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Soudan : Que s’est-il passé depuis le coup d’état d’avril dernier ?
C’était une des actualités internationales qui avait secoué le premier semestre de l’année 2019 : le 11 avril dernier, après quatre longs mois de contestation populaire, le dictateur soudanais Omar El-Bechir était renversé et destitué par son armée, après 30 ans au pouvoir, ce qui laissait alors transparaître des espoirs de démocratie . Qu’en est-t-il six mois plus tard ?
Ces images avaient marqué la scène internationale en avril dernier. Des manifestants qui, nuit et jour, au péril de leur vie, manifestaient au départ contre la hausse des prix, avant de tenter et de réussir à renverser le gouvernement. C’est un putsch militaire qui, le 11 avril 2019, a permis de destituer le président de la république soudanaise Omar El-Bechir. Il y eu d’abord la mise en place d’un « Conseil Militaire de transition », dirigé par l’ancien ministre de la défense Ahmed Awad Ibn Auf pendant un jour, puis repris par Abdel Fattah Abdelrhamane al-Burhan. Le but de ce conseil : prendre le pouvoir pendant deux ans, afin d’assurer une transition correcte et durable vers la démocratie. Cette prise de pouvoir en a évidemment agacé plus d’un, et les contestataires ont continué de manifester pour la mise en place d’un gouvernement civil.
Des négociations poussives (avril-août)
Après l’incarcération d’Omar el-Bechir le 16 avril, les contestations continuaient avec toujours autant d’ampleur dans les rues de Khartoum, la capitale. Les manifestations faisaient toujours des morts et la situation semblait stagner. A ce moment-là, la junte cherche toujours à imposer son gouvernement pour deux ans, alors que l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), refuse d’accepter cela. Les négociations vont même être rompues pendant plusieurs jours, lorsque la junte décide de démanteler très violemment les campements de manifestants le 3 juin, faisant 108 morts et près de 700 blessés. Les négociations reprendront le 11 juin, mais toujours avec des manifestations qui ne cessent pas et un fort climat de tensions entre l’ALC et la junte. C’est le 5 juillet qu’un premier accord sera trouvé, entre les putschistes et l’ALC, qui prévoit la mise en place d’une transition sur 3 ans et 3 mois. Un gouvernement composé de cinq civils et cinq militaires, plus un membre choisi par les deux camps est mis en place. Il est prévu qu’il soit dirigé les 22 premiers mois par un militaire, et les 18 derniers par un civil. Il faudra attendre le début du mois d’août pour que, enfin, un accord sur une déclaration constitutionnelle soit trouvé.
Un accord historique
C’est le 4 août que, après trois longs mois de négociations très complexes, généraux militaires et représentants de la contestation sont enfin parvenus à un accord historique. Cette constitution se réfère à l’accord du 5 juillet pour la mise en place du gouvernement et prévoit que l’ALC possède 201 des 300 sièges de députés. Cet accord sera signé le 17 août. Il établit notamment, dès son préambule, l’égalité homme/femme, que ce soit au niveau politique ou au niveau des salaires. Cela est notamment dû à l’implication des femmes durant la révolution, comme Alaa Salah, 22 ans, la femme au voile blanc qui est devenue une icône des mouvements de contestation.

Un optimisme à relativiser
Un accord, donc, qui rend optimiste tout le peuple soudanais dans l’espoir d’une démocratie, après un siècle de régime militaire. Cependant, cela semble encore difficile de prévoir si l’armée et les FSR (forces de soutien rapide, des forces paramilitaires sous le commandement des services de renseignement) auront toujours de l’influence ou non. Pour l’instant, le Soudan arrive à éviter les scénarios catastrophe. Il n’y a pas eu, comme en Egypte en 2013, un désir trop rapide changement qui pourrait conduire à un nouveau coup d’état. L’IFIMES (institut international d’études sur le Moyen-Orient et les Balkans) a publié une analyse de la situation au Soudan en septembre et a exposé quatre facteurs positifs qui peuvent laisser présager un dénouement positif pour le Soudan. Tout d’abord, l’armée soudanaise a (hormis une de ses unités) refusé de tirer sur les manifestants et toujours cherché à trouver un accord pour satisfaire les attentes minimales des contestataires. Ensuite, les partis politiques ayant négocié la transition sont puissants, ont été patients et ont agît de manière à ne pas reproduire les erreurs que d’autres pays du Printemps arabe ont commises, en acceptant la présence de l’armée dans les négociations et dans le gouvernement de transition. Autre point positif, l’opposition à fait en sorte d’unir tout le peuple soudanais, y compris les minorités et les tribus, dans le but d’atténuer les discriminations et d’empêcher l’armée de profiter de leur vulnérabilité. Enfin, l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) a su empêcher le financement de la junte par plusieurs pays arabes, comme les Emirats arabes unis ou l’Arabie saoudite, afin qu’elle mène à bien un coup d’état, ce qui ne fut par exemple pas le cas en Egypte. Si le pays semble sur la bonne voie pour arriver, à terme, à devenir une réelle démocratie, l’optimisme reste donc à relativiser. Hormis l’incertitude qui règne autour des réels objectifs de l’armée et des services de renseignement dans cette affaire, le pays a également besoin de relancer son économie et a besoin d’une aide internationale à ce sujet. De plus, les conflits ethniques intérieurs et l’implication de l’armée dans des conflits comme celui au Yémen seront de réels défis pour le gouvernement de transition. Une transition qui s’annonce ardue et qui ne fait que commencer.
Quentin Ruda