mai 17

Black fishing : retour sur un phénomène inquiétant

Le black fishing désigne le fait de prétendre être noire ou métisse sur les réseaux sociaux.


La transformation de l’influenceuse suédoise Emma Hallberg de 2016 à 2018

Teint foncé, lèvres pulpeuses, coupe afro. Autant de caractéristiques physiques qui appartiennent aux femmes noires et métisses. Pourtant certaines femmes blanches semblent arborer ces spécificités sur les réseaux sociaux. Elles pratiquent ainsi le black fishing. Divers artifices s’offrent à qui veut prétendre appartenir à la communauté noire : maquillage pour foncer la carnation de la peau, extensions capillaires et même dans les cas les plus extrêmes des opérations de chirurgie esthétique. Plus subtil que le black face qui se définit comme un grimage ostentatoire à des fins racistes, le black fishing est une falsification d’ethnicité souvent niée par ces usurpatrices.

Une tendance qui naît sur d’Internet

Le terme de black fishing apparait en novembre 2018 sur Twitter. À l’origine de la création de ce terme, la journaliste free-lance afro-américaine Wanna Thompson. Cette dernière est à l’origine d’un thread ( fil de discussion ) incitant les internautes à afficher celles qui selon ses dires «  se déguisent en femme noire ». Le message devient viral. Sur le banc des accusées, l’influenceuse suédoise aux 260 000 abonnés Emma Hallberg siège au premier rang.

Les photos de l’adolescente« avant/après » affluent. Sa bouche est plus charnue, ses cheveux plus frisés et sa peau indéniablement plus brune. Elle réfute toute accusation de black fishing et justifie ce changement d’apparence par des vacances passées au soleil.Dans une interview accordée à la BBC, Wanna Thompson déclare « Elles veulent avoir les bénéfices de la couleur noire sans toutes les véritables conséquences qui viennent avec ». Au micro de la radio anglaise, elle revient sur son article publié dans le magasine américain PAPER « Comment les femmes blanches d’Instagram profitent des femmes noires » . Elle décrit le système d’appropriation culturel de ces Instagrameuses. Cette ambivalence ethnique aurait pour but d’attirer une audience qui les croit noires. Selon elle, le système pernicieux des partenariats et des sponsors favorisent ces femmes blanches à l’esthétique ambigu au détriment des femmes noires.


Kim Kardashian West à la une de l’édition décembre 2019 du magazine 7Hollywood,
© Alix Malka/7Hollywood Magazine

Une pratique alimentée par les célébrités

« C’est l’obsession américaine de la culture noire sans les noirs ». Ce sont sont les propos de Karen Attiah, écrivaine ghanéenne-américaine et rédactrice en chef des Opinions mondiales pour le Washington Post à la suite de la parution de la une du magazine 7Hollywood avec Kim Kardashian West. Ce n’est pas la première fois que la star de la télé-réalité est rappelée à l’ordre. Si elle apparait ici avec un hâle nettement plus bronzé que d’habitude et une coupe inspirée de l’icône noire Diana Ross, elle avait déjà été pointé du doigt à plusieurs reprises. En 2018, elle avait foulé le tapis rouge des MTV Movie and TV Awards en portant des cornrows, coiffure africaine traditionnelle. La même année, elle dévoilait les photos pour sa marque de cosmétique KKW Beauty. La jeune femme y paraissait étrangement plus matte que d’habitude.Des photos qui ont suscité des commentaires indignés sur la twittosphère. Si certains sont dubitatifs devant les gestes à répétition de Kim Kardashian West d’autres au contraire l’accusent de surfer sur la vague de la polémique afin de faire parler d’elle.

Le cas Rachel Dolezal, la femme qui voulait être noire


Rachel Dolezal adolescente ( à gauche ) et en 2015 (Anthony Quintano/AP/SIPA)

Fervente militante au sein de la NAACP ( National Association for the Advancement of Colored People ) Rachel Dolezal était une figure emblématique de la lutte pour les droits des afro-américains. Se revendiquant d’un héritage métisse la jeune femme a toujours prétexté avoir un père noir. En février 2015 la vérité éclate, ses parents caucasiens déclarent à la télévision que leur fille, photo à l’appuie de l’adolescente blonde aux taches de rousseur, est tout comme eux blanche. Par la suite, Rachel Dolezal déclare dans une séquence télévisée « Je m’identifie comme étant noire. Il y a eu des moments où j’ai travesti la réalité, mais rien dans l’identité blanche ne décrit qui je suis ». Ces révélations sur sa transracialité ( le fait de ne pas se sentir en accord avec son ethnie biologique) affectent la communauté noire qui lui reproche de s’approprier des mémoires et des souffrances dont ni elle ni ses ancêtres n’ont été victimes. Netflix lui consacre en 2018 un documentaire « Rachel Dolezal : un portrait contrasté » où les questions sur l’appartenance et la filiation à l’ethnicité noire sont débattues.

Si les motivations de ces femmes qui prétendent ou tentent d’être identifiées comme noire restent complexes à analyser, une chose est sûre, pour les authentiques noires elles s’approprient une histoire et un passé qui n’est pas le leur en agissant de la sorte. L’appropriation de styles capillaires et vestimentaires, pour lesquelles les femmes noires ont été souvent moquées ou opprimées semblent être des éléments profondément ancrés dans une culture et non seulement des simples apparats.

ALIENOR RUEL