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L’enseignement du niçois fragilisé par la réforme du bac
La nouvelle forme du baccalauréat va mettre à mal l’enseignement des langues régionales, dont le niçois fait partie. Un coefficient désormais très réduit pourrait décourager les élèves de choisir cette option. Professeurs et autres défenseurs du nissart montent au créneau.

Prévue à partir du bac 2021, la « réforme Blanquer » est sujette à contestations dans le monde de l’éducation. L’une d’elles concerne la place de l’enseignement des langues régionales dont fait partie le niçois. Elles ne feront plus l’objet d’un examen final, mais seront désormais jugées aux notes acquises au cours de l’année. Le baccalauréat qui se profile en juin sera donc le tout dernier comportant une épreuve de niçois en tant que telle. « Le nissart sera complètement noyé dans le contrôle continu » déplore Serge Chiaramonti, professeur de niçois à Contes. Ce n’est pas tout : le coefficient, le poids d’une matière dans la note finale, est largement revu à la baisse. « Avant c’était un coefficient 2, comme le latin ou le sport. Maintenant ça comptera pour moins d’un 1% dans la note finale ! » s’exclame l’enseignant.
Déjà 80% d’élèves en moins
Cette décision pourrait détourner les élèves de ces apprentissages, souvent choisi pour ce qu’ils rapportent. « Il ne faut pas se leurrer, On sait que les élèves font des choix aussi en jugeant si c’est rentable ou non » détaille Serge Chiaramonti. « Ça va être plus difficile de motiver les jeunes si ça ne rapporte rien ». Il est vrai que « l’utilité pour l’emploi n’est pas évidente » comme l’explique Cristou Daurore, professeur de niçois au lycée Sasserno de Nice. « Hormis dans le patrimoine ou le tourisme, les débouchés professionnels sont très réduits ». Cela n’empêchait pas les près de 400 lycéens qui choisissaient chaque année l’option « nissart » au bac dans les Alpes-Maritimes. Selon les professeurs, la tendance était même à la hausse. « De plus de 30 élèves par classe avant, on est passé à difficilement 5 ou 6 aux niveaux de première et de seconde, déjà touchés la réforme » s’accordent à dire les deux enseignants.
« C’est vraiment faire fi de tous nos efforts ! »
La réforme a déjà réduit de plus de 80% le nombre d’élèves en cours de niçois, contraignant même le lycée de Roquebrune-Cap-Martin a en arrêter l’enseignement. L’emploi des professeurs est en péril, même s’ils disposent toujours de la possibilité d’enseigner une autre matière par l’obtention d’un « double-CAPES » (diplôme des professeurs). « On risque de perdre notre poste dans notre matière originelle » regrette Serge Chiaramonti. « C’est vraiment faire fi de tous nos efforts, tout ce qu’ont pu faire les professeurs et les élève, qui apprennent parfois le niçois depuis bien plus longtemps que le lycée »

Depuis plusieurs années, l’apprentissage du niçois se développait pour mieux s’adresser aux enfants dès le plus jeune âge, ce que démontre l’ouverture d’école bilingues français-nissart comme celle des Orangers dans le quartier Saint-Roch, ouverte en 2013. Les efforts étaient aussi faits à l’échelle du collège, où le niçois est mis sur le même pied d’égalité que d’autres langues. « Dans mon collège, les élèves de la classe de 5e peuvent choisir entre latin et niçois » explique Serge Chiaramonti. Une croissance continue soutenue par la mairie de Nice, qui n’a pas apprécié l’annonce de la réforme. Le maire niçois Christian Estrosi, ancien soutien d’Emmanuel Macron, avait déjà annoncé « saisir le gouvernement » sur la question en mars 2018.
Professeur de niçois au lycée Sasserno, Cristou Daurore est aussi « président » de la Republica de Nissa et l’une des figures de l’identité niçoise. Avec d’autres professeurs et personnalités nissardes, il est monté sur Paris le 30 Novembre pour une mobilisation générale pour la défense des langues régionales. Près de 500 personnes enveloppées de drapeaux corses, breton ou encore catalans ont protesté devant le ministère de l’Education Nationale en réponse à l’appel du collectif « Pour que vivent nos langues ». Serge Chiaramonti n’avait pas pu être présent mais soutenait évidemment le mouvement. « Toutes les langues régionales sont dans le même bateau. Ce sont des enseignements qui interpellent aux jeunes, parle de leur région, leur ville ».

Stan Palomba, président d’associations culturelles niçoises, était lui bien du voyage. Il a parlé à Nice-Matin d’un véritable « combat culturel » : « S’il n’y a plus l’enseignement du nissart au lycée, il n’y a plus de théâtre, de musique, de danse folklorique. Nos jeunes, nous les recrutons au lycée dans les cours de nissart ! ». Tous les défenseurs de langues régionales s’accordent sur ce point : il est important de retrouver leur pratique non pas seulement dans les salles de classe, mais aussi dans la vie quotidienne. « La transmission dans la famille ne se fait presque plus, en tant que professeur on essayait de pallier un peu » détaille Cristou Daurore. « Si ces langues et donc le niçois disparaissent de l’enseignement, il faudra se battre pour qu’elles soient plus prégnantes dans la société et le cocon familial ». C’est en ce sens que celui qui changé son nom en niçois (il est né Christophe Duchesne) dit privilégier une autre attitude, moins dépendante de l’Etat et des collectivités territoriales. Selon lui, la solution passe par les écoles associatives prises en main par les parents eux-mêmes. Dans tous les cas, son objectif reste le même. Sauver le niçois et les langues régionales.
Etienne Le Van Ky et Félix Paulet