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Fuir son pays pour éviter la guerre
Farah, syrienne de 27 ans, a connu la guerre civile dans son pays. Elle a accepté de raconter son expérience de réfugiée, expérience qu’elle considère positive malgré les difficultés rencontrées.
Issue d’une famille de classe moyenne, d’un père commerçant et d’une mère employée au gouvernement, Alallaf Gheibeh Farah étudiait à l’école d’architecture de Damas lorsque la guerre civile syrienne a débuté. C’est en mars 2013 qu’un évènement va venir perturber sa vie à jamais. Elle perd plusieurs amis à cause d’une bombe dans la cafétéria de l’école. 16 étudiants sont morts. Après ça, beaucoup d’élèves ont arrêté les études et décidé de partir même s’il ne leur restait qu’un an de formation pour avoir le diplôme. « Pour moi, deux mois sans études et perdre mes amis c’était vraiment un choc. C’était très difficile pour moi et reprendre une vie normale, surtout en étudiant au sein du même établissement après l’attentat. » explique Farah. La vie de Farah change du jour au lendemain. Elle et ses proches devaient s’attendre : « Tout le monde se questionnait sur son propre sort. Quand est-ce que ce sera notre tour ? Quand est-ce qu’il tombera une nouvelle bombe ? » L’ambiance dans les rues était pesante, des contrôles minutieux se déroulaient tous les jours, n’importe quand et n’importe où. Farah raconte que les militaires arrêtaient souvent les civils pour vérifier que « nous n’étions pas dangereux ». Des secteurs à Damas sont complètement bouclés, fermés par les militaires : « Ces zones ont été désertées par les habitants, ils se sont réfugiés au centre, donc nous nous sommes retrouvés parfois jusqu’à 10 personnes pour 60m2, on pensait que c’était pour une courte période, alors que ça a continué… » décrit la jeune femme syrienne. Au fur et à mesure, Farah s’est rendu compte qu’il fallait aller de l’avant, elle a donc préféré faire comme si de rien était. Avec le soutien de ses parents, elle a fini ses études puis ouvert un cabinet d’architecture à Damas, avec son compagnon Morhaf. Tradition militaire oblige, ce dernier était appelé à rejoindre les troupes. Farah ne souhaitait en aucun cas qu’il y prenne part : « Il fallait trouver une solution rapidement. La guerre c’est la folie. »
« Quand tu es syrien, tu es vu comme un terroriste »
Farah et Morhaf décident alors d’entamer une demande de visa « touristique » aux pays voisins. En sachant que toutes les ambassades de Syrie avaient fermé, il fallait voir ailleurs : « Je me rendais très souvent au Liban dans les différentes ambassades. Après sept mois d’attente administrative, j’ai reçu une première réponse négative de la part de l’ambassade d’Allemagne. » raconte Farah. Et ce, malgré une obtention de tous les papiers nécessaires, une acceptation à l’université d’Hanovre et un certificat de langue allemande auprès de l’ambassade. Tout était réuni pour fuir la Syrie et se rendre en Allemagne. Lorsque nous lui demandons la raison pour laquelle, selon elle, leur visa a été refusé, la réponse paraît simple : « Quand tu es syrien, tu es vu comme terroriste. » Selon la jeune femme, il fallait rester fort car elle considérait cette période comme « la pire de [sa] vie ». Une deuxième solution était celle de la Turquie. Vite devenue impossible. D’après Farah, ce rejet était lié aux gouvernements : « C’est la politique le problème, c’est un jeu trop compliqué. Nous on n’a rien contre la Turquie… » Le couple s’est vite retrouvé dans une impasse. Il ne restait alors qu’un mois à Morhaf avant de se soumettre aux troupes syriennes. Ils apprennent finalement que l’ambassade du Brésil a réouvert, et comme Farah le décrit, « avec des cadeaux et des pots-de-vins » ils ont pu recevoir leurs visas « touristiques » direction l’Amérique du Sud. Leur motif ? Pour une lune de miel car oui, ils se marient le 28 septembre 2016. Trois jours après c’est le grand départ.
« Heureusement qu’on avait un peu d’argent de côté »
Le départ se fait à Damas. Une voiture et un peu d’essence pour arriver jusqu’au Liban, à Beyrouth. Un premier avion pour se rendre au Togo, puis de Lomé (capital du Togo) à Sao Paulo avec un second avion, Farah s’estime chanceuse d’avoir pu débourser autant d’argent dans ce voyage qui lui a permis de fuir la guerre : « Heureusement que nous avions un peu d’argent de côté, presque 1000 euros de billets d’avions sans compter les autres déplacements…ça fait mal (rires). » Après plusieurs heures d’avions, c’est l’arrivée en Amérique du Sud. Cependant cela ne s’arrête pas là, les plans ont changé et le couple syrien décide de se rendre en Guyane (territoire français frontalier au nord du Brésil). De Sao Paulo à Macapa en avion, puis de Macapa à Oiapoque (ville frontière) en bus nocturne, il suffit alors de traverser le fleuve portant le nom de la ville brésilienne pour arriver en France, en pleine Amérique du Sud. Après trois jours de voyage sans trop d’encombres, Farah et Morhaf partent directement voir la police pour déclarer leur arrivée et ainsi demander l’asile et la protection française.
« Même les citoyens syriens ne peuvent pas comprendre la situation »
Farah reste optimiste sur la situation en Syrie, son pays natal. Elle croit beaucoup en la reconstruction sociale et matérielle : « Cela prendra plusieurs dizaines d’années pour tout réparer mais j’espère et croit fortement à une solution qui sortirait mon pays de cette crise. » Pour elle, le principal problème est la politique menée par Bachar al-Assad : « Pour le moment c’est trop compliqué de comprendre ce qu’il se passe là-bas, même les citoyens eux-mêmes n’y comprennent rien. Il y a trop d’acteurs, entre les turques, les kurdes, Daech, les russes, les chinois…etc. » Une situation complexe pour la jeune femme qui relativise tout de même vis-à-vis de son arrivée en France : « La France m’a permis de découvrir une nouvelle vie et une nouvelle opportunité pour tout recommencer. » Farah et Morhaf sont aujourd’hui habitants nancéens depuis un an et demi. Ils comptent d’abord finir leur master qu’ils ont entamé pour obtenir un diplôme d’état en architecture. Le couple syrien peut maintenant se rassurer sur leur quotidien moins belliqueux, et se concentrer sur leur prochaine volonté : acquérir la nationalité française.
Propos recueillis par Tom Menetrey et Alexandre Pastorello