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Coronavirus : une apparente meilleure gestion par les femmes dirigeantes
Depuis le début de la crise sanitaire due à la pandémie de coronavirus, les gouvernements du monde entier font difficilement face. Cependant certains – tel que celui de l’Allemagne, de Taïwan, ou de la Norvège – semblent mieux gérer la crise que les autres. Ces gouvernements sont tous dirigés par des femmes. Est-ce là un hasard ou les femmes sont-elles vraiment meilleures que les hommes lorsqu’elles sont aux commandes ?
Le bilan est lourd. Sur l’ensemble de la planète plus de 224 402 personnes sont mortes du coronavirus dont 130 002 en Europe. Cependant certains pays semblent épargnés.

Mi-avril l’Islande comptait seulement huit décès (soit dix fois moins qu’en France rapporté à la population totale). Ce faible nombre de morts s’explique par une politique de dépistage massif. Depuis fin janvier le gouvernement de Katrín Jakobsdóttir a permis l’accès à des tests gratuits pour toute sa population, et non pas que pour les personnes présentant déjà des symptômes. À ce jour, un Islandais sur dix a été testé. Un record de dépistage par habitant qui a permis de repérer les personnes infectées et contagieuses, même si elles n’avaient pas de symptômes (ce qui est le cas de 43 % des personnes malades en Islande). Les patients détectés devaient alors s’isoler chez eux jusqu’à dix jours après la fin de la fièvre ou jusqu’à la réalisation d’un test négatif. Tous ceux ayant été en contact avec les personnes infectées devaient se placer en quarantaine pendant deux semaines. Ainsi l’Islande n’a pas eu besoin de fermer les crèches et les écoles primaires. Les universités et les lieux de faible « nécessité » (tels que les salles de sport, cinémas, bars et restaurants) eux, ont fermé et ce jusqu’au 4 mai.

Tout comme en Islande, Taïwan a réagi très tôt. La présidente Tsai Ing-wen a imposé, dès le 31 décembre 2019, 124 mesures fortes pour bloquer l’épidémie. Parmi ces mesures : l’identification des cas par des tests, la mise en quarantaine des malades ou encore les contrôles aux frontières. Bilan à ce jour, 6 décès et 429 personnes contaminées pour le pays de 24 millions d’habitants. Le tout sans confinement de la population. La chaîne américaine CNN a affirmé que Tsai Ing-wen avait donné «l’une des meilleures réponses au monde» face à cette crise sanitaire. Cette dernière a notamment activé, dès le 20 janvier, la division du Central Epidemic Command Center (CECC) dans le but de coordonner la gestion de l’épidémie de coronavirus. Aujourd’hui, Taïwan envoie 10 millions de masques aux Européens et aux Américains.

En Allemagne dès le 11 mars, Angela Merkel annonçait à ses concitoyens que l’épidémie n’était pas à prendre à la légère et que le virus risquait de contaminer 70 % de la population : « La situation est sérieuse, alors prenez-la au sérieux ». Dès le début de la crise, elle a instauré le suivi obligatoire de toute personne ayant participé à un rassemblement ou qui auraient pu être en contact avec une autre infectée. Le tout allié à un dépistage massif et à la mise en quarantaine de toute personne contaminée. Résultat aujourd’hui : un bilan sept fois plus bas qu’en France et douze fois plus bas qu’en Italie – moins de 6500 décès et de 162 000 personnes contaminées. L’Allemagne a mis en place le dépistage de façon précoce, avant même que le coronavirus n’ait fait de victime. Les tests ont été pratiqués de façon plus massive qu’ailleurs en Europe. Environ 500.000 réalisés chaque semaine, contre 150.000 en France. L’Allemagne dispose également d’un grand nombre de lits en soins réanimation. 20 000 avant la pandémie 30 000 aujourd’hui, contre 7 000 en France où le chiffre peine à monter à 12 000/14 000 lits.
Dès les six premiers cas détectés, Jacinda Ardern, la première ministre néo-zélandaise, a ordonné la fermeture des frontières et le confinement. Mais le gouvernement avait interdit l’accès au pays aux voyageurs étrangers en provenance de Chine depuis le 3 février. Les mesures de confinement et de distanciation sociale ont été prises avant que le virus ne se propage. Quand les autres se projettent déjà dans l’après-confinement, Jancinda Ardern, elle, resserre encore la vis en plaçant tous les voyageurs de retour au pays en quatorzaine dans des lieux dédiés. La Nouvelle-Zélande devient ainsi le pays appliquant les règles frontalières les plus strictes, après Israël et certaines îles du Pacifique. Aujourd’hui la Nouvelle-Zélande ne déplore que 19 décès dus au Covid-19 sur une population de 4,8 millions. En plus des directives sanitaires, des directives économiques ont aussi été mises en place. La Première ministre a permis aux néo-zélandais, ainsi qu’aux immigrants de l’archipel, de recevoir une aide de l’Etat pour leur éviter de se rendre au travail. Jacinda Ardern a aussi annoncé que les membres de son gouvernement et elle-même avaient décidé de baisser leur salaire de 20 % sur les 6 mois à venir, par solidarité avec leurs compatriotes touchés par les répercussions économiques de l’épidémie de coronavirus.

