Cachez ce sang que je ne saurais voir

Avoir ses règles en 2019. Depuis toujours, dans toutes les civilisations, les menstruations sont considérées comme impures. Ce phénomène commun à toutes les femmes est un sujet qui questionne, perturbe voire même révulse. La honte et le dégoût que les règles suscitent chez les femmes et les hommes en ont fait un sujet tabou.

Sang tabou est un blog crée par le réseau Osez Le Féminisme !, un mouvement féministe dont l’action vise à parler librement des règles. © Osez Le Féminisme ! 

“Avoir ses ragnagnas”, “les anglais débarquent”, “la période rouge”, “les choses”… D’après une étude réalisée par la Coalition internationale pour la santé des femmes, il existerait plus de 5 000 expressions pour évoquer les règles dans le monde. Ce sang qui coule de manière régulière, plus épais que celui d’une blessure, est banal. Pourtant aussi naturelles que l’action de boire, manger ou dormir, les menstruations sont encore tabous et cachées aux yeux de tous. Hommes et femmes utilisent de nombreux synonymes pour éviter d’exprimer haut et fort cette période, redondante et connue. Entre honte et dégoût, le phénomène est encore loin d’être accepté dans nos sociétés actuelles.

“ Oh la honte ! ”

“Discret”, “petit”, “se cache facilement”… Les publicités pour les protections hygiéniques fondent leur argumentation sur la facilité de cacher aux autres son tampon ou sa serviette hygiénique. Comme si l’objet en question était honteux ou secret. Dans son livre Sang Tabou, Camille Emmanuelle compare un tampon à un objet illégal. “On fait en sorte de bien cacher l’objet, comme si on transportait un sachet de coke”, décrit l’écrivaine spécialisée dans les questions de sexualité. Comme si on surfait entre illégalité et criminalité : la protection hygiènique semble avoir une image déplorable. “Il est encore mal vu voire déplacé de se diriger vers les toilettes avec un tampon à la main ou même de demander à haute voix dans un groupe : est-ce que quelqu’un a une serviette ?” 

Mais les femmes ont beau cacher au fond de leur poche le plus petit des tampons, le secret est connu de tous : elles ont leur règles. D’après l’Institut national d’études démographiques, “les femme ont leurs règles pendant une quarantaine d’année”. Elles voient donc ce sang couler de leur corps près de 500 fois dans leur vie. Alors que le phénomène biologique est connus de tous, qui n’a jamais entendu : “Oh la honte” ou des rires étouffés à la vue d’une tache de sang ou d’une protection s’échappant d’un sac.

“ Quiconque la touchera sera impur jusqu’au soir ”

Depuis 1992, le sang est bleu. A l’écran, il est grimé et devient un liquide comme un autre. Telle une réclame pour de la lessive, les fluides féminins sont encore et toujours dissimulés. Il faudra attendre 2016 pour voir apparaître un liquide rouge couler sur un protège-slip. Pourtant même si les publicitaires commencent à modifier leurs campagnes, c’est parfois l’opinion publique qui les éconduit. Encore cette année, une publicité télévisuelle australienne sur les menstruations a reçu plus de 600 plaintes pour avoir osé montrer “du sang menstruel”.  

Mais comment cette idée de saleté et d’impureté du flux menstruel a pu ainsi gangrener la société ? L’une des réponses se trouve dans les textes fondateurs des trois religions monothéistes. “La femme qui souffre, ce qui dans l’ordre de la nature arrive chaque mois, sera séparée pendant sept jours. Quiconque la touchera sera impur jusqu’au soir”, avertissent les Ecritures dans l’Ancien Testament  (Lévitique, 15 :19-20). Quant au Coran (Chapitre 2.222), il prévient : “Séparez-vous de vos épouses pendant ce temps, et n’en approchez que lorsqu’elles seront purifiées.” Des écrits sur lesquels des dizaines de civilisations se sont construites, sans les remettre en cause, appliquant plus ou moins scrupuleusement la conduite à adopter, mais toujours en rejetant la femme comme impure et inférieure. Aujourd’hui encore, l’immondice du sang menstruel reste ancré dans les esprits. Pourtant, même s’il est plus visqueux et ne coagule pas, il est à bien des égards plus riche que le reste du sang humain. En 2007, l’étude d’un institut de recherches du Witchita analyse le sang des règles et découvre des cellules capables de se multiplier beaucoup plus vite que les autres cellules souches. “Celles-ci pourraient alors offrir des perspectives inédites, comme devenir un médicament pour certains cancers, des maladies cardiaques ou la maladie de Parkinson”, révèle la revue scientifique New Scientist.

Petit à petit des personnalités publiques et des anonymes s’attèlent au sujet et essayent de braver, à leurs échelles, le tabou du cycle menstruel. © Courrier International

Changeons les règles !

Un jeu de société, The Period Game, a même été inventé pour briser ce tabou de façon ludique et en parler dans les écoles. Déjà disponible en pré-commande, il sortira en février 2020 et permettra d’aborder les menstruations sans complexes dès l’enfance. 

Internet et les réseaux sociaux offrent la possibilité de déconstruire ces préjugés. Entre photos, podcasts, recherches et études sur le sujet, la vision des menstruations semble se modifier. 

Sur Instagram, de nombreuses internautes ont décidé d’exposer leurs règles. C’est le cas d’Irene. En février dernier, la jeune femme s’est baladée dans Paris sans protection hygiénique. Elle poste des photos d’elle, de son pantalon tâché et n’hésite pas à en parler sur son compte personnel. Atypique ? En marge ? Révolutionnaire ? Non, elle n’est pas la seule devant les objectifs pour dénoncer ce tabou. 

Demetra Nyx a aussi étalé son sang menstruel à la vue de tous récemment. Un visage comme peinturluré de rouge et l’air grave a surpris ses followers. Une photo choc qu’elle a posté sur Instagram. L’objectif : montrer que les règles ce n’est pas sale. L’image, partagée et vue des millions de fois, a été très vite censurée par la suite. Les menstruations, plus faciles à aborder derrière son écran que dans la réalité, prennent pourtant petit à petit possession de la place publique.

Lisa Noyal et Charlotte Quéruel