
Infotainment : informer peut-il rimer avec amuser ?
Le constat est implacable. Depuis plusieurs années, la défiance de la population à l’égard des journalistes ne cesse d’augmenter. À tel point que moins d’un Français sur quatre accorde aujourd’hui sa confiance aux médias, selon un rapport du Reuters Institute digital news, publié en février dernier. Parallèlement, le programme Quotidien, diffusé sur TMC, avoisine les deux millions de téléspectateurs chaque jour. Un programme d’infotainment (infodivertissement, en anglais) qui se veut comme son nom l’indique à la fois informatif et divertissant. « Un tandem qui se complète néanmoins difficilement », selon Laura Goldberger-Bagalino, docteure en sciences de l’information et de la communication.

Un retour en arrière s’impose. Dans les années 1990, l’animateur Jean-Luc Delarue est le premier à importer le concept, né au Royaume-Uni, dans l’hexagone. À la présentation des émissions Mon Oeil, et L’Equipe du matin, les audiences de ses deux programmes d’information explosent. Le public se montre friand des commentaires légers de celui que l’on surnomme « l’animateur à l’oreillette ». Dans le même temps, les critiques des journalistes fusent. « Il n’est pas journaliste. Il n’a aucune légitimité pour parler d’actualité », rappelle-t-on au sein de la profession.
« Le public aime l’émotion », explique Laura Goldberger-Bagalino, interviewée dans le cadre de cet article. Un constat que partage Jérémy Youn, fidèle de l’émission Quotidien, présentée par Yann Barthès. « C’est appréciable de regarder ce programme. Cela change et c’est appréciable de pouvoir suivre l’actualité avec une touche d’humour », explique-t-il. Cet inconditionnel représente une tendance plus globale : une partie du public est lassée par « la monotonie des émissions traditionnelles »,comme il l’admet. Il n’est pas le seul. Avant la pandémie de Covid-19, qui a, au moins ponctuellement, redistribué les cartes, le journal télévisé de France 2 a perdu 20% de son audience depuis 2012. Dans le même temps, Touche pas à mon poste (TPMP), diffusé sur C8, réunit plus d’un million de personnes chaque jour. C’est 60% de plus qu’en 2013.
Les hommes politiques ont rapidement cerné les enjeux grandissants d’une présence, encore plus en prime-time, sur les plateaux de tels programmes. À l’aube des dernières élections présidentielles, fin 2016, Jean-François Copé, candidat aux primaires républicaines, et Manuel Valls, premier ministre, s’étaient respectivement invités sur les plateaux de Marc-Olivier Fogiel et de Laurent Ruquier. L’activiste politique d’extrême gauche, Juan Branco, est également venu s’expliquer sur le plateau de TPMP, le 20 avril dernier. Un mois plutôt, son nom avait été cité au cœur du scandale lié à la révélation des photos intimes du candidat LREM à la mairie de Paris, Benjamin Griveaux.
Instrumentalisation du public
Pour autant, selon Laura Goldberger-Bagalino, il n’est pas question d’accorder sa confiance à l’infotainment pour s’informer. « Dans ces programmes, on est dans une idéologie qui tente d’instrumentaliser un public cible. » Sur le plan déontologique, les journalistes sont pourtant censés s’adresser au quidam, sans prendre en compte ses convictions. « Aujourd’hui, Quotidien est clairement orienté à gauche et se situe dans une sensibilité qui rassemble son public », déplore la docteure en sciences de l’information et de la communication.
Dans cette même logique d’accumulation de téléspectateurs, certains programmes mettent en place des stratégies pour charmer et maintenir son audience. « Cyril Hanouna et Gilles Verdez, sur le plateau de TPMP, fonctionnent comme un duo. Le premier joue à l’idiot gentil et bienveillant, et l’autre à l’énervé qui sait tout. L’émission fait en sorte que son public se sente plus intelligent que ses animateurs, c’est malin et astucieux. »
Comprendre les enjeux d’une situation à un instant T
Il serait toutefois malhonnête d’affirmer que l’infotainment ne tente pas d’apporter son éclairage sur l’actualité. Sur un format assez semblable à celui des quatre principales chaînes d’information en continu françaises (CNews, France Info, BFM TV, LCI), TPMP s’attache à débattre avec des intervenants spécialistes des questions abordées. Lors d’une discussion menée autour des régimes alimentaires et de l’environnement, Cyril Hanouna avait invité à réagir un boucher et une femme végane. Un bon point, selon Laura Goldberger-Bagalino : « Débattre à l’antenne est une forme de journalisme, à partir du moment où cela vous permet d’aller au fond des choses, et de comprendre une situation et ses enjeux à un instant T. »
La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) a longtemps considéré les animateurs des programmes d’infotainment comme des membres à part entière de la profession. Contacté par Libération, Yann Barthès a confirmé avoir eu sa carte de presse, qu’il ne renouvelle plus pour des raisons personnelles. Éric Marquis, ancien président de la CCIJP, déclarait il y a plusieurs années « que la question du renouvellement de la carte de presse devait se poser pour l’équipe de Quotidien ». Journaliste spécialiste des questions d’éthique et de déontologie, il se questionne sur la manière de travailler au sein des équipes d’émissions d’infotainment. « Ce n’est pas parce que sont utilisés les mêmes outils que les journalistes qu’il y a une démarche d’information derrière », confesse-t-il, tout en déplorant qu’il n’y ait pas, à l’heure actuelle, « de définition officielle des tâches incombées aux journalistes ».
Mathéo Girard