
Quand les personnalités politiques s’emparent des médias sociaux
En France, la diminution de la participation électorale pousse les personnalités politiques à se renouveler dans leurs canaux de communication. Les réseaux sociaux, davantage utilisés durant la pandémie, semblent être privilégiés par la communication politique dans le monde entier. Ce sont les plateformes sociales qu’Emmanuel Macron a choisi pour sa dernière interview donnée à Brut. Entretien qui s’est ensuite poursuivi sur Snapchat pour le président de la République. Analyse.

Aussi bien en France qu’aux États-Unis, les réseaux sociaux ont pris une place prépondérante dans les campagnes électorales. Depuis 2016, en Amérique, Donald Trump en a usé tout au long de son mandat. Les plateformes sociales, Twitter en premier lieu, lui ont permis de s’affranchir des règles de communication habituelles pour nourrir sa base électorale durant quatre ans. La plupart de ses tweets, minutieusement analysés par de nombreux médias dont le New York Times, sont des attaques personnelles visant ses opposants ou des institutions. L’usage que Trump fait des lettres capitales dans ses tweets permet d’appuyer sa parole sur un point précis sans passer par l’audiovisuel. Sur le plan intérieur et extérieur, cet usage frénétique des formules et des prises de décision unilatérales a donné l’image d’une politique de l’immédiateté sur Twitter. Avec plus de 88 millions d’abonnés sur le réseau social à l’oiseau bleu, le futur ex-président des États-Unis a communiqué en faisant usage d’une diplomatie en 280 signes où le rapport à la vérité a été remis en cause par la plateforme elle-même. Les réseaux sociaux ont tardé à contredire les politiques et à empêcher des usages abusifs de leurs plateformes à des fins politiciennes. Elles ont néanmoins révolutionné les pratiques de la communication politique.
Le Front National, premier parti politique sur Internet
Des femmes et des hommes politiques innovent sur les plateformes sociales prisées des plus jeunes, une nécessité face aux mutations de la sphère publique. Augmenter l’influence permet d’augmenter ses chances de victoire à une élection ou de se faire connaître par d’autres électeurs. La place des politiques se construit sur les réseaux sociaux, entre communication, information et émotion. Le Rassemblement National a depuis longtemps mis en place une stratégie de communication sur les médias sociaux. Le journaliste politique Dominique Albertini rappelle sur France Inter que l’ancien Front National a été un pionnier dans ce domaine : « on a une famille politique qui considère que la presse, comme l’ensemble des corps intermédiaires, est un adversaire qu’il faut chercher à contourner. Dans les années 1980, le Front National cherche déjà tous les moyens possibles pour faire parvenir son message directement au public ». C’est ce que le FN mettra en place en créant en 1996 le premier site Internet d’un parti politique. Jean-Luc Mélenchon est lui l’un des premiers politiques à utiliser le minitel avec son « 3615 Tonton » pour favoriser la candidature de François Mitterrand en 1988. Marine le Pen a aussi sa chaîne YouTube depuis 2011, qui compte 43 000 abonnés.
Le président de la République possède également sa propre chaîne YouTube où il publie fréquemment. Emmanuel Macron est suivi par 189 000 personnes sur la plateforme de vidéos. Le gouvernement a diversifié ses canaux de communication pour s’adresser au plus grand nombre, notamment les jeunes. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal s’est lancé depuis fin octobre dans un « rendez-vous régulier de débats » sur Youtube et Twitch. Les politiques comprennent l’importance de ces plateformes de partage sur lesquelles ils diffusent discours, programmes politiques et invitent les militants à se mobiliser. Ces espaces en ligne offrent une certaine liberté aux personnalités politiques, qui délaissent parfois les médias traditionnels. Ils permettent aussi de pallier la difficulté d’organiser des meetings en temps de pandémie. Ces lieux réduisent néanmoins l’espace de débat à leurs militants et ont tendance à isoler les gens dans des bulles de pensée.
Le président de la République sur Snapchat
Depuis le début de la pandémie, Emmanuel Macron privilégiait jusqu’alors une forme de parole plus traditionnelle avec l’allocution télévisée. L’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, décédé mercredi 2 décembre à l’âge de 94 ans, avait déjà placé l’image et la télévision au cœur de sa stratégie de communication, en dévoilant parfois sa vie privée. Il marque ainsi une nette rupture avec ses prédécesseurs : le général de Gaulle et George Pompidou, qui avaient une communication beaucoup plus verrouillée. La communication politique de Valéry Giscard d’Estaing marque un tournant à l’époque. Il s’adresse face caméra, directement aux Français. « VGE » donne une image dynamique d’un jeune président, devenu incontournable du petit écran malgré l’échec de son mythique « Au revoir. » Plusieurs décennies plus tard, Emmanuel Macron tente à son tour de donner une image d’un président moderne à travers les réseaux sociaux.
Après le décès de l’ancien président de la République, Emmanuel Macron lui a rendu hommage lors d’une allocution télévisée jeudi 3 décembre à 20 heures. Le lendemain, il s’est livré à un tout autre exercice lors d’un long entretien organisé par le média en ligne français Brut, mené par les journalistes Rémy Buisine, Yagmour Cengiz et Thomas Snégaroff.
