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Grève des urgences, la parole est aux internes

La colère monte. Depuis plusieurs mois, les mouvements de grève aux urgences se multiplient en France. À Paris, Toulouse, Nantes, Auch, Vichy ou encore Angers, les appels à la grève lancés par les syndicats se succèdent, tout comme les rassemblements et manifestations. En cause, le manque conséquent de moyens humains et matériels dans les hôpitaux et, en particulier, dans les services d’urgence. Attentes interminables, personnel débordé, manque de lits, violence physique ou verbale, le personnel des centres hospitaliers souffre d’une dégradation de ses conditions de travail, qu’il dénonce à travers la grève, en dépit des propositions énoncées par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. C’est donc dans un climat social particulièrement tendu que les internes – les médecins de demain – appréhendent leur futur métier.
Si le Code du travail reconnaît le droit de grève, il précise que certains agents publics doivent « assurer un service minimum », c’est le cas des agents hospitaliers. Alice, 23 ans, est étudiante en sixième année de médecine à Marseille. Après deux stages aux urgences pendant les grèves, elle explique que celles-ci sont plus symboliques qu’effectives. « C’est un peu compliqué de faire grève et de laisser les patients tout seuls.[…] Du coup, le fonctionnement des urgences ne change pas tellement, les soignants ont simplement marqué « en grève » sur leur blouse. Le temps d’attente reste assez similaire à celui des urgences en dehors des périodes de grève ». Néanmoins, l’étudiante reconnaît l’importance de cette symbolique : « Il faut vraiment embaucher des soignants : dans une équipe pour les urgences, il n’y a qu’un médecin, un interne, un externe, un infirmier et un aide-soignant. […] Quand il faut aller vite, on en oublie le côté humain, alors que souvent les gens ne comprennent pas ce qui leur arrive et on n’a pas le temps de leur expliquer. […] Il faut aussi plus de lits dans l’hôpital, parfois on perd une demi-heure, une heure pour demander des places à droite à gauche, du coup les patients attendent, s’énervent, ça crée une mauvaise ambiance alors que c’est indépendant de la pathologie, de la personne, du médecin, c’est juste un souci logistique ». Sophie[1], 22 ans, également étudiante en sixième année, corrobore les propos de sa camarade : « Cette grève est légitime, il y a un gros manque de moyens, à l’hôpital en général, pas qu’aux urgences. Le personnel est submergé et épuisé, il se met en arrêt maladie parce qu’il ne peut plus supporter la fatigue, le mal de dos, etc. La grève est légitime et même nécessaire. »
Des urgences engorgées
Outre le manque crucial de moyens humains et matériels, la conduite des patients est également au cœur du problème. « Il y a un besoin d’éducation de la population, malheureusement : il faut apprendre aux gens à ne pas aller systématiquement aux urgences pour tout et n’importe quoi », déclare Sophie. Une fois ce constat posé, y compris dans la sphère politique et médiatique, deux solutions semblent se profiler : l’une préventive, l’autre punitive. La première consisterait ainsi à inciter les patients à ne plus solliciter les services d’urgence s’ils peuvent attendre la consultation d’un médecin généraliste ou spécialiste. Une solution défendue par Sophie : « Il faut promouvoir les maisons médicales de santé qui désengorgent les urgences et qui permettent d’avoir une consultation sans rendez-vous quand le généraliste habituel n’est pas là. C’est beaucoup plus adapté en cas d’angine, de rhume ou d’autres maladies sans gravité, mais je ne suis pas sûre que beaucoup de gens soient au courant que ces maisons existent, parce qu’on n’en parle pas assez. »
La seconde solution, au contraire, serait plutôt basée sur un système punitif, où les patients venus aux urgences sans raison grave seraient contraints de payer une amende à l’hôpital. Alice, de son côté, affirme que cette mesure serait plus efficace : « La plupart des gens vont aux urgences parce que c’est gratuit. La prévention ne marche qu’avec un public qui y met de la bonne volonté, mais la plupart du temps les gens qui viennent sont soit vraiment désespérés, soit ils profitent du système et de sa gratuité ». La jeune femme nuance toutefois ses propos et pointe très vite les limites d’un tel système : « Le patient contraint de payer pourrait s’énerver et la situation pourrait dégénérer. De plus, cela nous obligerait à mettre une espèce de barème pour évaluer ce qui est urgent et ce qui ne l’est pas. Donc l’amende serait très efficace mais un peu radicale et je pense que ça énerverait encore plus les gens contre les urgences. »
Une autre proposition, relayée notamment par Philippe Juvin, chef de service des urgences de l’hôpital européen Georges Pompidou, sur le plateau de C dans l’air, consisterait à faire payer la consultation aux urgences, et à rembourser le paiement par la suite. Face à l’idée de faire payer le passage aux urgences, Sophie reste sceptique : « Lorsque l’on parle du système de santé français, on parle d’un système de solidarité ; pas de faire payer les gens. »
Camille Esteve
[1] Prénom modifié