Les jeunes au cœur des manifestations indépendantistes à Barcelone

Depuis la mi-octobre, la Catalogne et sa capitale Barcelone sont secouées par des protestations, parfois violentes, en réaction aux condamnations de leaders indépendantistes. Samedi 26 octobre, des centaines de milliers de catalans sont descendus dans les rues. Parmi eux de nombreux jeunes, collégiens, lycéens ou étudiants.

Des milliers de manifestants indépendantistes se sont rassemblés Via Laietana devant le commissariat de police de Barcelone (© Equinox Magazine)

« Mes enfants sont inquiets de la situation en Catalogne » confie Enric. Ce père de famille pro-indépendance est venu avec ses trois fils, Aleix, Arnau et Adrian, âgés entre 12 et 15 ans. Ils ont pris part au rassemblement pacifique de la rue Marina dans l’après-midi du samedi 26 octobre. Prévue entre 17h et 19h, cette manifestation s’est déroulée calmement dans une ambiance festive et bon enfant. Preuve que la tension est redescendue après les violentes émeutes qui avaient éclaté à Barcelone la semaine précédente.

Depuis le lundi 14 octobre, jour du verdict, les rues de Barcelone ont été le théâtre d’affrontements avec la police, faisant état de 600 blessés. Ce qui a relancé les mobilisations, ce sont les lourdes peines de prison décidées envers les leaders séparatistes, pour avoir organisé le référendum de 2017. L’ancien vice-président régional Oriol Junqueras a ainsi été condamné à 13 ans de prison pour sédition et détournement de fonds public pour ce vote interdit par Madrid. « Les manifestations auxquelles nous avons pris part depuis étaient toutes pacifiques. Mais d’autres tournent mal, et celles-là je n’y vais pas avec mes enfants » commente Enric. Il ajoute : « en général les problèmes commencent quand la police met la pression, voire attaque les gens qui protestent pacifiquement ».

Des étudiants engagés

Des problèmes, il y en a eu, bien plus tard dans la soirée pendant la manifestation alternative sur la Via Laietana, non officielle et bien plus contestataire. Les Comités de Défense de la République (CDR), ces assemblées locales qui luttent pour l’indépendance de la Catalogne, ont appelé à lancer des balles de tennis et de base-ball sur les forces de l’ordre. La police craint des débordements tandis que des milliers de personnes se rassemblent devant le commissariat aux alentours de 20h. Les drapeaux catalans sont visibles partout : flottants au-dessus de la foule, pendus aux balcons ou encore noués comme une cape par les manifestants pro-indépendance.

Les drapeaux catalans et les rubans jaunes sont les symboles des indépendantistes, ici place Urquinanoa (© Etienne Le Van Ky)

Clara *, 17 ans, est venue manifester avec son groupe d’amis du lycée. Comme beaucoup d’autre étudiants, elle explique protester surtout contre la répression de l’Etat espagnol. « Ce que nous voulons vraiment c’est pouvoir voter, de manière démocratique, et l’Etat nous en empêche ». Non loin d’elle, un autre jeune au visage masqué tient une pancarte en catalan réclamant la « liberté pour tous les prisonniers politiques », « llibertat de tot el presos politics » en version originale. Selon Clara, l’indépendance de la Catalogne est loin de faire l’unanimité chez les jeunes de son âge. « Certains pensent même que l’Espagne a bien fait d’empêcher le référendum. Mais je pense qu’on est une majorité à être favorable à l’indépendance ».

J’ai un peu peur de la police, mais je suis là

Ismael, lycéen de 15 ans manifestant sur la Via Laietana

Son ami Ismael, dit Izma , a commencé à soutenir la cause séparatiste en 2017 alors qu’il n’était qu’au collège. Cheveux en bataille et sweat à capuche, il porte un foulard prêt à être enfilé pour se protéger des gaz lacrymogènes. Il pense que les émeutes et les affrontements avec la police des derniers jours ont pu impressionner d’autres jeunes, qu’ils n’oseraient pas descendre dans la rue. « Normalement les protestations sont pacifiques, mais je vous garantis que dans deux heures ça ne le sera plus autant» prédit en plaisantant le jeune lycéen. « Personnellement c’est vrai que j’ai un peu peur de la police, avec toutes ces vidéos violentes où ils frappent des manifestants… Mais je suis là quand même, c’est important ». Jordi*, âgé de 16 ans, se dit lui prêt à affronter la police si besoin. « J’ai l’habitude de ça » affirme-t-il tout en montrant un bleu sur sa main. Des slogans s’élèvent et sont repris par la foule et les différents groupes de jeunes, assis en plein milieu de la route : « Catalunya antifascista ! » ou encore « Fora de les forces d’ocupacion », « dehors les forces d’occupation ! »

Plus loin, devant le commissariat, des manifestants lancent des balles sur les policiers, qui ne répliquent pas. Ce n’est qu’à partir de 21h que les forces de l’ordre décident de mettre fin à la manifestation. La guardia civil, sous la tutelle du gouvernement central chargent en compagnie des « mossos d’esquadra », les policiers catalans, pour repousser les manifestants vers la place Urquinanoa. Ils cherchent à disperser le cortège à l’aide de gaz lacrymogènes et de fourgons, en se dirigeant droit vers les manifestants, qui reculent par mouvements de foules successifs. Les plus aguerris tentent de rassurer la foule en lançant des « Calma ! Calma ! » pour éviter les vents de panique.

Une banderole “L’Espagne est un pays fasciste” est brandie par les indépendantistes (© Hugo Metreau)

En tête de cortège, où des émeutiers font face aux forces de l’ordre, la situation est bien plus tendue, et vire à la violence quand des manifestants sont arrêtés sans ménagement. Des bruits de pétards claquent dans la nuit, des nuages de gaz lacrymogène s’étendent. La police entourée par une vingtaine de journalistes repousse tout le monde jusqu’à la place de Catalogne, où les manifestants s’éparpillent et se dispersent dans les rues adjacentes. Quelques uns tenteront d’installer des barricades avec des grilles en fer et des poubelles enflammés, mais les protestations sont bel et bien terminées pour ce soir.

Même si des heurts ont été observés, ils sont loin d’être comparables à ceux des premiers jours. Le bilan est bien plus léger : un seul blessé grave, il s’agit d’un mossos d’esquadra qui a chuté d’un véhicule en marche. On dénombrera au total sur la Via Laietana une quinzaine de blessés et trois arrestations en garde à vue. Pas de quoi décourager les jeunes indépendantistes, dont une centaine a installé un campement sur la Place de l’Université tandis que plusieurs syndicats étudiants ont déclenché une grève à durée indéterminée.

*prénom d’emprunt

À Barcelone, Hugo Metreau, Jean Uminski et Étienne Le Van Ky