janvier 15

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Au Cachemire, les gens sont virtuellement coupés du monde depuis cinq mois

La coupure des services téléphoniques et d’Internet font partie des nombreuses restrictions mises en place par l’Inde au Cachemire, après lui avoir retiré son statut semi-indépendant. (Photo : AFP Photos/Tauseef Mustafa)

Depuis août, la région du Cachemire indien est une véritable zone blanche. Plus de 12 millions d’habitants y vivent coupés du monde, sans télécommunications ni Internet, et avec couvre-feu imposé. Ces mesures prises par le gouvernement indien sont d’autant plus anti-démocratiques que les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à entrer dans la région.


Le Cachemire, petite région méconnue de l’Asie du Sud, est depuis plus de cinquante ans le théâtre d’une crise humanitaire et géopolitique peu médiatisée. La région, autrefois indépendante, est aujourd’hui divisée et partagée entre la Chine, le Pakistan et l’Inde. Depuis cet été, les habitants du Cachemire administré par l’Inde vivent dans une région sur-militarisée – la plus militarisée au monde, sans moyen de communication interne ou avec l’extérieur.

Le 5 août, l’Inde décidait d’abroger l’article 370 de sa Constitution, qui conférait au Cachemire indien un statut spécial et une certaine autonomie depuis 1974. Cet article lui donnait notamment le droit à sa propre Constitution, son drapeau, et de légiférer dans presque tous les domaines. Le drapeau cachemiri a depuis été officiellement supprimé. Dans la foulée, l’Inde a déployé des troupes militaires en très grand nombre (quelque 900 000 troupes au total), imposé un couvre-feu à 20 h, arrêté leaders politiques, avocats, et syndicalistes, et coupé toute télécommunication téléphonique et Internet. La région n’en est pas à son premier blackout. D’après le site internetshutdowns.in, le Cachemire a connu 180 coupures d’Internet au total.

« Un bâillon gouvernemental »

Le gouvernement indien justifie ces mesures restrictives comme une façon de prévenir un soulèvement, en empêchant les rebelles de communiquer entre eux. Et l’isolement ne s’arrête pas là : les journalistes étrangers ne sont pas autorisés dans la région, sous risque de créer de l’agitation. Les journalistes locaux, eux, souffrent d’interdictions et de confiscations qui étouffent leur travail et rendent l’accès à l’information difficile, même à l’intérieur. Un « centre de médias » gouvernemental a été mis en place pour les quelque 250 journalistes accrédités, dans lequel dix ordinateurs leur permettent d’avoir accès à quinze minutes d’Internet sous étroite surveillance.

Les journalistes locaux se disent humiliés par le « bâillon gouvernemental » exercé sur la population et sur la presse. (Photo : REUTERS/Shakeel-ur-Rehman)

Le 3 octobre, pour le 100e jour de blackout, plus d’une centaine de journalistes cachemiris marchaient dans les rues. Ils demandaient la fin d’un « bâillon gouvernemental », et déclaraient se sentir humiliés. Cette année, Reporters sans Frontières (RSF) a classé l’Inde 140e sur 180 dans leur classement mondial de la liberté de la presse. Le pays a chuté de deux places par rapport à l’an dernier. RSF justifie cela par l’exclusion des journalistes étrangers du Cachemire, rendant la couverture médiatique très difficile, et les violences dont les journalistes locaux sont la cible.

45% des adultes souffrent de maladies mentales

Au-delà de la presse, la suppression des communications et la présence des troupes affectent aussi l’éducation, le commerce, ou encore l’accès aux soins. En 2015, Médecins sans frontières jugeait que 45% des adultes du Cachemire, pour la plupart des femmes, montraient des symptômes de troubles mentaux, en particulier de dépression, d’anxiété, ou de stress post-traumatique. Depuis le début des mesures restrictives, les Cachemiris peinent à avoir accès à des traitements et soins hospitaliers. Les commerces, eux, ont depuis fin novembre de nouveau accès à Internet, mais sous plusieurs conditions. Pas d’utilisation de clé USB, pas de réseaux sociaux, de VPN ni de Wi-Fi, pas de fichier crypté, et un accès complet des forces de sécurité à leur contenu : voilà les conditions que ces sociétés doivent signer pour bénéficier d’un accès à Internet. Leur utilisation du web doit être strictement professionnelle, et les autorités ont le droit de la suspendre de nouveau à tout moment s’ils estiment que les conditions n’ont pas été respectées.

Le Premier ministre indien Narendra Modi assure qu’il ne faudra pas plus de quatre mois pour résoudre la « situation anormale » qui persiste au Cachemire depuis cinquante ans. En attendant, le blackout qui coupe actuellement les Cachemiris du reste du monde, est, depuis le 16 décembre, devenu le plus long que la région ait jamais connu.

Iman Taouil