La force n’est plus avec Star Wars

Il y a bien longtemps (dans une galaxie très lointaine), chaque sortie d’un nouvel opus de la saga Star Wars était un événement culturel à l’envergure inégalée. Né il y a plus de quarante ans, le récit galactique des aventures de Luke Skywalker appartient sans conteste à la grande histoire du cinéma. Mais depuis la fin de sa première trilogie en 1983, la franchise a connu des heures plus difficiles. Alors que le neuvième opus de la saga sort en salles ce mercredi 18 décembre, retour sur ce phénomène pour lequel l’engouement s’est largement dissipé depuis quelques années.

Tout commence en 1999, lorsque le père de Star Wars, George Lucas, dévoile sa « prélogie » : trois nouveaux films qui se concentrent sur le parcours tragique du jeune Anakin Skywalker, père de Luke, destiné à devenir le célèbre Dark Vador. Mais ce retour très attendu déçoit un grand nombre de fans, qui n’y retrouvent pas la magie des épisodes originaux. Critiquée pour sa surabondance d’effets numériques et son intrigue parfois trop enfantine, parfois trop politique, la prélogie est loin de faire l’unanimité. Et, bien qu’elle ait servi d’entrée dans l’univers pour une nouvelle génération de cinéphiles qui voit ces œuvres d’un autre œil, elle laisse encore pour beaucoup un arrière-goût de frustration. Nous sommes en 2005, la saga compte alors six opus et George Lucas est catégorique : « Il n’y aura jamais de Star Wars VII ». 

Jar Jar Binks, un personnage de la prélogie qui, à lui seul, catalyse les nombreux reproches de la part des fans. © LUCASFILM

Pourtant 10 ans plus tard, Star Wars VII a bien lieu, Disney s’étant offert la franchise pour la somme de quatre milliards de dollars. George Lucas n’a plus la main-mise sur sa création et beaucoup appréhendent une nouvelle fois l’avenir de cette saga, conscients que la qualité des films ne sera que l’intérêt second de la firme aux grandes oreilles. Celle-ci prévoit déjà un nouveau volet Star Wars par an.

Mais Star Wars, ce sont aussi des livres, des séries et jeux-vidéos qui enrichissent depuis des décennies cet univers en constante évolution. Les nouveaux producteurs en charge de la saga n’en ont que faire. À l’exception des films en chantier, tout est annulé. La série The Clone Wars prend fin prématurément, LucasArts – société à l’origine de nombreux jeux-vidéos Star Wars depuis les années 1980 – ferme officiellement et l’ensemble de l’univers étendu est dé-canonisé par Disney. Désormais, seuls les films, déjà sortis et à venir, appartiennent officiellement à cet univers. Au détriment de ses fans, Star Wars semble se détruire de l’intérieur. 

Un premier succès mitigé

Cela n’empêche, malgré tout, d’attirer du monde en salle lorsqu’arrive enfin Star Wars VII : Le Réveil de la Force au mois de décembre 2015. Certains attendent ce film depuis 1983 tandis que d’autres vont découvrir la saga pour la première fois. Globalement apprécié, cet opus ne propose rien de révolutionnaire mais l’objectif de divertissement est atteint et lui permet de rapidement devenir le troisième plus grand succès de l’histoire du cinéma. Pourtant, progressivement, beaucoup reprochent au film son manque d’originalité. En effet, sa trame narrative est, à peu de choses près, une redite de celle du tout premier Star Wars : Un Nouvel Espoir. Et il y a de quoi se méprendre au vu de ce synopsis : avant d’être arrêté par une armée de clones et leur général sith tout de noir vêtu, un rebelle va devoir confier des plans primordiaux à son droïde, alors abandonné dans un désert. Il finit par tomber sur un des locaux qui va l’aider à transmettre ces plans jusqu’à la base rebelle, avant d’entreprendre une attaque destinée à détruire la base spatiale de l’ennemi, une planète mécanique dont les missiles sont capables de détruire d’autres planètes. 

