décembre 20

« Avant je ne me regardais plus dans le miroir »

Selon l’Institut National du Cancer, le cancer du sein est celui le plus fréquemment observé chez les femmes en France, comme dans l’Union européenne et aux États-Unis. Le nombre de cas observés chaque année a tendance à diminuer depuis 2005, même si cette maladie reste la première cause de décès par cancer chez les femmes en 2012. Dépisté à un stade précoce, la survie à 5 ans est de 99%. Comment font-elles pour aller mieux psychologiquement et physiquement après avoir connu cette affection ? Nathalie Orman fait partie de ses femmes atteinte du cancer du sein. Elle a 56 ans et habite à Lille. Ancienne infirmière, elle a décidé d’arrêter de travailler après la naissance de ces trois enfants. Diagnostiquée du cancer du sein en 2016, cette femme forte décide de se sortir de la maladie très rapidement. Après un grand parcours médical de 3 ans, elle choisit d’avoir recours au tatouage de reconstruction pour « se retrouver ». Nathalie raconte son histoire avec la maladie et sa démarche inhabituelle pour se reconstruire.

Nathalie à la suite de son tatouage accompagnée de la tatoueuse Audrey de l’association Sœur d’encre (©Nathalie Orman)

Quel est votre parcours avec la maladie ?

On m’a diagnostiqué un cancer après une mammographie en avril 2016. Tout est arrivé très vite… Au mois de mai je commençais les traitements. D’abord de la chimiothérapie, ensuite une mastectomie totale en novembre 2016. Par la suite, J’ai dû subir un curage ganglionnaire* car mon ganglion été atteint. J’ai eu 25 séances de radiothérapie à partir du mois de février 2017, de l’immunothérapie, et maintenant je suis sous hormonothérapie pendant environ 5 ans.  Après ces 3 ans de lourd parcours médical, j’ai fait une reconstruction mammaire, et maintenant mes traitements se prennent par comprimés. C’est beaucoup moins pesant que les autres traitements mais il faut faire attention à une potentielle prise de poids.

Quand et pourquoi avoir pris la décision de faire un tatouage de reconstruction après avoir subi un cancer du sein ?

Mon image dans le miroir ne m’allait pas… Au début je voulais demander une reconstruction du mamelon, mais c’est finalement le tatouage qui l’a remporté. J’avais toujours rêvé d’avoir un tatouage : je trouve que c’est beau, cela permet de cacher les cicatrices que je ne supportais plus. Alors au mois de mai, j’ai contacté l’association Sœur d’encre… Je peux enfin dire que j’ai une meilleure image de moi dans le miroir !

Quelles craintes aviez-vous avant de vous faire tatouer ?

Aucune crainte ! J’avais juste hâte… Quel bonheur de pouvoir remettre des décolletés, avant c’était pull-overs ras du coup obligatoire…

Comment avez-vous pris connaissance de ce type de tatouage ?

J’étais sur des sites du style « Maison rose » qui aident les femmes atteintes de cancers. Le magazine en question parlait de l’association Sœur d’Encre, ça a été un véritable déclic pour moi ! Le tatouage est totalement gratuit et c’est une véritable chance pour toutes les femmes. J’ai fait un don pour l’association tout de même, car elles ont beaucoup de demandes et ne peuvent pas s’occuper de tout le monde par manque de moyens… Maintenant j’aimerais créer ma propre enseigne à Lille pour aider les femmes comme moi… ce n’est pas donné pour tout le monde de devoir se déplacer à Bordeaux ou à Paris ! *

Comment s’est déroulée la rencontre avec la tatoueuse, et la création de votre tatouage ?

J’ai contacté Nathalie Kaid, la créatrice Sœur d’Encre, qui m’a rapidement répondu et m’a mise en contact avec Audrey, la tatoueuse. J’ai dû envoyer des photos de ma poitrine et de mes cicatrices… Au départ je voulais faire un cerisier japonais mais Audrey m’a dit que tout le monde faisait ça et qu’il fallait être originale ! Alors j’ai décidé de faire un hibiscus. Elle me l’a dessiné et j’ai tout de suite accroché ! Avant la création du tatouage, on se rencontre et on mange ensemble. Nous étions cinq femmes ce jour-là à devoir se faire tatouer et toutes, nous avions connu le même parcours de vie avec le cancer. On est très bien accueillies, c’est une équipe formidable, j’ai vécu des moments forts et inoubliables durant cette journée… Pendant toute la réalisation du tatouage on ne regarde pas ce que Audrey est en train de faire. C’est pour conserver la surprise jusqu’au bout ! A la fin du tatouage, je l’ai prise dans mes bras. J’étais vraiment très émue. C’est l’un des plus beaux moments de ma vie…

J’ai gardé contact avec certaines de ces femmes, je communique toujours avec Audrey, elle me demande de mes nouvelles. Je vais la revoir au mois d’août pour finir le tatouage sur ma cicatrice dans le dos. Il sera la continuité de mon tatouage sur le sein, probablement un bouton de fleur dans le même esprit que l’hibiscus.

Nathalie, très émue, remercie sa tatoueuse Audrey après la réalisation de son tatouage sur le sein. (©NathalieOrman)

Quel rapport à votre corps aviez-vous avant ? Et maintenant ?

Avant je ne me regardais pas dans le miroir. Ce n’était plus un sein que je voyais… Sans soutien-gorge je ne pouvais plus me voir. Maintenant je suis fière. Je remets des décolletés, je le montre à tout le monde et l’affiche fièrement ! [rires] Je me sens beaucoup plus à l’aise. Avant je me cachais, j’avais peur du regard des autres, que l’on voie mes cicatrices … maintenant je m’assume complètement !

En avez-vous parlé autour de vous ? Quel regard les gens portent-ils sur votre tatouage ?

Pour moi ce tatouage c’est la fin d’un long parcours médical douloureux, c’est une façon pour moi de tourner la page et de dire que c’est terminé… ce n’est pas que j’oublie, mais j’avance ! Alors oui je l’affiche fièrement, les gens autour de moi le trouvent très beau … Ma fille qui est également tatouée, me trouve belle comme ça et me dit qu’elle est fière de moi… Que demander de plus ?

Que diriez-vous aux personnes concernées par un cancer, des cicatrices ou des brûlures… et qui souhaiteraient effectuer un tatouage de reconstruction comme le vôtre ?

Qu’elles foncent sans hésitation, qu’elles osent faire ce qu’elles ont envie de faire ! Je voulais faire quelque chose de discret au départ et pas trop visible, mais il faut écouter son cœur et foncer ! Il ne faut pas avoir honte !

Propos recueillis par Fanny Gallezot

*Le curage ganglionnaire est une intervention pratiquée pour enlever une région ganglionnaire. On pratique cette intervention pour retirer des ganglions lymphatiques qui contiennent des cellules cancéreuses et d’autres ganglions lymphatiques lorsqu’il y a un risque élevé que le cancer s’y propage.

* L’association Sœur d’Encre est uniquement installée dans ses deux villes de France.