
Les grands chantiers du Soudan après la signature d’un accord de paix
Le gouvernement de transition soudanais et les groupes rebelles ont fait un grand pas en avant avec la signature samedi dernier d’un accord de paix historique. Cette réunion entre les différents représentants, ayant pris place à Djouba (Soudan du Sud), doit être à la base d’un projet de paix durable, après 17 ans de guerre.

Une série de signatures pour l’Histoire. Samedi, représentants du gouvernement de transition soudanais et représentants de groupes rebelles se sont réunis à Djouba (Soudan du Sud) pour y signer un accord de paix. Le texte, paraphé le 31 août dernier, vient affirmer un peu plus le remaniement entamé par le pays africain depuis avril 2019 et la destitution du dictateur Omar el-Bechir.
Le gouvernement mis en place par la suite avait alors promis de pacifier quelque peu les régions en proie à des conflits armés (Darfour, Kordofan-Sud et Nil Bleu). La conclusion d’un accord de paix avec les groupes rebelles (comme le Mouvement de libération du Soudan) était annoncée comme une priorité. Si 17 ans de conflits meurtriers (300 000 morts pour la seule région du Darfour selon l’ONU) ont peut-être enfin trouvé leur dénouement à Djouba, le Soudan doit encore écrire les premières pages de sa reconstruction pour une paix durable.
« Un état d’urgence économique »
L’implication de nombreux diplomates tout droit venus du Tchad voisin, de l’Égypte frontalière, du Qatar, de l’Union africaine, de l’Union européenne et des Nations unies fut d’une grande aide dans le processus de négociation. Des présences par ailleurs révélatrices de l’importance de l’évènement tenu samedi dernier dans le Sud-Soudan indépendant. Il n’empêche que Mohamed Hamdan Daglo (vice-président du Soudan) et les siens ont bien conscience des nombreux défis à relever. Et quoi de plus criant que la situation économique du pays africain. D’après les chiffres de l’ONU, les tarifs alimentaires ont été multiplié par trois depuis un an. Se nourrir coûte cher à une partie des Soudanais (entre 40% et 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté*). Certains ont même du mal à trouver de quoi manger en raison des pénuries de nourriture. Ces pénuries, elles touchent aussi le marché du carburant et celui de la santé. D’autant plus dommageable en période de crise sanitaire.
Ajoutez à cela la baisse toujours plus inquiétante du pouvoir d’achat : au mois d’août, l’inflation annuelle du Soudan était d’environ 170%, soit le troisième plus mauvais total de la planète. Ajoutez également la perte de plusieurs réserves de pétrole au profit du Soudan du Sud, devenu indépendant en 2011. Vous obtenez un aperçu de la situation économique du territoire. Une économie qui peine donc à se relever des presque trente années de dictature et de l’embargo qui lui avait été imposé – notamment par les États-Unis – entre 1997 et 2017. Un embargo sur le commerce d’armes est par ailleurs toujours en vigueur.
L’image du pays écornée
Cette image de commerçant d’armes freine forcément l’arrivée d’investisseurs étrangers, car elle va dans le sens d’une impression d’instabilité et de danger sur le territoire soudanais. Malgré l’arrivée à la tête du pays d’un gouvernement de transition emmené en partie par des militaires, et malgré le début d’un réel projet politique (processus de retour à la démocratie et fondation de nouvelles institutions sur trois ans), l’insécurité a longtemps régné. Les figures d’autorités en sont les premières concernées. Exemple le 9 mars 2020 : le Premier ministre Abdallah Hamdok échappe à un attentat « terroriste » à Khartoum, la capitale.
Quid d’Omar el-Béchir ? Même destitué, l’ancien président reste un problème à régler … et à juger. Le 14 décembre 2019, l’homme de 76 ans avait été condamné à deux ans d’internement pour corruption. En plus du jugement dont il est l’objet depuis cet été concernant le coup d’État de 1989, une enquête visant Omar el-Béchir sur les crimes commis au Darfour dès 2003 est toujours en cours. Des crimes qui avaient engendré le déplacement de près de 2,5 millions de personnes. Ainsi, le pays doit aujourd’hui encore faire les frais de l’image projetée par son ancien chef de file autoritaire. Ce dernier est poursuivi depuis plus de dix ans par la Cour pénale internationale pour « génocide », « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ».
Des motifs d’espoir
Des manifestations ont également eu lieu au cours de l’été. Elles ont conduit au départ de sept ministres impliqués dans les domaines suivants : Affaires étrangères, Finances, Énergie, Agriculture, Transports, Santé et Ressources animales. Il reste que la transition démocratique a bel et bien été enclenchée. En juillet dernier, le Soudan abolissait la peine de mort pour apostasie. Ce qui allait dans le sens d’une volonté de « démolir toute forme de discrimination qui [avait] été décrétée par l’ancien régime », dixit Nasur Aldin Abdul Bari, ministre de la Justice. Dans la même lignée, la criminalisation de l’excision et l’autorisation à consommer de l’alcool pour les non musulmans avaient aussi été annoncées.
Depuis la série de signatures de samedi dernier, le gouvernement s’est également engagé à intégrer les révolutionnaires soudanais à la vie politique. D’ici quelque temps, le Conseil souverain (11 membres) du pays accueillera en son sein trois soudanais appartenant aux groupes rebelles. La future Assemblée sera composée à 25% d’anciens révolutionnaires. Et si le Soudan peine et peinera – peut-être – encore à exploiter certains atouts de son territoire (façade sur la stratégique mer Rouge, nombreux pays frontaliers, gisements d’hydrocarbures), il devrait bénéficier d’un soutien à l’échelle mondiale. Un soutien économique. Pour aider à la transition démocratique, et comme annoncé en juillet dernier, 1,8 milliard de dollars devraient lui être alloués par la communauté internationale.
Dorian Vidal
*Chiffre de la Banque Mondiale datant de 2009 (peu d’évolution depuis).