Une grande première qui a touché plus de 7 millions de jeunes sur les réseaux sociaux et plus de 6 millions de téléspectateurs sur les chaînes d’info, a affirmé le pureplayer ce dimanche. « Grâce au déploiement d’un dispositif multi-plateformes avec un Facebook live retransmis sur Youtube, Twitter et Twitch, et des stories sur Instagram et TikTok, l’interview d’Emmanuel Macron a été vue par plus de 50 % des 15/34 ans en France », selon un communiqué de Brut. L’objectif affiché par le président de la République de s’adresser aux jeunes s’est poursuivi grâce à une session de questions-réponses sur Snapchat. Ce moment d’interaction où Emmanuel Macron écoutait les questions sélectionnées sur une tablette avant de répondre lui-même à l’aide d’un smartphone « a généré plus de 100 millions de Snaps vus pour la même story », ajoute Brut dans son communiqué. Des « Snaps » sont des vidéos courtes d’une durée de dix secondes que l’usager peut passer en appuyant sur l’écran de son smartphone pour visionner la suivante.

De nombreux sujets ont été abordés : violences policières, laïcité, aides à la jeunesse, écologie, Covid-19 ou encore les contrôles au faciès. Au-delà des signes à destination de la jeunesse lors de son entretien avec les journalistes, Emmanuel Macron a répondu sur Snapchat aux questions de certains jeunes ayant envoyé un « Snap » à Brut avant l’interview. Parler aux jeunes était l’objectif affiché en utilisant ce réseau social plébiscité par les 16/25 ans qui revendique 16 millions d’utilisateurs quotidiens en France.
Une communication soignée par les politiques
La communication du chef de l’État français ne repose pas sur des annonces instinctives comme Donald Trump. Emmanuel Macron n’utilise pas Twitter pour définir l’agenda politique. « Je préfère toujours avoir des discussions directes ou répondre à des questions, que de faire ma diplomatie au travers de tweets » disait Emmanuel Macron à propos de son homologue américain Donald Trump lors des commémorations du centenaire de la Grande Guerre, en 2018. Sur les plateformes sociales, il privilégie la communication habituelle des femmes et hommes politiques français. Il s’agit d’une communication verticale, sans réelle discussion avec les autres utilisateurs. Elle est contrôlée. Ici, les réseaux sociaux sont davantage des lieux de polarisation que de débats avec les politiques. Ces espaces de campagne jouent plutôt le rôle de relais d’opinions. Sur Facebook, Twitter ou encore Instagram, les politiques s’adressent principalement à leur électorat, déjà acquis à leur cause. Il n’y pas de véritable horizontalité sur les comptes politiques. La maîtrise de l’image publique est nécessaire, notamment pour les dirigeants. La bonne gestion des codes des réseaux sociaux est aussi essentielle pour les politiques en campagne.
Deux jours avant les élections européennes, Emmanuel Macron avait déjà accordé une interview inhabituelle au Youtubeur Hugo Travers. Il s’est adressé aux plus jeunes, sur Instagram et Snapchat, lors de la dernière rentrée scolaire de novembre après l’assassinat de Samuel Paty. Le président a également compté durant cette pandémie sur les réseaux sociaux et les influenceurs.
Emmanuel Macron a appelé les influenceurs à « rappeler que derrière les termes de cas contacts ou de positifs, il y a les visages de nos parents, de nos amis, de nos collègues » ou « assumer que, oui, renoncer à un dîner ou un week-end entre amis ne ravit personne, mais que c’est temporaire ».
Le président repère d’abord les tendances et intervient. Emmanuel Macron a répondu aux questions de Brut dans un contexte tendu. Le journaliste Rémy Buisine lui-même a été molesté par les forces de l’ordre lors de l’évacuation de migrants place de la République le 23 novembre. Cette « exposition a convaincu Emmanuel Macron d’accepter l’interview » selon Le Monde. Mais la parole présidentielle sur les réseaux sociaux a déjà connu des ratés. Comme lorsqu’il parlait d’un « pognon de dingue » en évoquant les minimas sociaux avant un discours sur ce sujet, le lendemain, à la Mutualité. La petite phrase est diffusée le soir du 12 juin 2018, après un entretien informel avec ses conseillers, sur le réseau social Twitter. La vidéo partagée par la directrice de la communication du président, Sibeth Ndiaye contribuera à l’image d’un « président des riches » et à de nombreuses critiques.
Une autre façon de s’adresser à ses électeurs
Facebook et Twitter ont beaucoup servi aux acteurs politiques pour la promotion et le contrôle de leur image. À commencer par Barack Obama aux États-Unis. Le 44ème président des États-Unis a partagé des moments intimes à la Maison-Blanche ou encore avec sa femme Michelle Obama, immortalisés par le photographe officiel Pete Souza, lors de son mandat. Les professionnels de la communication en politique utilisent ces outils pour montrer l’image de dirigeants proches de leurs compatriotes. À travers les réseaux sociaux, Barack Obama donnait l’image d’un président qui dévoilait sa vie quotidienne en photos. Lors de sa première campagne électorale de 2008, il avait mis en place une stratégie de ciblage reprise ensuite par Emmanuel Macron. Le président français a utilisé des éléments de la stratégie du président Obama pour travailler son image sur les réseaux sociaux, une forme de « politique émotion ». Avant d’être président, Valéry Giscard d’Estaing s’était lui aussi construit une image inspirée d’un ancien président des États-Unis : John Fitzgerald Kennedy.