De nombreux internautes se sont amusés à distinguer chacune des similitudes entre les deux films. ©LUCASFILM

Au-delà de ce schéma narratif déjà vu, Le Réveil de la Force désacralise les six premiers volets de la saga. George Lucas avait instauré une prophétie selon laquelle un “Élu” apportera à jamais l’équilibre dans la Force. Un objectif central aux deux trilogies, finalement atteint au terme de l’épisode VI, Le Retour du Jedi. Mais le voilà ridiculisé par l’existence même d’un septième opus qui prouve que cette prophétie n’était pas réelle. Un sentiment de retour en arrière qui réduit fortement l’impact émotionnel des précédents films.

Voilà tout ce que craignaient certains fans au moment du rachat de la franchise : des films faciles et malhonnêtes. Mais certains d’entre eux s’estiment satisfaits, voyant ce premier volet comme une bonne introduction à la nouvelle trilogie, une sorte de pont entre l’ancien et le nouveau. Et il est vrai que, propre au style de son réalisateur JJ Abrams, cet opus propose un grand nombre de mystère non résolus. De nombreuses possibilités qui s’ouvrent alors pour Star Wars VIII, que l’on attend beaucoup plus original.

Mais dès 2016, les mauvaises annonces arrivent. Bien que Rian Johnson, le scénariste de ce prochain volet prévu pour 2017, ait bénéficié de dix mois pour produire son script, la sortie du film est repoussée de huit mois pour des besoins de réécritures. La même année sort Rogue One : A Star Wars Story, le premier spin-off de la saga. Un récit indépendant des trois trilogies qui propose d’aborder l’univers sous un nouvel angle mais qui a également connu des difficultés de production puisque des “reshoots” se sont avérés nécessaires, seulement quelques mois avant sa sortie fin décembre. À la surprise générale, l’œuvre est acclamée par la critique comme le public et dépasse le milliard de dollars en recettes mondiales. Malgré le succès, ces divers événements témoignent d’un manque d’organisation des producteurs. Et peut-être d’un mauvais choix de réalisateurs ? 

La semblant incapacité des studios Disney se confirme l’année suivante : après cinq mois de tournage, les réalisateur Phil Lord et Chris Miller abandonnent le projet du second spin-off, prévu pour 2018 et axé sur la jeunesse de Han Solo. Des différends artistiques avec la présidente de la franchise, Kathleen Kennedy, qui causent évidemment d’importants problèmes d’organisation. Ron Howard est engagé deux jours plus tard pour terminer le film. Au mois de septembre, Colin Trevorrow annonce qu’il quitte lui aussi le navire et ne réalisera donc par Star Wars IX, le volet censé clore la nouvelle trilogie. Deux changements de réalisateurs en quelques mois, qui s’accumulent aux péripéties de productions de Star Wars VIII et de Rogue One… il est désormais évident que quelque chose cloche au sein de Disney. Kathleen Kennedy est rapidement accusée par les fans de trop vouloir contrôler et ne pas laisser les réalisateurs exercer leur créativité.

La déception de trop

Star Wars VIII :  Les Derniers Jedi sort finalement le 13 décembre 2017 et aussitôt les avis négatifs se font entendre. Jamais un épisode n’a autant divisé la communauté car bien que certains louent la prise de risque de Rian Johnson et son côté imprévisible, d’autres sont véritablement déçus par ses choix dans l’évolution des personnages. Ils soulignent également les incohérences marquantes du film, son abus du bathos (copiant le style humoristique propre aux films de super-héros Marvel) qui tend à ridiculiser certains personnages et décrédibiliser les passages dramatiques, son aspect moralisateur qui sort le spectateur du récit (sauvons les animaux !) ainsi que sa rupture totale avec ce que le précédent volet tentait d’instaurer. Car les réalisateurs des deux derniers films semblent se livrer une petite guerre à travers des choix qui sonnent comme des piques destinées à l’autre. C’est pas exemple le cas de la mort prématurée du grand méchant de cette nouvelle série, dès le second opus. Il ne reste désormais plus qu’un film pour clore cette trilogie dont personne ne comprend encore l’intérêt vis-à-vis des six premiers volets. Car le principal souci est là, dans la conception même de ces films qui, à aucun moment, n’ont été pensés en une seule et même œuvre dans son ensemble. Et c’est au moins pour ça que l’on peut préférer la prélogie qui comportait finalement un objectif explicite : nous amener aux prémices d’Un Nouvel Espoir.

