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Confiné face à son assiette : un enfer pour les personnes souffrant de TCA.

“Je pense à la nourriture tout le temps. Être enfermée chez soi, ne pas pouvoir dépenser les calories que j’ingère et avoir les placards remplis de nourriture toujours devant moi, ça me rend anxieuse.” Depuis le début de la crise sanitaire, Laura* vit ses troubles alimentaires comme “un enfer”. Si la mise en place du confinement essaie d’enrayer la propagation du coronavirus, la distanciation sociale permet à certaines maladies de ressurgir et de faire de la vie de ces personnes une véritable source d’angoisse. C’est le cas des malades souffrant de troubles du comportement alimentaires (TCA). Anorexie mentale, boulimie nerveuse ou encore l’hyperphagie boulimique, les troubles alimentaires sont nombreux et peu traités. Des maladies encore taboues, dont beaucoup de jeunes souffrent en silence.
“J’ai peur de grossir”
“J’ai peur de grossir.” La peur de grossir, ou de ne pas suffisamment maigrir ; c’est le quotidien de ces femmes et de ces hommes, victimes de ces troubles parfois mortels. Pour eux, seul le chiffre sur la balance compte. Tout est une histoire de calories ingérées ou dépensées. La restriction est de mise, quand elle ne mène pas à ce que l’on appelle, dans le jargon, à des “binges” : des crises de boulimie, souvent provoquée par une restriction intense. “Le confinement m’oblige à me confronter à moi-même”. Se retrouver face à soi-même, c’est probablement le plus dur pour ces jeunes filles qui ont accepté de témoigner.
“Je mange mais je contrôle, et ce n’est pas normal »
Avoir le contrôle est une priorité pour Jeanne*, qui depuis le confinement, n’arrive plus à s’alimenter correctement. “Cela fait cinq ans que j’ai des TCA (troubles du comportement alimentaires). J’ai été hospitalisée plusieurs mois et à plusieurs reprises. Je vais mieux, seulement depuis 2/3 ans. Je vivais seule, depuis septembre, donc je pouvais contrôler ce que je mangeais. Mais confinement oblige, j’ai dû retourner chez mes parents. Plus que jamais, je replonge. Je me suis remise au sport, pas pour “décompresser” mais parce que je ne peux plus contrôler le contenu de mes assiettes, vu que je partage mes repas avec mes parents. J’accepte de manger, seulement si j’ai couru 10km. Ça crée forcément des tensions à la maison ; mon père ne supporte pas, mais je “gère”. Je mange, mais je “contrôle”, et ce n’est pas normal.”
Seul face à la maladie : les troubles alimentaires sont une souffrance au quotidien.
Le suivi psychiatrique de ces anorexiques-boulimiques est d’autant plus compliqué. Séance de téléconsultation, ou arrêt complet du suivi ; c’est une réelle difficulté de se retrouver “encore plus seul” face à tout ça. Manon*, 19 ans, le ressent dans son entourage. “Mes parents ne me comprennent pas, et je pense que c’est le plus dur. Je ne peux pas marcher autant que je le veux, et je fais encore pas mal de crises d’hyperphagie (avaler une très grande quantité de nourriture en très peu de temps), mais j’arrive à ne pas me faire vomir ensuite.” Une petite réussite, malgré l’enfer de la restriction alimentaire et du surmenage physique qu’elle s’impose.
Ces maladies mentales en amènent souvent d’autres, cette fois, physiques. Certaines filles, lorsqu’elles atteignent un stade de sous poids, sont aménorrhées : plus de règles, jusqu’à retrouver un poids dit “de base” pour les médecins. Problèmes de carences, dysmorphie, et certains cas amènent même jusqu’à une insuffisance cardiaque. Les troubles alimentaires sont un réel fléau, que les réseaux sociaux ont d’autant plus décuplé. C’est le cas de Marie*, qui est tombé dans les TCA il y a quelques mois. Le confinement et les réseaux sociaux, qui poussent à avoir “le body goal”(le corps parfait) durant ce temps n’ont fait qu’accentuer son envie de perdre du poids. “En traînant sur les réseaux sociaux, ma confiance en moi en a pris un coup. Je me suis sentie horrible et grosse. J’ai alors recommencé à recompter toutes mes calories, et à baisser drastiquement le compte : je ne dépasse pas les 600 kcals par jours”. Un quota bien trop faible, quand on sait qu’une femme a en moyenne besoin de 1800 à 2000 kilocalories rien que pour faire fonctionner son organisme.
Des organismes mettent en place un numéro pour les patients
Pour aider ces jeunes qui souffrent en silence, il existe la ligne d’écoute “Anorexie Boulimie Info Ecoute” qui continue à aider les patients et proches confrontés aux TCA, au 0810 037 037. La Fédération Française Anorexie Boulimie (FFAB) a rapidement compris que le confinement représente un réel danger pour les personnes qui subissent ces maladies. Une fiche pratique est disponible sur leur site ; l’on y apprend que les personnes atteintes de troubles du comportements alimentaires sont plus vulnérables d’attraper le COVID-19. Une immunité beaucoup plus fragile du souvent à des carences et une malnutrition.
En France, ce sont plus de 600.00 jeunes qui souffrent de TCA d’après la Fédération nationale des associations liées aux TCA. Ces maladies, représentent la deuxième cause de mortalité prématurée chez les jeunes de 14 à 24 ans, juste après les accidents de la route. Des maladies mortelles, qui sont encore, malheureusement, tabou.
LYDIA MAACHI et JUAN TENDERO
*Les prénoms ont été changés à la demande des personnes interviewés.