mai 01

Étiquettes

Le vieux qui écrivait des romans d’amour

L’écrivain chilien Luis Sepulveda auteur d’Un nom de torero et de nombreux autres livres au succès international est mort jeudi 16 avril du Covid-19

« C’est important de ne pas oublier que comme toute chose la vie a un début et une fin, et je voudrais finir mes jours quelques part par ici dans ce sud qui est mon sud ». Son souhait s’est exaucé ; diagnostiqué positif au coronavirus le 19 février dernier, le conteur chilien s’est éteint jeudi matin dans son Sud, celui des Asturies. 

C’est en 1981 qu’il découvre pour la première fois, par hasard, cette région du sud de l’Espagne. Tout de suite il se sent chez lui. À des milliers de kilomètres du Chili, il a trouvé sa patrie. Car pour lui ce n’est pas la terre, mais la langue. Le Chili évoque pour Luis Sepulveda un sentiment ambigu d’amour et de haine. Les retrouvailles avec Santiago, la ville de sa jeunesse, de son premier amour, de ses engagements politiques, ont été douloureuses : la ville a trop changé, elle est devenue une « imitation grotesque de Miami ».

Après des années de résistance, Luis Sepulveda a perdu son dernier combat, celui face au Covid-19. Une fin en deçà du romanesque du reste de sa vie. Petit-fils d’un anarchiste andalou et d’un chef indien mapuche, le chilien était digne des héros de ses livres. Dès l’âge de 12 ans il entre aux Jeunesses Communistes, avant de s’engager auprès de Salvador Allende « la voie chilienne vers le socialisme ». Le 11 septembre 1973, jour du coup d’État, met un terme à ses rêves de révolution et à sa jeunesse. À vingt-et-un ans Luis Sepulveda est devenu un adulte. Il est ensuite emprisonné pendant plus de deux ans sous la dictature d’Augusto Pinochet pour « trahison » et « conspiration ». Durant sa détention il est torturé, on lui arrache les ongles de pieds à plusieurs reprises. Libéré en 1977 grâce à l’action d’Amnesty International, il est contraint de quitter le pays – dont il ne retrouvera la nationalité qu’en 2017.  Commence alors pour lui une période d’errance entre l’Amérique latine et l’Europe.

De ces aventures entre les deux continents vont naître ses plus beaux livres, à commencer par Le Vieux qui lisait des romans d’amour. Perdu en Croatie, 10 ans après son expérience auprès des indiens Shuars, c’est d’un seul jet qu’il écrit les deux premiers chapitres. Il sait déjà que le personnage sera son alter ego. Luis Sepulveda et « le vieux », sont en tous points semblables, exilés, bannis de 2 mondes – le chili et la révolution – les livres sont alors tout ce qui leur reste. 

Pendant son séjour en Equateur il se rend au Nicaragua, il y  rencontre une allemande. Avec elle il fait un pari : s’il ne meurt pas là, ils iront ensemble à Hambourg. Voir ce port si lié à celui de Valparaíso. « Le port d’Hambourg correspond vraiment à l’idée qu’on se fait d’un port c’est une fenêtre sur le monde, un passage ». Il y vit dix ans, et n’en garde « aucun mauvais souvenir ». Cette parenthèse allemande lui permet d’écrire, notamment cette intrigue Un nom de torero qui devait forcément passer par Hambourg, le personnage central étant très autobiographique.  

Luis Sepulveda dit être devenu écrivain par « égoïsme », ayant lu tous des livres de Jules Verne, de Salgari, de Stevenson, il n’a plus rien à se mettre sous la dent… alors il écrit, un peu à la manière de ses auteurs favoris. Pour écrire Luis Sepulveda se réfugie à l’étage de sa maison ; il a besoin de s’isoler pour travailler.  « Je peux parler tout seul, m’engueuler quand ça coince, rigoler quand ça avance bien ». Presque tous ses livres pourtant sont nés dans la cuisine, lieu le plus chaleureux et le plus vivant d’un foyer à ses yeux. Pour avancer dans son histoire, le chilien a aussi besoin de bouger, de prendre l’air. 

Dans ces moments rien de tel que d’aller voir la mer. Celui qui a grandi au Chili, pays au presque 5000 kilomètres de côtes, est habitué à sentir la mer toujours très proche de lui, comme une présence quasi constante. « J’aurai beaucoup de mal à vivre sans le murmure de la mer, sans avoir le bruit des vagues dans les oreilles.» La mer n’a pas de limite, elle n’emprisonne pas, c’est une invitation à embarquer, à prendre le large. C’est cet intérêt pour la mer qui amène Luis Sepulveda à se battre aux côtés de Greenpeace. 

Ecologiste dans l’âme, il défend son amour pour la nature dans Le monde du bout du monde ou Histoire d’une baleine blanche. «Raconter c’est résister », Luis Sepulveda a fait de ce proverbe sa ligne de conduite. Pour lui  « l’écrivain peut jouer un rôle sociétal ». L’écrivain grâce à sa capacité de synthèse et de formulation peut davantage captiver les lecteurs et les aider à comprendre l’importance de certains sujets. Ici, l’importance de l’enjeu climatique. 

Celui qui a découvert la littérature grâce à son grand-père « j’avais 8 ans quand il a commencé à me lire Don Quichotte et cette lecture a durée jusqu’à mes 12 ans, ma vocation littéraire vient surement de là » n’est plus. Aujourd’hui Don Quichotte, calepin et  stylo sont rangés, ils ne serviront plus.

Ines Alves-Chaineaud