
La Chine et son influence dans un monde « post-américain »
Pendant que le monde combat le nouveau coronavirus, la Chine voit un moyen de jouer un rôle important dans le monde et au sein de sa population.
La mort officielle le 7 février du docteur Li Wenliang est un événement marquant de cette pandémie. Agé seulement de 34 ans, le médecin chinois de l’hôpital central de Wuhan a été interpellé par la police début janvier pour « propagation de fausses rumeurs ». Ce dernier avait, deux jours avant son interpellation, alerté ses collègues quant aux dangers de ce nouveau virus. Il n’est pas le seul à avoir subi cette oppression : l’arrestation de 7 autres médecins a également été relatée par les médias officiels. L’objectif du gouvernement chinois : faire taire le corps médical pour étouffer l’inquiétude la veille du Nouvel an lunaire. Forcées de reconnaître leur erreur trois semaines plus tard, les autorités ont réhabilité ces médecins qui ont eu le tort d’avoir eu raison trop tôt. À la suite du décès du jeune médecin, des centaines de millions de chinois ont exposé sur les réseaux sociaux leur émotion, colère et critiques. Encore une fois, le gouvernement utilise la censure pour s’imposer. Il ferme de nombreux comptes sur Wechat (un des principaux réseaux sociaux chinois) pour cause de « diffusion de fausses rumeurs » (Editorial du Monde du 7/02/2020).

Cet événement met en lumière l’oppression chinoise. Il marque également le point de départ d’une nouvelle aire où l’humanité se retrouve confrontée à l’inconnu. Cette situation incertaine est un moyen pour la Chine de s’affirmer et d’accélérer la transition d’un monde « post-américain ». Selon Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales : « les autorités chinoises se mobilisent comme jamais pour faire croire que ce sera la Chine la gagnante, afin de justifier leur modèle politique non seulement à l’intérieur mais désormais à l’extérieur (…) leur discours a viré à une propagande caricaturale. »
La Chine sauve le monde
Foyer de l’épidémie, la Chine a prouvé son efficacité dans la mise en œuvre du confinement et dans la construction en urgence d’hôpitaux. Outre cette rapide prise en charge, les autorités chinoises ont su approvisionner le monde ou du moins les pays les plus touchés : l’Italie, la France ou encore les Etats-Unis. En effet, le manque de masques dans ces régions relève d’un manque d’anticipation mais aussi d’une grande dépendance à « l’usine du monde ». La Chine est maître de la production et façonne une image salvatrice. Le pays produit 116 millions masques dont 1,66 million de N95 par jour début mars (soit 5 fois plus que début février) selon les médias officiels chinois. Cette stratégie commerciale permet de redorer l’image du régime autoritaire face à des démocraties vieillissantes qui ne produisent plus. En effet, depuis des décennies, les démocraties occidentales ne cessent d’externaliser vers la Chine leurs systèmes de production au profit d’un coût bas.
Des démocraties inquiètes, en difficultés…
L’Europe vieillit et la superpuissance américaine se retrouve en difficulté pour gérer la crise sanitaire du coronavirus. Une situation qui permet à la Chine de tirer son épingle du jeu géopolitique mondial. Aux Etats-Unis, on préfère se barricader pour affronter l’effondrement de la société. Signe de leurs angoisses, les ventes de bunkers s’envolent. Habituellement, utilisé contre les tornades, leur prix s’échelonne entre 3 000 à 11 000 dollars. Mais face au nouveau coronavirus, les fabricants produisent à la chaîne ces espaces sécurisés. « Aussi longtemps que nous le pourrons, nous continuerons à construire des bunkers. Ce n’est pas demain que le monde va devenir plus sûr. » assure le PDG de la société Vinos. Société qui vend des places réservées dans des abris communautaires situés dans des endroits sécurisés de par le monde (Article du Los Angeles Times relayé par Courrier International, écrit par Jack Flemming et publié le 23/03/2020). Le confinement dévoile les failles du système américain. A ce jour, de nombreux américains souffrent plus du chômage que de l’épidémie même si celle-ci a tué près de 70 000 personnes sur une population totale de 328 millions d’habitants.
Un des premiers pays touchés par le Covid-19 après la Chine est l’Italie. Avec une population vieillissante, le pays connaît plus de 29 000 morts. Le service hospitalier est submergé et les cimetières sont complets. La Lombardie, région italienne dont la capitale est Milan, a enregistré près de 13 000 morts soit plus de la moitié des décès dans le pays. Le 23 avril, Milan a commencé à enterrer des dizaines de victimes dont les corps n’ont pas été réclamés par des proches. Des fosses ont été creusées aux tractopelles pour recevoir les dépouilles au cimetière de Musocco. Pour le moment, 61 corps ont été inhumés. Pour l’adjointe en charge des services funéraires et des cimetières de la capitale Lombarde, Roberta Cocco « Ce n’est pas une fosse commune, c’est un espace entièrement dédié à ces gens qui sont malheureusement morts sans avoir de proches auprès d’eux. » (Article RTL du 23/04/2020).
