, l’état d’urgence a donc été décrété le soir même dans la capitale.

© CLAUDIO REYES / AFP

Malgré cet état d’urgence, et donc l’arrivée de l’armée, les protestations ont continué dans la nuit de vendredi à samedi. Autobus incendiés, supermarchés pillés, tour brulée : Santiago s’est littéralement embrasé. Le Chili est pourtant considéré comme l’un des pays les plus stables d’Amérique latine. En réponse aux protestations, les militaires ont tiré à balles réelles sur les manifestants. Un point de non-retour semble atteint.

Le retour des militaires comme sous la dictature

Au lendemain de cette nuit d’une violence historique, les blindés de l’armée ont investi la capitale et un couvre-feu a été mis en place le soir même. C’est une première depuis le retour de la démocratie en 1990 et la révocation du dictateur Augusto Pinochet. Les derniers bilans font état, pour le moment, de trois morts, environ trois cents personnes arrêtées et de centaines de blessés. La majorité des manifestants restent pacifiques et se rassemblent pour des concerts de casseroles, mode de contestation apparu après le coup d’Etat de Pinochet fin 1973.

Initié à Santiago, le mouvement s’étend désormais à tout le pays. Le gouvernement semble déconcerté par une telle détermination et le président a annoncé qu’il n’y aura finalement pas d’augmentation du prix du ticket de métro. Un rétropédalage en vain. Ce dimanche, le président Piñera doit réunir ses ministres et d’autres hauts responsables pour faire un point sur la situation. Boris van der Spek n’est pas optimiste pour la suite des événements : « Ce mouvement va durer et peser, c’est sûrement le début d’une crise constitutionnelle. Les autorités sont déroutées et les militants déterminés. Ça ne va pas se calmer. » La contestation, sans dirigeants et revendications claires, doit encore se structurer. Mais le mouvement est lancé et la gronde du pays ne semble pas prête de se taire.

Hugo Metreau