
Étiquettes
Bien comprendre le débat autour de la chloroquine
D’après une étude chinoise, confortée par autre une étude du professeur Didier Raoult, l’hydroxychloroquine serait efficace contre le covid-19

Edit 26/03 : Le ministre de la santé autorise la prescription d’hydroxychloroquine pour traiter le covid-19. Le Plaquenil pourra être prescrit uniquement par les spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie.
Edit 27/ 03 : Le gouvernement précise dans un nouveau décret que l’hydroxychloroquine sera finalement administrée « après décision collégiale » pour les cas les plus sévères ( « pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe. » Art1-3 )
Lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche le 19 mars 2020, Donald Trump déclare à propos de l’hydroxychloroquine “D’après ce que j’ai vu, cela pourrait changer la donne. Nous allons pouvoir rendre ce médicament disponible quasiment immédiatement”. Des propos rapidement démentis par la FDA, l’autorité chargée d’autoriser la commercialisation des médicaments aux États-Unis.
En France comme à l’étranger, le médicament est sur toutes les lèvres. Le maire de Nice Christian Estrosi a affirmé s’être soigné du covid-19 à la chloroquine. Les Républicains et la France Insoumise appellent à faire confiance au docteur Raoult et dénoncent l’inaction du gouvernement. Alors que vaut vraiment ce médicament ? Les études sont-elles fiables pour le prescrire à tous les patients ? On fait le point.
D’abord, qu’est ce que la chloroquine ?
Il s’agit d’une molécule qui compose divers médicaments pour lutter contre le paludisme. C’est le cas de la Nivaquine, commercialisée par les laboratoires Sanofi.
Et l’hydroxychloroquine dans tout ça ?
Il s’agit d’un dérivé de la chloroquine, commercialisé sous le nom de Plaquenil. Il est notamment utilisé pour traiter le lupus. Les médias font souvent la confusion entre les deux médicaments. Les molécules sont assez proches mais l’hydroxychloroquine présente moins de risques d’effets secondaires graves.
Pourquoi en parle-t-on autant ?
Tout commence lorsque le professeur Didier Raoult, spécialiste des maladies infectieuses tropicales émergentes à la faculté de Marseille, se félicite dans une vidéo diffusée le 25 février de l’efficacité de la chloroquine contre le Covid-19. Dans cette vidéo initialement intitulée “Coronavirus : fin de partie” (mais renommée suite à une plainte du journal Le Monde), l’infectiologue déclare s’être basé sur les résultats d’une analyse chinoise. Les conclusions de cette étude parue le 19 février vantent les effets de la chloroquine sur le Covid-19. Le professeur Raoult lance alors des essais cliniques sur 24 patients atteints du coronavirus. Il évoque les résultats préliminaires dans une vidéo mise en ligne le 16 mars, après seulement six jours de traitement à base de Plaquenil (médicament contenant d’hydroxychloroquine ). Selon lui, les résultats sont clairs : le virus avait disparu chez les trois quarts des patients.
Que reproche t-on à la chloroquine et à son dérivé, l’hydroxychloroquine ?
Plusieurs problèmes se posent. D’abord, l’analyse chinoise à la base des recherches du professeur Raoult a été réalisée in vitro, c’est à dire avec des essais biologiques en laboratoire et non directement sur des patients. Autre problème, seule la conclusion des analyses a été communiquée lors d’ un point presse du gouvernement chinois. L’accès aux données brutes n’a pas été autorisé aux autres chercheurs. Impossible donc d’avoir le détail de cette étude.
Deux nouvelles études chinoises, publiées les 9 et 19 mars confirment l’efficacité in vitro de l’hydroxychloroquine, particulièrement en cas d’orage cytokines. L’orage cytokines est une réaction inflammatoire violente qui peut subvenir dans les cas graves du coronavirus. Les résultats sont encourageants mais nécessitent des essais cliniques, c’est à dire sur des patients et non en laboratoire.
Que reproche-t-on au docteur Raoult ?
L’étude de Didier Raoult pose de nombreux problèmes. Contrairement aux protocoles classiques d’essais cliniques dit en double-aveugle ( ni le patient, ni le prescripteur ne doivent savoir si le patient utilise le médicament actif ou le placebo ), ici, les patients et les médecins savaient dans quel groupe se situaient les patients. On peut penser que cela introduit un biais dans les mesures. Les groupes ont été constitués de manière non randomisée, c’est-à-dire que contrairement aux protocoles usuels, les patients n’ont pas été répartis dans les groupes par tirage au sort mais selon le choix des chercheurs.
