novembre 04

Alexia Cassar, tatoueuse de tétons à plein temps

Tatoueuse de reconstruction. C’est le métier qu’a choisi Alexia Cassar. Cette femme de 42 ans dont le trait d’eye-liner sera bientôt reconnaissable entre mille dans le milieu du tatouage 3D est déjà à la tête de deux salons. Elle est la première tatoueuse en Europe capable de réaliser des tétons au réalisme époustouflant sur les peaux meurtries post-cancer de centaines de femmes… et d’une petite dizaine d’hommes.

Dans un studio privé près de la gare de Nice, Alexia Cassar accueille ses clientes. Entre le canapé à fleurs et l’escalier de la mezzanine où ses enfants dorment, se trouvent une chaise de tatouage, plusieurs dizaines de petits flacons d’encre et le panneau lumineux de son enseigne : « The Tétons Tattoo Shop. » « Je les accueille dans mon intimité : ce n’est un lieu ni médical, ni esthétique, ni un salon de tatouage » déclare Alexia. C’est une prise en charge très spéciale pour laquelle il faut prendre conscience de la fragilité du tatouage sur le sein. Cette fragilité, Alexia a commencé à la côtoyer dès le début de sa carrière dans l’oncologie. Pendant quinze années, elle a été biologiste dans le développement de molécules en cancérologie. Alexia est loin d’être profane sur le sujet et le jour où sa propre fille est touchée par une leucémie aigüe, tout perd quelque peu de son sens. Son travail n’est plus en phase avec les besoins des malades : « travailler derrière son ordinateur alors que des gens mourraient du cancer dans leur chambre d’hôpital n’était plus possible. » Sa nouvelle vocation lui éclate au visage lorsqu’elle tombe sur une vidéo de Vinnie Myers, un tatoueur de tétons renommé aux Etats-Unis et dans le monde entier. C’est alors le début de trois ans de formation acharnée pour devenir tatoueuse de tétons après mastectomie, trois ans de travail mais aussi de déception face à l’incompétence de certains professionnels s’autoproclamant tatoueurs de reconstruction.

Entre l’apprentissage du tatouage et les recherches sur la chirurgie du sein

En parallèle de son poste de biologiste, Alexia passe un an à faire des recherches bibliographiques. Elle s’informe auprès des médecins et des chirurgiens sur la toxicité des encres ou encore sur les pathologies qui contre indiqueraient le tatouage. Elle se renseigne aussi sur la chirurgie du sein. Comment est reconstruit le sein après une mastectomie, le principe de la greffe, les effets de la radiothérapie… Ce bagage scientifique est indispensable car « savoir dire non à une femme [ lorsque sa peau est trop fragile pour le tatouage ], est impossible sans formation » affirme Alexia. Côté tatouage, elle devient apprentie dans le salon de son quartier pendant une autre année pour bénéficier d’une formation de tatoueuse traditionnelle. Elle quitte alors son travail de biologiste et garde en tête son objectif : celui de faire du tatouage de téton en 3D.

Découverte des ravages de la dermopigmentation réparatrice

A présent, il est temps pour Alexia de compléter sa formation avec une préparation au tatouage 3D de reconstruction. Elle s’envole une première fois pour Marseille où elle découvre la dermopigmentation réparatrice. Quatre jours durant lesquels infirmières, médecins ou encore esthéticiennes voient défiler nombre de diaporamas et les bases de la colorimétrie. Les participants ont droit à quelques essais de dessin de tétons sur « une plaque de mousse avec encore l’étiquette Cultura dessus » s’exaspère Alexia en haussant les sourcils,  et à partir d’un emporte-pièce rond, ils remplissent l’intérieur du téton en dessinant des rayons  ou des petits cercles.  Au bout d’une vingtaine d’heures de formation, on leur donne une attestation de présence à la formation et une première patiente à tatouer. Le matériel utilisé est le même que celui pour le maquillage permanent. Des encres faites pour la peau du visage et non pour une peau irradiée et abîmée par la maladie, et une couleur qui s’efface au fil des mois pour ne laisser qu’une trace orangeâtre. « Vous avez une machine qui n’est pas adaptée, une formation qui n’est pas adaptée à ces tissus particuliers et une main qui ne sait souvent pas dessiner, déplore Alexia. Et à ces gens-là on va leur donner la responsabilité de reconstruire ce que ces femmes ont de plus cher dans leur guérison. »

De gauche à droite : la différence de qualité entre le tatouage fait par dermopigmentation réparatrice et le tatouage 3D d’Alexia Cassar ; le travail d’Alexia Cassar. @_alx_c_

Alexia, insatisfaite, trouve alors une nouvelle formation, cette fois-ci au Texas et pendant deux jours. Elle prend de la technique, apprend à mieux reconnaître les cicatrices mais, une fois de plus ce n’est pas suffisant : « on n’utilisait que les encres noires et rouges, le cercle des aréoles étaient encore mauvais et disproportionnels par rapport au sein de la patiente » décrit Alexia en montrant ses photos prises lors de son voyage. S’ensuit alors une rencontre avec un chirurgien à Paris, pratiquant le tatouage d’aréoles, qui lui confie deux de ses patientes. Le travail d’Alexia impressionne, elle gagne en notoriété et il décide de la remercier. En septembre 2017, après avoir tatoué quelques temps dans un local médical loué pour accueillir ses clientes, ses efforts sont enfin récompensés. Grâce à un crowdfunding (financement participatif en français), elle ne récolte pas moins de 33 000 € en 45 jours. C’est la naissance du premier « The Tétons Tattoo Shop » dans son jardin à Marly-la-ville.

Etre tatoueuse de tétons en 3D au quotidien

En deux ans, Alexia a tatoué plus de 500 tétons. Elle a encore fait évoluer sa technique en se formant au tatouage décoratif sur cicatrices auprès du Chicagolais David Allen. Elle reçoit des femmes françaises mais aussi des femmes venant de Russie, du Brésil, de Pologne, de Turquie, des Etats-Unis, de Nouvelle-Calédonie. Parmi elles, des femmes abimées par la dermopigmentation réparatrice. Leurs tétons ne sont ni symétriques, ni proportionnels, ni de couleur naturelle: « j’essaie de réparer les dégâts mais ce n’est pas toujours possible » avoue Alexia. Elle affirme que sans compétence scientifique, artistique, éthique et technique, vous ne pouvez pas être tatoueur 3D de reconstruction après mastectomie. « Il faut aussi être blindée, témoigne Alexia, tous les jours j’ai des femmes brisées qui ont été quittées par leur mari, qui ont perdu leur famille, leur travail et moi je dois les remettre en forme ». C’est une charge émotionnelle très lourde et une responsabilité immense. Etre tatoueuse de tétons pour des femmes rescapées du cancer du sein, c’est décider de ce que la personne va voir dans son miroir tous les jours. Quand les deux tétons sont à recréer, elles décident, avec ses patientes, de la forme, de la couleur, de la taille du téton à dessiner, c’est l’ « open bar tétons ». Une fois le tatouage terminé, le résultat est époustouflant. De face, l’illusion d’optique est parfaite, grâce à l’illusion du 3D, le téton semble se distinguer nettement de l’aréole et la couleur est en symbiose avec celle de la peau. C’est pour Alexia un vrai cadeau de les voir redécouvrir leurs corps : « souvent, elles me disent : vous avez réussi sans me connaitre, à recréer ce que j’avais. »

Jeanne Gandy