avril 10

« LoDka » : une mise en abyme délirante

Le spectacle russe « LoDka », emmené par Natalia Parashkina et quatre comédiens du Théâtre Semianyki, explore la vie d’une troupe de théâtre aux aventures rocambolesques 

Créé en 2017, le spectacle de Sergey Byzgu mêle folie et drôleries, au grand bonheur des spectateurs présents au Théâtre National de Nice, le vendredi 6 mars dernier. Crédit Photo : Alisa Gill

Entre cris, délires, et gestuelle significative (car le spectacle est muet), LoDka place le monde du théâtre au coeur de l’histoire. L’histoire (finalisée en 2017), c’est celle d’une troupe théâtrale, composée de plusieurs comédiens, d’un metteur en scène colérique et d’une auteure à l’imagination débordante. À travers leur quotidien, on plonge dans des aventures loufoques et entrainantes. En mettant en scène, par à-coups, du théâtre dans un spectacle, Sergey Byzgu met en place une forme de mise en abyme. C’est-à-dire, une oeuvre dans une oeuvre. Car ceux sont les scènes jouées par ce petit théâtre ambulant qui rythment une représentation muette. 

L’alternance entre jeu et écriture 

Très vite, l’auteure s’empare de sa plume et écrit, écrit, écrit jusqu’à ce que la scène soit jouée. Celle-ci ne fonctionnant pas, l’auteure réécrit, réécrit, réécrit et ainsi de suite. Cette « alternance » met en avant ce monde impitoyable qu’est celui des artistes. Au coeur du monde de LoDka, où figurent des comédiens du Théâtre Semianyki ainsi que Natalia Parashkina, c’est l’étrangeté et l’absurdité qui règnent, pour se mettre au service de l’humour, évidemment omniprésent. Scène vertigineuse sur le rebord d’un immeuble, et surtout scènes sur une barque, « LoDka » en russe (d’où le titre du spectacle), alimentent respectivement la tension et le rire. Ceux sont les passages à bord du bateau, en début de pièce, qui laissent le spectateur embarquer à bord d’un véritable délire créatif. Ce « délire » auquel la majorité du public adhère dès les premières minutes en laisse cependant une partie de côté : plusieurs personnes quittent la salle durant la représentation. Compréhensible, tant l’ensemble paraît parfois déstructuré. 

Des personnages loufoques

Le temps d’une scène, trois personnages se transforment soudainement en figures du quotidien (le pompier) et de la culture populaire (Superman, le tueur des films « Scream »…). Cela dans un spectacle où, au plus grand bonheur des nombreux enfants dans le public, les moindres fait et gestes sont accentués. L’exemple en est quand l’un des protagonistes crache littéralement sur ses mains afin de tourner les pages d’une pièce de théâtre, toute juste écrites. En écrivant, le personnage de l’auteure donne vie à ses pensées : les membres de la troupe jouent derrière elle la scène en train d’être écrite. 

Le « délire » est poussé à son paroxysme quand les personnages intègrent les spectateurs à l’histoire. C’est notamment le cas lorsque, atterrissant sur les genoux d’un membre du public, l’un des personnages est sauvé d’une chute qui aurait pu lui être fatale. Symboles de personnages dépassés, les danses désordonnées et les éléments de décors aux fonctions multiples (des chaises de salon se transforment soudainement  en sièges de voitures…), rendent l’ensemble vivant de bout en bout. Un ensemble rythmé par une musique quasi-omniprésente et extradiégétique (dont les personnages n’ont pas conscience). C’est en tout cas ce que l’on croit car c’est dans les ultimes minutes du spectacle que l’un des protagonistes choisit d’ordonner à la musique de s’interrompre par un bref « stop ! ». Revirements et désordre constituent l’essence de ce spectacle qui apparaît aux yeux du spectateur comme distractif et stimulant; créatif et réjouissant. Un spectacle russe où, tout en s’en moquant, on rend hommage au théâtre. 

Dorian Vidal