En Finlande, la Première ministre Sanna Marin consciente que les médias traditionnels et les communiqués gouvernementaux ne sont pas des plus porteurs, encore moins auprès des plus jeunes, a fait établir une liste d’influenceurs à suivre. Les messages du gouvernement ont ainsi été distribués sur internet par près de quelque 1500 personnalités publiques, qui sont restés libres de les relayer à leur manière. La plupart ont eu à cœur de participer à cet effort national et se sont prêtés au jeu sans songer à demander de contrepartie. Actuellement le bilan se limite à 206 décès du Covid-19, et ce sans confinement, même si le gouvernement a interdit les rassemblements de plus de dix personnes et les déplacements entre les régions touchées par le virus.
Au Danemark, la cheffe du gouvernement Mette Frederiksen, s’est distinguée par une idée originale. Elle a accordé aux enfants une conférence de presse pour les rassurer et répondre à leurs questions. Le pays a fermé ses frontières dès le 13 mars, puis les autorités ont fait confiance aux Danois et cela a marché. « Les commerces ne sont pas engorgés et la distance sociale de deux mètres est respectée, y compris dans les parcs. Même à un feu, les piétons et les cyclistes reculent d’eux-mêmes s’ils sont trop près les uns des autres », expliquait un journaliste sur France Info le 13 avril. Les frontières ont été fermées dès le début de la propagation du virus en Europe et les Danois se sont montrés particulièrement disciplinés en restant chez eux. Résultat, les écoles ont rouvert dès le 14 avril.

