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Polémiques dans le monde de l’analyse génétique
26 millions de personnes à travers le monde ont acheté un test ADN depuis 2013 afin de découvrir leurs origines. Plus de 100 000 Français s’en sont déjà procurés, alors que leur usage récréatif est illégal dans l’hexagone. Les lois bioéthiques en régissent strictement la pratique à cause de multiples controverses.
Lever le voile sur son passé. Un simple coton tige frotté dans l’intérieur de chaque joue, un envoi à un laboratoire d’analyse, et les origines géographiques de ses ancêtres n’ont plus de secret ! Plus encore : certaines entreprises spécialisées permettent d’être mis en lien avec des personnes présentant des concordances de génome (de la famille plus ou moins éloignée) quand, eux aussi, ont fait le test.
L’institut de technologie du Massachusetts (MIT) estime que plus de 26 millions de personnes ont acheté un test ADN à usage récréatif dans le monde depuis 2013. Aux États-Unis, des entreprises comme Ancestry, 23andMe ou MyHeritage en proposent à partir de 59 dollars. En France, l’usage des tests ADN est régi par les lois bioéthiques et sa pratique est encadrée par les articles 16-10 et suivants du Code civil. Leur utilisation récréative est formellement interdite, tout comme leur publicité. Les examens génétiques ne sont acceptés que dans trois cadres bien particuliers : à des fins médicales, judiciaires et pour la recherche scientifique. Seuls les laboratoires spécialisés sont habilités à les réaliser. Autrement dit, un particulier qui effectue un test ADN par le biais d’une entreprise privée pour découvrir ses origines est dans l’illégalité. Le simple achat d’un de ces tests sur Internet est d’ailleurs interdit pour un résident français. L’amende prévue par le Code pénal est de 3 750 euros. Cela n’a pourtant pas empêché quelques 100 000 Français d’avoir recours à cette pratique, d’après la Fédération française de généalogie.
Une popularité grandissante
“Test ADN origines”, “Je découvre mes origines” : une fois tapés dans la barre de recherche Youtube, ces quelques mots font apparaître des dizaines de vidéos. Une multitude de youtubeurs français se sont livrés au jeu des origines. Parmi eux, des personnalités comme Amixem, Docteur Nozman, les filles de Rose Carpet ou encore Bilal Hassani. L’un des précurseurs dans le domaine est Squeezie. Il est le plus grand youtubeur français1, et l’un des premiers à découvrir ses origines en vidéo il y a de ça deux ans. Ces vidéos, vues plusieurs millions de fois pour certaines (plus de 6 millions pour Squeezie), ont contribué à populariser les tests ADN auprès du grand public. Comment ces youtubeurs ont pu réaliser un test génétique sans avoir de soucis avec la législation ? De manière assez simple : les kits d’analyse s’achètent sur le web, les analyses de salive se réalisent dans les laboratoires de l’entreprise (dans un pays autorisant ces tests ADN), et les résultats sont disponibles sur des sites Internet hébergés aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, qui ne tombent donc pas sous le coup de la législation française.
L’anonymat mis à mal
Populaires sur les réseaux sociaux et polémiques dans la sphère sociale. Les tests ADN à usage récréatif sont sujets à de nombreuses controverses. La première question qui se pose est celle de l’anonymat. Communiquer son ADN revient à remettre des données très personnelles entre les mains d’entreprises. Si cette décision est souvent mûrement réfléchie, elle n’est pas aussi intime qu’imaginé. L’ADN est, par définition, en parti partagé avec les membres de sa famille biologique. En conséquence, ce ne sont pas que des informations sur son ADN propre que récoltent les laboratoires d’analyses, mais également sur les “bouts” en commun avec son entourage. Eux, n’ont pas toujours donné leur aval pour que des entreprises récoltent des données personnelles à leur sujet.Les tests ADN sont très prisés par les adeptes de généalogie pour identifier de la famille éloignée. Autre utilisation répandue : retrouver un parent. Se pose alors la question de la protection des mères accouchant sous X ou des donneurs de gamètes dont l’identité pourrait être révélée sans leur accord. Dans une interview à Marie-Claire, le président de l’association PMAnonyme Vincent Brès déplore qu’en “six mois, on en est déjà à dix donneurs (anonymes) retrouvés ainsi que 43 demi-frères et sœurs.”
La fin des secrets de famille
Les tests ADN sont une porte ouverte sur les secrets de famille. En 2017, le Washington Post révèle l’histoire abracadabrantesque d’Alice Collins Plebuch. Tout commence en 2012, quand elle découvre que son père n’est pas le fils de ses grands-parents. A 64 ans, l’Américaine Alice Collins Plebuch effectue un test génétique de 23andMe pour s’amuser. Elle se sait Irlandaise, mais se découvre à moitié Juive ashkénaze. Ses parents décédés, elle n’a personne à qui demander d’où provient cette mystérieuse origine. Elle décide de faire passer le même test d’analyse à sa soeur, son frère et quelques cousins. Les résultats montrent que le chromosome2 X de son frère ne contient aucun marqueur de l’ethnie ashkénaze. Or, les hommes n’héritent que d’un chromosome X : celui de leur mère. Un des chromosomes X d’Alice Collins Plebuch portant des marqueurs d’origine ashkénaze, il ne peut venir que de son père. Problème : le père de l’américaine était irlandais. Improbable donc que les origines Juives ashkénazes ne viennent de lui.
