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Le rôle nébuleux de la France dans le génocide rwandais

Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important”. Ces quelques mots prononcés par l’ancien président François Mitterrand le 12 janvier 1998, pourraient résumer le positionnement de la France dans le génocide rwandais. Fournisseur d’armes et protecteur des tueurs, le pays a joué une place importante dans l’extermination des Tutsi en 1994.

Chaque année, une cérémonie a lieu pour commémorer les Tutsi exterminés en 1994. ©DR

Durant des années, la France a ignoré sa part de responsabilité dans le génocide rwandais. Pourtant, elle l’a cautionné et attisé de plusieurs façons. Vente d’armes, ignorance ou encore aide aux génocidaires… Ses actions ont eu une influence non négligeable sur l’extermination du peuple Tutsi.

800 000 Tutsi exterminés en 100 jours

En 1930, la société rwandaise est composée à 84% de Hutu (paysans) et à 15% de Tutsi (propriétaires de troupeaux), et demeure sous colonisation belge de 1918 à 1962. Les Belges attisent cette différence en s’appuyant notamment sur les Tutsi pour gouverner. Ils les laissent avoir accès aux études, contrairement aux Hutu. En 1962, le Rwanda devient indépendant et les Hutus prennent le pouvoir. Dix mille Tutsi sont tués et trois cent mille autres exilés. Dans les décennies suivantes, ils revendiquent leur droit au retour et attaquent régulièrement le territoire tandis que ceux restant au Rwanda deviennent de réels bouc-émissaires, constamment réprimés par les Hutus. Le point de rupture éclate en octobre 1990. Des réfugiés Tutsi (Front Patriotique Rwandais FPR) entrent en force au nord du Rwanda : c’est le début de la guerre civile.
Le 6 avril 1994, le président rwandais Juvénal Habyarimana meurt, son avion est abattu par deux missiles. Les extrémistes Hutu en profitent pour s’accaparer le pouvoir. Théodore Sindikubwabo devient alors président de la République deux jours plus tard. C’est le début du génocide des Tutsi perpétré par l’armée rwandaise, des milices et par la population elle-même. Cette tuerie durera 100 jours entre avril et juillet 1994. Machettes, houes et gourdins cloutés comme principales armes. D’après les chiffres de l’ONU, ce génocide aurait causé la mort de 800.000 personnes, majoritairement Tutsi et solidaires Hutu.

L’hexagone fournisseur d’armes

Au début de la guerre civile, dans les années 1990, la France aide le gouvernement rwandais en lui fournissant des armes et en entraînant ses troupes. Pendant cette période, des Hutu radicalistes endoctrinent militaires et civils. Leur but est d’exterminer les Tutsi, de réaliser une “purification ethnique”. Des massacres réguliers ont lieu mais la France continue de soutenir le régime de Juvénal Habyarimana avec comme objectif d’obtenir un traité de paix. Objectif qui sera atteint, en août 1993, avec les accords d’Arusha qui prévoient le retour des exilés Tutsi et le partage du pouvoir.

Lorsque le président rwandais est assassiné, des zones d’ombre sur les actions menées par le gouvernement français persistent. Tout d’abord, une des hypothèses concernant les auteurs des missiles meurtriers met en cause la France. Une fiche du ministère de la Défense du 7 juillet 1998 indique qu’au moins deux militaires français étaient présents sur les lieux du crash de l’avion dans les 15 minutes suivantes. La boîte noire de l’avion aurait pu ainsi être récupérée. L’hypothèse reste entière puisque le rapport de mission des militaires n’a jamais été rendu public.

La formation du gouvernement intérimaire des radicalistes Hutu s’est déroulée au sein de l’ambassade française. Le ministre des affaires étrangères, Jérôme Bicamumpaka, a même été reçu à l’Elysée le 27 avril 1994 soit une vingtaine de jours seulement après le début du génocide des Tutsi.

Ces opérations étaient clairement des opérations de soutien aux forces armées rwandaises”

La France n’a pas cessé de fournir ses armes alors que les massacres étaient en cours. Officiellement, le secrétaire général de l’époque Hubert Védrine affirme que “cela n’a rien à voir avec le génocide” mais les armes seraient destinées à combattre les rebelles Tutsi du FPR. L’Elysée est pourtant bien au courant des tueries qui ont lieu au Rwanda. La DGSE avait d’ailleurs proposé “une condamnation publique sans appel des génocidaires” au gouvernement français. Ce sera fait par Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères, le 18 mai 1994 sans désigner clairement un responsable. En juin 1994, l’opération Turquoise est lancée. Qualifiée d’ “’humanitaire” par le porte-parole du gouvernement Nicolas Sarkozy, avec pour objectif de “sauver tout ce que nous pourrons sauver des massacres”.

Néanmoins, le témoignage de l’ex-lieutenant-colonel Guillaume Ancel engagé au Rwanda en 1994 contredit N. Sarkozy. Il aurait par exemple été missionné pour déclencher des frappes aériennes dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1994 contre le FPR, autrement dit, en aide aux génocidaires : “ces opérations étaient clairement des opérations de soutien aux forces armées rwandaises qui étaient en train de commettre le génocide sous nos yeux”. De plus, après la chute du gouvernement extrémiste Hutu en juillet 1994 les génocidaires ont pu fuir vers des camps de réfugiés au Zaïre en passant par la zone humanitaire sûre, territoire contrôlé par la France.

Ouverture des archives en 2054

Autant de mystères que le gouvernement français ne s’empresse pas d’éclaircir. Les archives, notamment de journaux de marches et d’opérations établies au jour le jour par les unités de terrain, seraient alors plus qu’utiles. Le Service historique de la défense dispose à lui seul de 210 cartons d’archives « provenant de plus de 40 services ou unités différents ». Le 5 avril dernier, Emmanuel Macron a mis en place une commission d’historiens et de chercheurs chargés de mener une étude de toutes les archives françaises concernant le Rwanda entre 1990 et 1994. Selon le palais présidentiel, le but est “d’analyser le rôle et l’engagement de la France durant cette période et de contribuer à une meilleure compréhension et connaissance du génocide des Tutsi”. Cette commission ne sera ouverte que pour les huit personnes en faisant partie, les autres devront attendre la fin du délai de communication en 2054…

Jeanne Gandy & Lisa Noyal