Après avoir réalisé Star Wars VIII: Les Derniers Jedi, Rian Johnson a reçu des menaces de mort de la part de certains fans en colère. © LUCASFILM

Evidemment, le succès économique est présent. Au box-office, Les Derniers Jedi est premier sur l’année 2017, avec plus d’1,3 milliard de dollars de recettes. Mais c’est tout de même 700 millions de moins que le précédent volet. La frustration augmente chez de nombreux fans, d’autant que l’annonce de deux nouvelles trilogies, dont l’une sera scénarisée et mise en scène par ce même réalisateur, en fait grogner plus d’un. Avec tous ces projets, il pourrait donc y avoir un film Star Wars chaque année jusqu’en 2025. Mais le public commence réellement à saturer.

La perte d’engouement

Au mois de mai 2018, le spin-off centré sur le mystérieux pilote Han Solo fait son apparition et l’excitation autour de sa sortie est beaucoup plus faible qu’elle n’aurait pu l’être quelques années plus tôt. Malgré l’amour des fans pour ce personnage, nul ne ressent le besoin de connaître son histoire. Un appel au boycott est lancé tant que Kathleen Kennedy tiendra les rênes de la franchise. Avec 392 millions de dollars, Disney réalise le plus faible score de l’histoire de la saga et perd près de 50 millions sur ce projet. Les critiques, quant à elles, montrent le film comme un divertissement banal. Star Wars a perdu toute sa superbe.

Malgré un casting impressionnant (Emilia Clarke, Woody Harrelson), Solo : A Star Wars Story n’a pas rencontré le succès escompté. © Lucasfilm

Ce fiasco a plus d’une conséquence sur les producteurs qui décident de retarder tous leurs projets. Bob Iger, PDG de Disney, finit par admettre qu’il s’est précipité avec Star Wars, et promet que plus de temps sera pris entre chaque sortie à l’avenir. Au mois d’octobre cette année, l’un des projets de nouvelle trilogie est finalement annulé.

À la veille de sa sortie, l’engouement pour Star Wars IX, censé conclure plus de quarante ans d’histoire, est donc au plus bas. Personne ne ressent l’atmosphère qui existait autour de la sortie des volets précédents, et les nombreux teasers et extraits diffusés n’y changent pas grand-chose. Ces derniers mois, Disney a donc tenté de mobiliser les fans par tous les moyens, parfois même en revenant sur ses décisions : pour satisfaire un grand nombre de spectateurs, la très appréciée série animée The Clone Wars, qui avait rapidement été annulée après le rachat de la franchise, va finalement reprendre à partir de 2020. Un jeu vidéo intitulé “Star Wars Jedi : Fallen Order” est également sorti le 15 novembre dernier, trois jours après l’épisode pilote de The Mandalorian, la première série en live-action (prises de vue réelles, à l’opposé de l’animation) dans l’univers de la saga.

En réalité, on peut élargir le sentiment de lassitude de ces dernières années au tout Hollywood, car l’industrie qui semble à court d’idée ne propose ces temps-ci que des redites de films des années 1970 et 1980. Simplement le cas Star Wars, pour lequel Disney a déjà investi des dizaines de milliards de dollars, semble en être le plus criant exemple. Et vouloir faire du neuf avec de l’ancien n’est pas nécessairement un problème, seulement il existe une différence entre s’inspirer du passé et se complaire dedans.

L’industrie du cinéma ne voit plus son public comme des cinéphiles mais comme des fans. Il faut donc plaire à ces fans mais aussi plaire aux nouvelles générations qui ne connaissent pas Star Wars. Plaire aux enfants qui connaissent la saga mais aiment autant les originaux que la prélogie. Paraître rétro mais pas kitsch. Rendre hommage aux anciens épisodes mais faire aussi avancer l’histoire… Il est impossible de satisfaire tout le monde. Et produire un film dans cet unique but n’est que contre-productif. Il n’aura fallu que trois ans à Disney pour l’apprendre.

Finalement, l’engouement presque fanatique pour Star Wars nous fait oublier que ce ne sont que des films. Il y a ceux qui détestent encore la prélogie, ceux qui s’y sont fait, puis ceux qui ont grandi avec et apprécient ces films. Avec cette nouvelle trilogie, l’histoire se répètera sans le moindre doute.

Thomas Gallon et Colin Revault