Les résultats génétiques des cousins d’Alice apportent un nouvel éclairage au mystère. Le neveu du père d’Alice ne partage aucun gène commun avec la famille Collins. Autrement dit, ils ne sont pas des cousins biologiques. Deuxième conséquence : le père d’Alice et sa soeur ne sont génétiquement pas liés.
C’est finalement grâce à une concordance d’ADN avec une inconnue que l’énigme se résout. Le cousin d’Alice se découvre une cousine dans la base de données génétiques de 23andMe. Le grand-père de celle-ci est né le même jour et dans le même hôpital que le père d’Alice. Les certificats de naissance des deux hommes avaient été signés par le même médecin. Les deux bébés ont été interchangés par erreur, ce qui fait qui explique pourquoi Collins Plebuch est moins Irlandaise qu’elle ne se pensait.
Utilisation et vente des données génétiques
Quand on fait un test ADN, les résultats sont conservés sous forme de données. Les entreprises les conservent, puis s’en servent pour proposer aux clients des personnes ayant une partie de génome en commun. C’est ce que fait FamilyTreeDNA, parmi tant d’autres. Si cela s’avère pratique pour constituer un arbre généalogique ou pour faire l’excitante découverte d’une famille à l’étranger, il ne faut pas oublier la protection des données. En 2018, l’entreprise 23andMe a lancé un grand froid : elle a vendu pour 300 millions de dollars de données génétiques au laboratoire pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline. Cela représente l’entièreté de son fichier client de 5 millions de personnes. C’est une vente dite “pour la bonne cause”. Les données récoltées devraient servir la recherche pour créer de nouveaux médicaments, notamment contre la maladie de Parkinson. 23andMe se défend en assurant que les informations vendues ne permettent en aucun cas d’identifier les clients. 80% d’entre eux avaient déjà accepté que leurs données ne soient utilisées pour la recherche médicale.Family Tree DNA met la barre encore plus haut : le FBI. L’entreprise d’analyse ADN – une des plus populaires du secteur – collabore avec le FBI en lui donnant accès à plus d’un million de profils génétiques. C’est la première fois qu’une entreprise privée d’analyse génétique ouvre ses données aux forces de l’ordre. Le but est d’aider le FBI dans ses enquêtes. Comment ? De la même manière que les particuliers utilisent ces tests pour retrouver des membres de leur famille : par les concordances d’ADN. Si un criminel recherché a un proche dans la base de données de FamilyTreeDNA, les enquêteurs pourront le retrouver plus simplement. Pourtant, cette collaboration a de quoi en refroidir plus d’un, car elle s’est faite sans l’accord des clients de l’entreprise, comme le dévoile BuzzFeed. Le fondateur de FamilyTreeDNA a déclaré que le FBI n’aurait accès qu’aux informations déjà publiques (noms, e-mails ou photos). Si davantage s’avérait nécessaire, les enquêteurs devraient alors “procurer une décision de justice valide, à l’instar d’une citation à comparaître ou un mandat de perquisition.” Par ailleurs, l’entreprise rappelle que ses clients peuvent ne pas être vus par le FBI, mais ils devront alors refuser que leurs données ne soient accessibles à quiconque – ce qui empêche toute liaison avec de nouveaux membres de sa famille.
Des tests incomplets
Les tests ADN servent la médecine afin de déceler des cancers ou des maladies génétiques, et pour adapter la prise en charge de certains patients au regard de leurs caractéristiques génétiques. Auparavant réservées aux laboratoires spécialisés, les entreprises se lancent à leur tour dans les analyses médicales. En mars 2018, 23andMe a obtenu l’autorisation de vendre à ses clients un test détectant les mutations dans l’ADN, liées à des forts risques de cancers. La US Food and Drug Administration (l’institution ayant autorisé la mise en vente) met en garde : celui vendu par 23andMe ne tient pas compte de toutes les mutations qui peuvent révéler ou mener à des cancers. Obtenir un résultat négatif ne signifie pas qu’il n’y a aucun risque. Le test de 23andMe ne s’attarde que sur les mutations les plus connues des gènes BRCA1 et BRCA23, quand il en existe plus d’un millier qui prédisposent à un cancer.
Par ailleurs, la US Food and Drug Administration a ordonné en 2013 la cessation de la vente d’un test médical de 23andME portant sur plus de 250 maladies. Pour l’institution, les clients pouvaient se trouver perdus face aux résultats, les menant à diverses analyses et chirurgies non nécessaires.
Les controverses grandissantes n’entament pas la popularité des tests ADN à usage récréatif. En 2018, autant de personnes s’en sont procurées que le total des cinq années précédentes. Le MIT évalue, que si la tendance continue au même rythme, ce sont les données génétiques de 100 millions de personnes qui seront accumulées d’ici à deux ans.
Deniziot Hugo et Hillaireau Enora
1 13,7 millions d’abonnés en 2019
2 L’ADN est contenu dans les chromosomes. Les humains en compte 23 paires, dont une de chromosomes sexuels. C’est cette paire qui définit biologiquement le sexe : XX pour les femmes, et XY pour les hommes.
3 Les gènes BRCA1 et BRCA2 sont des gènes suppresseurs de tumeurs. Paradoxalement, la mutation de l’un d’eux peut mener à un risque fortement accru de cancer du sein.