
Embargo à Suva : le calvaire d’une soixantaine de Français pour regagner l’hexagone

Une soixantaine de ressortissants français sont restés bloqués durant un mois aux Fidji avant de regagner leur pays le 13 avril. Récit avec une de ces victimes collatérales du covid-19.
« Les îles ont toujours été mon rêve pour la plongée, les paysages… » Pour Clara Barborini le rêve a très vite ressemblé à un cauchemar. Malgré des origines montagnardes puisées dans la vallée de la Maurienne en Savoie, elle étudie la biologie marine. Alors, quand se présente l’opportunité de partir deux mois aux Fidji pour réaliser un stage, la jeune femme de dix-neuf ans n’hésite pas une seule seconde. Le 7 mars la voilà partie à l’autre bout du monde. Elle élue domicile sur l’île de Caqalai, soit un coin de paradis de sable fin d’un kilomètre de long, bordé par un lagon bleu turquoise. Ce bout de terre en plein océan Pacifique est désert, mis à part quelques volontaires de la même ONG qu’elle. Son objectif est d’étudier sur place la protection de l’environnement marin, et plus précisément celui des cétacés.
« Je ne me suis pas inquiétée… »
Le 16 mars, lors d’une allocution désormais bien connue, le président Emmanuel Macron annonce le confinement de la population française et déclare la guerre au coronavirus. À 16 500 kilomètres de là, Clara apprend la nouvelle. Pourtant, l’idée d’un retour l’effleure à peine. Elle se sent en sécurité sur son îlot. « Je ne me suis pas inquiétée étant donné que j’étais sur une île perdue à l’autre bout du monde » confie-t-elle. Il faut aussi reconnaître qu’il y des confinements plus désagréables que celui sur une île paradisiaque avec des tortues et des dauphins. Malgré cela, l’étudiante reste réaliste et envisage le pire scénario : le coronavirus arrive aux Fidji. Six jours plus tard, ce qui devait se produire arriva : le covid-19 vient prendre ses quartiers à Lautoka, seconde plus grande ville du pays. C’est un steward local qui l’a ramené dans ses bagages. Malheureusement, il a partagé ce souvenir de voyage avec les membres de sa famille. Clara demande alors à son ONG ce qu’elle doit faire. Cette dernière lui dit de ne pas s’inquiéter et que le programme va continuer. Mais vingt-quatre heures plus tard, elle apprend par cette même organisation, que le programme est finalement annulé et qu’elle a moins d’une semaine pour quitter le pays.

Elle fait donc ses bagages et rejoint la capitale, Suva. Sur place, son agence de voyage lui apprend que tous les vols vers la France ont été annulés. Seule destination qui s’offre à elle : Singapour. « Il y avait un risque que je sois confinée là-bas pendant quinze jours. J’ai préféré ne pas prendre le risque, surtout que j’avais une deuxième option avec un vol trois jours plus tard (le 25 mars) organisé par l’ambassade de France ». Elle prend alors la direction de Navi, ville où se trouve l’aéroport international du pays. Là-bas, elle retrouve deux amies, Zoé et Mélanie, qui réalisent le même programme qu’elle.
Imbroglio dans le Pacifique
Très vite, l’ambassade annonce aux trois étudiantes que leur vol du 25 mars est décalé au 28, puis au 3 avril. La Nouvelle-Calédonie refuse d’accueillir, même en transit, la soixantaine de Français désireux de rentrer chez eux. Des Français bloqués par la France ? Pour comprendre cela, il faut faire un état des lieux dans cette zone du Pacifique. Très peu de cas sont recensés en Polynésie et en Mélanésie, ce qui rend les locaux encore plus méfiants. Au 26 avril, par exemple, il y avait dix-huit cas confirmés et aucun décès aux Fidji et en Nouvelle-Calédonie, et zéro cas aux îles Tonga, à Vanuatu ou à Wallis-et-Futuna, ce qui fait, par ailleurs, de cette île, le seul territoire français habité préservé du covid-19. De peur de voir le virus arriver dans des petites îles aux ressources médicales souvent faibles, les gouvernements ont très vite fermé leurs frontières.

De nombreux étrangers se retrouvent alors dans l’incapacité de quitter leur pays de résidence, les avions ne circulant plus. Les Fidji ne laissent pas atterrir les avions calédoniens. En représailles, la Nouvelle-Calédonie ne permet pas aux avions venant des Fidji d’arriver. De nombreux Calédoniens, Fidjiens ou d’autres nationalités se retrouvent piégés par les tensions entre les deux pays. Ces derniers se retrouvent indésirables dans les deux pays en revanche.
Une attente très coûteuse
Début avril, la situation se débloque. La compagnie Calédonienne Aircalin refusant de faire la liaison Nadi-Nouméa, c’est la compagnie Fidji Airways qui affrètera un de ses appareils à la France. En accord avec l’ambassade, un vol sera programmé le 7 avril. Mais cette fois-ci, c’est le cyclone Harold qui les empêchera de regagner l’hexagone. Nouveau report du vol qui se déroulera le 13 avril.

En attendant, Clara doit se loger et se nourrir à ses frais. « L’ONG ne nous a pas du tout aidé, ni financièrement ni pour rentrer » regrette-elle amèrement. Après quelques jours passés dans une auberge avec ses deux amies, elles se décident à trouver une solution moins coûteuse pour leurs budgets étudiants. Avec quatre autres français, elles louent un Air B&B. Malgré l’absence de confinement, seules quelques villes comme Suva sont placées en quarantaine, se déplacer est de plus en plus compliqué. Les Fidjiens voient d’un très mauvais œil les étrangers et trouver un taxi pour aller faire de simples courses relève de l’aventure.
« Les étrangers sont rentrés plus vite et pour beaucoup moins cher »
Pour ce fameux vol retour, les autorités calédoniennes ont toléré les métropolitains à certaines conditions. Ils devaient être en possession d’au moins deux masques et d’un thermomètre tout en respectant les règles de distance. De nombreux contrôles doivent avoir lieu leur indique-t-on. Mais en près de dix heures de transit, aucun contrôle. De même qu’ils avaient été prévenus d’une escorte militaire. Des Calédoniens seraient prêts à leur tirer dessus, ces mêmes Calédoniens qui, mi-mars, avaient déjà caillassés l’aéroport de Nouméa et son personnel afin d’empêcher les avions d’atterrir. Mais là encore, surprise, aucun membre des forces de l’ordre n’est présent pour les accueillir. Un avion calédonien a ensuite emmené les voyageurs français au Japon, à Tokyo, avant qu’un autre ne les ramène définitivement dans l’hexagone. De son périple, Clara gardera une histoire unique à raconter à son entourage. Cependant, elle regrette que les autorités calédoniennes ne les aient pas laissées faire escale à Nouméa plus tôt. « Les étrangers sont rentrés plus vite et pour beaucoup moins cher » conclue-t-elle. Mais elle n’oublie pas que tous les Français présents aux Fidji n’ont pas connu le même dénouement. L’isolement de la capitale Suva, prononcé le 2 avril, a piégé six ressortissants français selon l’ambassade. Mais au fait, comment dit-on confinement en fidjien ?
Loïc Bessière