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La démocratisation, ce bienfaiteur et bourreau des tatoueurs
INTERVIEW : Adrien a 26 ans, des piercings, un sac à dos multicolore, et une barbe noire bien fournie. Quand il pénètre dans la boutique rose bonbon aux angles des rues brestoises Traverse et Louis Pasteur, il devient Adri, le tatoueur. Il travaille depuis mars aux salons jumelés Tabarnak et Kornog de Brest. Encore jeune tatoueur, il est le fruit de la démocratisation du tattoo. Depuis une dizaine d’années, ce qui était vu comme une culture underground réservée aux métalleux, bagnards et marins, s’est fait une place dans le grand monde. Tout le monde peut se faire tatouer, tout le monde peut devenir tatoueur, pour le meilleur et pour le pire.

Depuis quand la démocratisation du tatouage est-elle en marche ?
Le souci, c’est que je suis un jeune tatoueur, je n’ai que quatre ans d’expérience, à peine. Je n’ai donc que peu de recul par rapport à cette évolution. Quand j’ai commencé à tatouer, la démocratisation était déjà bien en marche. À mon échelle, je pense que si le tattoo n’avait pas été si démocratisé, je ne serais peut-être même jamais devenu tatoueur. Si j’étais né vingt ans plus tôt, par rapport à ma famille, à mon éducation, c’est quelque chose que je n’aurais probablement jamais imaginé faire.
Comment le tatouage est-il devenu si accepté socialement ?
La première chose, je pense, c’est le fait qu’il y ait des stars et des icônes qui en portent en public et sur les réseaux sociaux. Sans oublier qu’en Occident, avant, la religion était un frein au tatouage. Maintenant, les gens sont un peu moins croyants, alors elle a moins d’influence. Mais selon moi, la principale raison c’est que le tatouage est un moyen de s’approprier son corps, de s’accepter et de mieux se connaître. Ce sont des thématiques sociales qui sont devenues très importantes dans notre société.
Quelles conséquences la démocratisation du tatouage a-t-elle sur le tatoueur… ?
Il y a un côté très positif pour les tatoueurs expérimentés. Ils ont cherché cette démocratisation après avoir été une contre-culture mise à l’écart pendant longtemps. Bien sûr, certains tatoueurs sont très contents de cette démocratisation quand d’autres regrettent « le bon vieux temps ». Il y a beau y avoir plus de tatoués, il n’y a pas pour autant plus de personnes s’intéressant à la culture du tatouage. C’est dommage sachant que c’est quelque chose qui se porte à vie. Un autre des problèmes est qu’il y a une forte augmentation du nombre de tatoueurs, qui ne sont pas tous expérimentés. Certains font des études d’arts poussées qui leurs donnent une véritable démarche artistique, grâce auxquelles la qualité globale du tattoo a augmenté. Mais il y a également des gens qui tatouent chez eux en pensant que c’est simple. Et eux, ils tirent le tatouage vers le bas.
… sur le tatoué ?
Avant la démocratisation, les tatoués étaient des gens qui faisaient la vraie démarche de se faire faire un tatouage. Maintenant, on voit davantage de clients arrivant avec des images Pinterest et n’ayant pas aboutis leurs recherches. Il y en a qui viennent avec un dessin en disant « je veux exactement ça ». L’objectif d’un tatoueur, c’est quand même d’offrir un tattoo unique sans reproduire à l’infini les mêmes trucs ! Ça a perdu un peu de sa magie, de ce côté underground où le tatouage était une petite communauté qui revendiquait « On est des tatoués ». Maintenant, le tatoué, c’est n’importe qui. Mais d’un autre côté, le tatouage s’ouvre à d’autres milieux. Moi je vois des personnes âgées qui se sont interdites de se faire tatouer pendant toute leur vie, et là, en comprenant que c’est plus accepté socialement, se font ce plaisir. Ce n’est jamais tout noir ou tout blanc.
… et sur le tatouage ?
Le tatouage est plus considéré comme un acte de consommation que comme une démarche personnelle. Il est comme une fringue qu’on achète parce que c’est cool d’avoir un tattoo à la plage. Le problème est que le tatouage est devenu un effet de mode, mais il n’a rien à voir avec. Lui, il est indélébile. S’il est associé à l’idée d’être à la mode, une fois celle-ci passée, le tattoo sera toujours là. Et il aura perdu tout son sens.
Comment pensez-vous que le rapport de consommation pourrait-être rationalisé ?
Quand je renseigne les gens, j’essaye de les éduquer à la culture tattoo. C’est vraiment primordial pour moi. C’est une culture tellement riche, recouvrant tant de sujets différents, que chacun peut y trouver son compte. Peu importe ses centres d’intérêts, son caractère ou ses antécédents culturels. Cette éducation permettrait d’avoir moins de tattoos ratés et moins de personnes avec une mauvaise expérience de tatouage. Cela réduirait aussi le nombre de recouvrements et de séances au laser pour enlever un tattoo raté ou non-voulu – et dont les demandes explosent en ce moment.
Faut-il donc s’inquiéter de la popularisation du tatouage ?
Dans l’ensemble, la démocratisation n’est pas négative. La proportion entre le positif et le négatif est difficile à définir. Mais il ne faut pas en avoir peur pour autant. Je pense qu’il faut l’accepter. De toute façon, on n’a pas le choix. Pour moi, la popularisation fonctionne par vagues : là, on est sur un cycle où le tatouage se développe énormément.
Propos recueillis par Enora Hillaireau