… d’autres plus efficaces, défendent leurs valeurs…
Un pays propose une alternative démocratique et efficace à la gestion de cette crise sanitaire. La Corée du Sud a réussi à stabiliser à temps le nombre de cas du coronavirus. Mais pour une maîtrise quasi parfaite il a fallu employer des moyens à la hauteur. Le pays a effectué des tests de masse qui incluent l’éloignement des malades des gens sains, l’isolement pour ceux qui restent à la maison après que le malade en soit sorti et l’assurance qu’ils ne contaminent pas. Les tests en drive in permettent aux gens d’être testés tout en restant dans leur véhicule. Cette méthode protège les lieux et le personnel d’une possible contamination. Le gouvernement coréen mise sur la transparence face aux informations liées au coronavirus, défend ses valeurs démocratiques et le sentiment d’appartenance d’un peuple à son pays. Elle vient donner une autre manière de gérer la crise tout en dénonçant le régime autoritaire chinois qui ne cesse de jouer la carte de l’opacité.

Zones d’ombre sur le rôle de la Chine
Malgré des mérites vantés face à sa gestion de la pandémie, le gouvernement de Xi Jinping n’a alerté l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) que le 31 décembre 2019. Une annonce tardive puisque le nouveau coronavirus apparait le 17 novembre dans la capitale du Hubei : à Wuhan. Ce n’est que le 30 janvier que l’OMS prononce l’état d’urgence de santé publique de portée internationale. Comment ce virus est-il apparu ? De nombreuses théories et complots circulent dans les médias à ce sujet et sèment le trouble sur l’origine du coronavirus. Le 12 janvier 2020, l’OMS a indiqué que les premiers cas signalés le 31 décembre 2019 par la Chine provenaient du même lieu de travail. Ces personnes infectées se rendaient régulièrement sur le marché de gros aux poissons de Huanan, à Wuhan, en Chine. Ce marché a été fermé par les autorités chinoises dès le 1er janvier 2020. (Article Le Parisien de Sébastien Nieto publié le 17/03/2020). La piste de la source animale est ainsi privilégiée par l’OMS qui assure ce mardi 21 avril que « toutes les preuves disponibles suggèrent que le virus a une origine animale et qu’il n’est pas le résultat d’une construction ou d’une manipulation dans un laboratoire ou ailleurs ». L’administration Trump croît au contraire que le laboratoire de Wuhan a orchestré cette pandémie volontairement. Une enquête a par ailleurs été lancé pour déterminer l’origine du virus et ses modalités de propagation. Le pangolin ou la chauve-souris, quel animal est à la source de cette pandémie du Covid-19 ? Une situation encore floue : deux études (Journal of Proteome Research et Nature) suggèrent que l’intermédiaire responsable de la diffusion du virus pourrait être le pangolin. Ce petit mammifère, victime de braconnage, est consommé pour sa viande en Chine et en Asie du Sud Est. Son écaille est également riche en kératine et présente une vertu thérapeutique.
La Chine a su gérer ce début de crise mais à quel prix ? De nombreuses questions se posent sur la transparence des chiffres officiels : 3 326 décès recensés en Chine. Il y aurait, aujourd’hui, officiellement plus de mort du virus en Catalogne, ou en Lombardie qu’en Chine. Pour Marie Holzman, présidente de Solidarité Chine, les informations qui filtrent par la diaspora parlent non pas de 3 000 morts, mais de près de 60 000. Enfin la résurgence de foyers infectieux en Chine est une autre source d’inquiétude. Après le déconfinement des populations, le virus se remettrait à circuler entre les individus. Cette deuxième vague concernerait la majorité des pays dans le monde mais particulièrement les pays européens et la Chine qui commencent petit à petit à déconfiner ses habitants.
Plongé en pleine crise sanitaire sans précédent, l’humanité manque encore de recul pour établir les causes réelles du virus et se projeter. Le doute persiste sur le rôle et les intentions de la Chine. Avec la promotion de circuit court de production, afin de revenir à un mode de production plus sain pour notre environnement, on pourrait aussi voir naître une vague de sentiments nationalistes. Cependant, la puissance asiatique reste indispensable ne serait-ce que pour approvisionner le monde de masques et autres produits sanitaires.
Elodie Radenac