Le compte Instagram de la photographe officielle, Soasig de la Moissonnière, réunit plus de 120 000 abonnés. Elle compile des clichés présentés comme officieux du Président. Des photos où Emmanuel Macron ne fixe jamais l’objectif, tout comme Obama, et met en scène les « coulisses » du pouvoir, où le spectateur garde toutefois une certaine distance. Cette photographie de retour d’un voyage officiel montre par exemple le couple Brigitte et Emmanuel Macron en toute intimité.

L’utilisation d’Instagram a encore renforcé cette immersion dans le quotidien et l’intimité des utilisateurs. Le format des « stories » place souvent l’utilisateur et donc les émotions au cœur de l’attention du spectateur. Raphaël Glucksmann, essayiste français et député européen de gauche, essaye notamment de « rendre visibles les millions de Ouïghours parqués dans les camps de concentration » à travers ce réseau social. Il compte bientôt 470 000 abonnés et relaye grâce à ce canal ses revendications et idéaux politiques, suivi par une importante communauté.
Les réseaux sociaux peuvent aussi être destructeurs. L’exemple de Benjamin Griveaux et du revenge porn dont il a fait l’objet témoigne d’un autre risque que les plateformes font courir. L’image d’une personnalité politique peut très vite être détruite par la diffusion d’une vidéo. Il en va de même pour certains propos que des personnalités politiques tentent ensuite d’effacer, notamment sur Twitter. Aurore Bergé, ancienne directrice de la campagne numérique d’Alain Juppé lors des Primaires de la droite en 2016, aujourd’hui députée LREM, expliquait au Figaro que « les réseaux sociaux ne font pas gagner mais ils peuvent faire perdre ».
La plateforme TikTok : des ratés et des opportunités
Créé en 2016 le réseau social TikTok consiste à poster des vidéos courtes. Après des débuts difficiles, le réseau a été la deuxième application la plus téléchargée dans le monde en 2019. Et le dernier né des réseaux sociaux commence à être choisi comme nouveau canal de communication par les personnalités politiques. Le réseau a bénéficié d’une augmentation d’inscriptions d’utilisateurs de toutes générations même s’il est privilégié par les plus jeunes. Comme Twitter, il laisse une grande place aux contenus humoristiques.
L’utilisation politique du réseau social chinois s’est accélérée l’été dernier en France. Le phénomène s’est développé avec l’arrivée d’Emmanuel Macron pour féliciter les bacheliers. Un proche du chef de l’État se félicite dans Le Monde du succès des vidéos d’Emmanuel Macron sur l’application TikTok, tout en en relativisant sa portée : « Ça cartonne, mais tu touches seulement les jeunes d’une manière institutionnelle ». De son côté, Jean-Luc Mélenchon avait tenu à répondre au président sur ce même réseau social. Le député des Bouches-du-Rhône s’était posté devant la station de métro République à Paris en juillet 2020. Un moyen pour l’insoumis d’améliorer son image après le célèbre « La République, c’est moi ! » qu’il avait prononcé lors des perquisitions au siège de La France insoumise à l’automne 2018. Pour contrer un Emmanuel Macron en costume dans les jardins de l’Élysée, Jean-Luc Mélenchon préfère critiquer Parcoursup en reprenant le tube Anissa de la chanteuse Wejdene. Le chef de file de LFI se lâche sur le président, après sa référence aux perquisitions : « Il t’appelle pour ton bac, toi tu parles à Macron ? Mais moi je m’appelle Mélenchon. « Tu hors de ma vue ! » Va voir ton Parcoursup ! », lance Jean-Luc Mélenchon sur TikTok. La séquence a été reprise sur les réseaux sociaux, tantôt moquée ou saluée.

Mais sur TikTok, attention aux ratés. L’arrivée de Marlène Schiappa sur TikTok a été critiquée par les internautes après une parodie ratée. Agnès Buzyn, la candidate aux municipales à Paris, a elle aussi échouée à utiliser TikTok pour relancer sa campagne. L’ex-ministre de la Santé n’a attiré que 160 abonnés sur son compte après quatre vidéos éloignées des codes de ce réseau social. Les réseaux sociaux peuvent faire évoluer la communication politique alors que la pandémie limite les rassemblements et les meetings politiques. S’ils sont bien utilisés, ils devraient permettre de mieux convaincre les électeurs à l’avenir. Les personnalités politiques doivent saisir ces opportunités pour mobiliser leur électorat, notamment les jeunes. Selon Julien Boyadjianles, maître de conférences à Sciences Po Lille, « les catégories les plus jeunes de la population sont très nettement surreprésentées » parmi les producteurs de tweets politiques alors même que ce sont ceux qui s’abstiennent le plus.
Joseph Grosjean