
Bien loin de la croisette, la dure vie des sans-abris

Particulièrement exposés pendant la crise sanitaire les sans-abris sont très nombreux dans les rues de Cannes. En 2012 la mairie en recensait 250. Comment vivent et s’en sortent les SDF cannois et qu’est-il mis en place pour les aider ? Jean (nom d’emprunt) vit dans la rue depuis deux mois et demi. Il a accepté de prendre de son temps pour témoigner sur son quotidien.
En cette fin d’été, se pavane la jeune bourgeoisie cannoise. Et s’il est masqué, en ces temps de pandémie, le centre-ville de Cannes respire l’aisance financière. Et il est vrai que croiser une star à la sortie du Majestic peut faire croire aux Cannois comme aux autres que la vie du Sud se résume aux allées des magasins Chanel et Dior, aux sables des plages privées du Carlton et au tapis rouge des marches du palais des festivals. Pourtant si on marche un peu, aux abords de la gare, ou après le port, au-delà des kiosques de l’hypercentre, les illusions s’effacent et la misère surgit, encore plus forte par contraste avec les lumières de la ville au loin.
Perte de l’emploi, perte d’un proche, maladie ou tout à la fois, nombreux sont les facteurs qui peuvent faire basculer une vie simple, confortable et stable. Et c’est comme cela que l’on s’isole et qu’on se terre : « Je me cache la journée, j’ai trop honte » avoue Jean. Chaque jour devient un défi portant des problèmes et des besoins qui paraissent pour beaucoup impensables, tant nous sommes habitués au confort de nos draps et de nos repas chauds. « Ce qui est dur parfois, c’est de ne pas manger, mais le pire, c’est le soir quand tu gamberges, ça te travaille tout ça, ce n’est pas facile ce qu’on vit ». Et c’est là au cœur de la noirceur des nuits que l’humain apparaît. Celui qui juge, mais aussi heureusement celui qui tend la main. « Oui, on m’a déjà emmerdé et parfois c’est pesant le regard des gens mais il y a des gens c’est la gentillesse même et sans rien demandé. Je ne fais pas l’aumône, sauf deux fois, mais après, j’en ai pas dormi pendant trois jours. Tout ce que j’ai là, on me l’a donné » se confie-t-il.
Comment rebondir et qui est là pour les aider ?
À Cannes, la mairie subventionne le Centre communal d’action sociale (CCAS) ainsi que le Samu social. Maraudes, comptages, soins et aides administratives. Le maximum est fait pour rendre le quotidien des SDF un peu moins pénible. Les centres sociaux de la ville proposent des aides avec la présence d’assistantes sociales, qui suivent les sans-abris. C’est le cas pour Jean : « Je suis suivi par le centre social du Cannet ». Mais le plus important pour lui est le suivi par ses proches, qui le soutiennent au quotidien.
« En France c’est trop long, trop compliqué »
Il existe ensuite les aides de l’État comme la Caf ou le RSA. Mais pour les obtenir il faut être obligatoirement domicilié et c’est justement cette démarche qui pose problème. Parce que ces aides, disponibles et nécessaires ont une condition d’attribution qui est déconnectée de la réalité de vie des sans-abris. Connexion internet et imprimante, des choses qui paressent bénignes, mais qui une fois dans la rue ne se sont pas évidentes à avoir : « ils te demandent des papiers, de te connecter à Internet mais quand tu es dans la rue tu n’as rien ; moi j’ai la chance d’avoir une amie qui peut m’aider à faire les démarches, mais si tu es seul tu es mort ». Les aides donc existent mais ne sont pas si faciles d’accès que cela : « En France, c’est trop long, trop compliqué ».
La route est donc encore bien longue pour ces oubliés de la France que l’on entend peu. Ces anonymes qui avancent comme ils peuvent et font partie de nos quotidiens. On croise leur regard ou on le baisse, plutôt, gêné en sortant avec nos sacs de courses à la porte d’un supermarché. Tous ont une histoire, singulière, aussi riche que celle du client de Bulgari. Il suffit de vouloir l’écouter car comme le rappelle très justement Jean : « On est normaux, juste on n’a pas de toit, mais sinon il n’y pas de différence, je suis comme toi et comme lui ».
Pierluca Leandri