Il y avait donc trois groupes : 16 personnes testaient à la chloroquine, 14 testées à l’hydroxychloroquine et un dernier groupe de 6 personnes testé à l’hydroxychloroquine assorti d’un autre antibiotique.
Les données ont été communiquées au bout de six jours. Pourtant, sur la déclaration d’essai clinique européen, la durée de l’essai indiqués 14 jours. Les résultats ont donc été publiés bien avant la fin de l’étude officielle. Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique juge dans Le Monde que l’étude « est conduite, décrite et analysée de façon non rigoureuse avec des imprécisions et des ambiguïtés. Il s’agit d’un essai à fort risque de biais selon les standards internationaux. Dans ce contexte, il est donc impossible d’interpréter l’effet décrit comme étant attribuable au traitement par hydroxychloroquine ».
D’autres interrogations subsistent comme l’âge ou le stade de la maladie chez les patients testés. Dans le rapport de l’étude, on peut lire que 10% des patients ont arrêté le traitement en cours de route… Pour voir le détail des anomalies constatées, vous trouverez des informations sur cet article de France Culture.
Le professeur Raoult a tout de même le mérite de « ménager » les institutions scientifiques. Le journal Marianne lui consacre un portrait et revient sur son éternel combat avec le milieu médical.
Y a-t-il des risques à utiliser la chloroquine ou l’hydroxychloroquine ?
Oui. La chloroquine est bien connue pour la lutte contre le paludisme sur une courte durée mais des effets secondaires existent : vomissement, démangeaisons ou douleurs gastriques. Les malades atteints de psoriasis ou qui prennent d’autres médicaments en parallèle risquent l’intoxication et des troubles cardiovasculaires pouvant entraîner la mort. Pour cette raison: ne prenez surtout pas de chloroquine sans l’avis d’un médecin.
À la suite de l’annonce de Donald Trump concernant la supposée efficacité du médicament contre le covid-19, un homme est mort en Arizona pour avoir ingéré de lui-même du phosphate de chloroquine, un produit utilisé pour nettoyer les vitres d’aquarium. Des cas d’empoisonnement similaires à la chloroquine ont été constatés à Lagos au Nigeria la semaine dernière.
Concernant l’hydroxychloroquine, les risques secondaires sont une perte partielle d’acuité visuelle, des maux de tête et des troubles digestifs. Plus rarement, elle peut entraîner des décollements généralisés de la peau voire des insuffisances cardiaques entraînant la mort.
L’État a-t-il retiré du marché la chloroquine en janvier 2020, juste avant le début de l’épidémie en France ?
Oui. L’arrêté du 13 janvier 2020 paru au journal officiel a inclut l’hydroxychloroquine sur la liste II des substances vénéneuses. Il faut désormais une ordonnance pour se procurer le médicament. Mais contrairement aux théories conspirationnistes, l’Anses avait été saisie dès le mois d’octobre 2019 pour reclasser l’hydroxychloroquine, soit deux mois avant l’apparition du virus en Chine.
Peut-ont quand même soigner des patients du covid-19 à la chloroquine ou à l’hydroxychloroquine ?
Oui. C’est avant tout les méthodes de l’infectiologue Didier Raoult qui sont remise en doute par la communauté scientifique. Il avait fait parler de lui à plusieurs reprises, pour sa méfiance envers les vaccins ou encore pour ses prises de positions parfois proches des climato-sceptiques.
L’inserm a démarré le 22 mars un essai clinique européen incluant 3200 patients dont au moins 800 Français atteints de formes sévères du Covid-19. L’essai traitera 4 médicaments dont l’hydroxychloroquine. Les résultats devraient être connus d’ici deux à trois semaines, un temps record pour un essai de cette ampleur.
D’autres essais cliniques ont été lancé en Corée du Sud, en Thaïlande et au Royaume-Uni. Depuis le 13 mars, l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière teste l’hydroxychloroquine sur une cinquantaine de patient tandis qu’un essai de plus grande ampleur doit débuter au CHU de Lille.
La chloroquine et l’hydroxychloroquine pourraient présenter des résultats chez les patients qui ne souffrent pas de formes sévères du coronavirus. Elle est déjà utilisée chez la plupart des patients hospitalisés. Mais en l’absence de signe du coronavirus, et sans aucun avis médical, n’utilisez pas de chloroquine ou de dérivé du médicament. Les risques de surdosages et les effets secondaires ne peuvent pas être négligés.
Julien Morceli