Erna Solberg, la ministre d’Etat norvégienne, s’est elle aussi adressé aux enfants, par le biais de la télévision « Je sais que ça fait peur et c’est normal d’avoir peur quand tout est bousculé, comme en ce moment ». En simple semi-confinement (crèches et écoles fermées, frontières terrestres également) le pays ne compte que 7710 cas de coronavirus, et 207 décès. Mais dans ce pays de 5 millions d’habitants, nombreux sont ceux qui possèdent une « hytte », une cabane dans la nature où ils s’échappent le temps d’un week-end. Alors pour empêcher le virus de circuler d’une région à une autre au gré des migrations des citadins vers leur résidence secondaire, la ministre a fait vote une loi le 15 mars dernier. Cette loi interdit aux personnes qui possèdent une « hytte » dans une municipalité autre que celle dans laquelle elles sont enregistrées d’y séjourner. Une loi plutôt dissuasive puisque quiconque se faisant prendre dans sa maison de campagne encourt jusqu’à 6 mois de prison et une amende de 1200 euros !
Pour Christiane Taubira si la France avait été dirigée par des femmes la crise aurait été gérée autrement car elles sont plus présentes « au front ». « Elles auraient vu plus facilement que ce qui fait tenir la société, c’est d’abord une bande de femmes, parce que les femmes sont majoritaires dans les équipes soignantes – même si nous saluons aussi avec autant gratitude les hommes – parce que les femmes sont majoritaires aux caisses des supermarchés, parce que les femmes sont majoritaires dans les équipes qui nettoient les établissements qui travaillent encore, et qu’elles sont souvent majoritaires dans la fonction publique qui tient encore. »
Alors y a-t-il un secret à ces réussites féminines? Non. On remarquera d’abord que ces cheffes d’Etat aux âges et parcours variés n’ont à aucun moment joué du tambour ou du clairon. Pas d’effet martial recherché. À l’inverse, selon les remarques de l’ancien patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, « Un pragmatisme qui n’est pas de cow-boy, une modestie, une humilité favorables à la rassurance. Elles n’hésitent pas à reconnaître les échecs et à corriger les trajectoires. »
Comme le souligne le quotidien britannique The Guardian « une corrélation n’est pas un lien de cause à effet ». Etre une femme ne donne pas automatiquement l’avantage dans la gestion d’une épidémie mondiale. « Cela ne fait pas non plus de vous un meilleur chef d’Etat. » D’autres facteurs entrent en compte, comme les politiques de santé mises en place par les gouvernements précédents ou la situation géographique du pays – moins il a de frontières terrestres, plus il est épargné. Par ailleurs, des pays comme la Hongrie, l’Autriche qui, déjà déconfine, ou le Canada se distinguent aussi par une gestion efficace de la crise sanitaire.
Alors qu’est-ce qui rend les femmes plus performantes dans cette crise ? Ce n’est certainement pas une affaire de biologie. Cependant Arwa Mahdawi, chroniqueuse pour The Guardian, explique que très souvent, pour se faire une place dans des lieux de pouvoir traditionnellement réservés aux hommes, les femmes doivent se montrer irréprochables. Ce qui expliquerai peut-être pourquoi elles gèrent mieux la pandémie.
Les performances de ces dirigeantes sont liées à des qualités attribuées au genre féminin : l’empathie, l’écoute, le souci du bien-être. On sait que les femmes (et donc les femmes politiques) sont plus nombreuses à exercer dans les métiers du soin, et que les hommes leur cèdent aisément la place (ou leur imposent), nombreux étant ceux qui considèrent ces domaines comme « secondaires ». Les femmes sont très majoritaires dans les amphis de médecine ou les métiers dits de service à la personne, et font partie des métiers les plus exposés dans cette crise sanitaire. Elles prennent plus soin des autres, et aussi d’elles-mêmes. Les chefs d’Etats auraient-ils alors réagis plus tardivement à la crise, parce qu’ils ne considéraient pas la santé avec suffisamment d’attention ?
Pour Christine Castelain-Meunier, spécialiste des questions de genre, la réponse est affirmative. « Chez les hommes, il y a l’idée sous-jacente que se préoccuper du soin, c’est un ralentissement de la croissance. Il y a une hiérarchie des priorités qui est différente. Les femmes sont beaucoup plus sensibles au soin, aux relations humaines. Elles ont été obligées de développer des qualités et cela est en train de profiter à la société ».
Encore en 2020, les femmes sont valorisées dans les sphères privée et publique, parce qu’elles se comportent comme de bonnes mères dans le soin et l’altruisme. Mais si les comportements de prévention et de soin attendus des femmes sont perçus comme vertueux à la tête des Etats, ces attentes sont vectrices d’inégalités et de domination pour les autres femmes. Les qualités dites féminines n’existent que si les femmes continuent à être éduquées de manière stéréotypée, ce qui participe de la reproduction des inégalités.
Les injonctions esthétiques et sanitaires sont une contrainte la plupart du temps mais deviennent aujourd’hui un atout. Le prendre soin, qui était alors attribué à la « culture féminine » est en train de se diffuser dans le sens d’une culture générale. C’est ce que la philosophe Fabienne Brugère appelle l’éthique du care. Ce sont les femmes qui portent les valeurs plus adaptées à la société de demain. Les bonnes performances des pays dirigés par ces cheffes d’Etat est un révélateur : nous sommes dans un tournant de nos sociétés. Vers des « démocraties sensibles ».
Alors au lieu de considérer que ce sont des femmes cheffes d’Etat qui permettent aux sociétés de mieux fonctionner, on ferait mieux de se demander si ce ne sont pas plutôt des sociétés plus égalitaires, soucieuses du bien commun, et où les femmes accèdent plus facilement au pouvoir, qui ne permettent pas tout simplement de mieux gérer cette crise. Autrement dit, le fait que des femmes soient au pouvoir dans ces sociétés où les crises sont bien gérées n’est que le résultat et non la cause. « La présence de femmes n’est peut-être que le révélateur de sociétés plus à même de gérer des crises comme celle que l’on traverse », résume l’économiste Hélène Périvier.
Ines Alves-Chaineaud