
Famine et pénurie alimentaire au Turkménistan, Pourquoi les médias étrangers sont silencieux ?
Ancienne république socialiste de l’ex-Union Soviétique, le Turkménistan traverse actuellement une grave famine dans tout le territoire, pourtant rare sont les médias étrangers à aborder le sujet, le problème n’est pas tellement l’agenda médiatique certes chargé mais le manque cruel de médias libres en provenance du « Trou noir de l’information ».

Situé entre l’Iran, l’Afghanistan et le Kazakhstan, le Turkménistan est un pays de 6 millions d’habitants qui détient plus de 9.9 % des réserves mondiales de gaz. Cette quantité astronomique de 19.5 billions de mètres cubes de gaz attirent de nombreux investisseurs étrangers depuis la chute des ex-républiques soviétiques. En théorie, ces ressources devraient suffire à stimuler l’économie de ce pays. Pourtant en 2019, le Turkménistan est entré dans sa pire crise économie depuis 1991. Le pays contrôle totalement son économie et le taux de change en dollars de sa monnaie, le manat turkmène, est de 3.5 manats pour 1 dollar américain. Mais le taux du marché noir est plus proche de 22 manats pour un dollar et le gouvernement perdrait beaucoup d’argent si tous les Turkmènes étudiants à l’étranger se retiraient des banques avec leur argent. La banque européenne pour la reconstruction et le développement (BRED) classe le Turkménistan comme « l’économie la moins compétitive » parmi tous les pays auquel la BRED vient en aide.
La crise économique de ce pays s’est accélérée avec la crise du Covid-19 quand l’Iran devient en février le pays où le coronavirus avait fait le plus de morts hors de Chine. Le Turkménistan décide de fermer ses frontières avec l’Iran et les autres pays frontaliers pour limiter le nombre de cas de Covid-19. La procédure a fonctionné contre le Covid car le pays n’a enregistré aucun cas de Covid jusqu’en juillet selon les autorités ; mais la fermeture des frontières a mis en péril les approvisionnements alimentaires. Selon un expert interrogé par Turkmen.news, les productions nationales de denrées alimentaires sont de 40 % et le pays importe donc 60 % de son alimentation et environ 80 % de ces importations sont liés à l’Iran. Les prix des denrées ont donc augmenté rapidement, le prix des kilos de pommes de terre, de riz, de légume ou d’autres denrées alimentaires ont triplé en moins d’un mois. La plupart des aliments essentiels deviennent très rares et chers et beaucoup de Turkmènes s’appauvrissent rapidement à cause de l’arrêt des importations qui leur fournissaient un travail dans la vente ou le transport de marchandises alimentaires.
La république du Turkménistan prend rapidement des mesures pour éviter une famine en introduisant des bons pour la distribution de repas. Les familles sont invitées à apporter leurs livrets de famille, qui ont un certificat contenant leur adresse et le nombre de personnes dans leur ménage, aux magasins d’alimentation d’état, où leurs achats seront documentés. Dans toutes les régions du pays, les habitants sont limités en nombre pour chaque produit et seules les classes plus aisées peuvent acheter des produits d’épicerie dans des magasins privés. Pour les classes les plus pauvres du pays, le gouvernement fournit des bons mais en six mois, la ration individuelle a été divisée par deux. De longues files d’attente d’habitants affamés investissent les parkings de la plupart des magasins publics, attendant leur tour de ration. Le Turkménistan ne parvient pas à nourrir toute sa population également à cause des récoltes dévastées par des criquets en juin dernier.

Pourtant malgré la crise du pays, les dirigeants continuent de nier l’existence de celle-ci. Selon la version officielle du président Gurbanguly Berdimuhamedov, « l’ère du pouvoir et du bonheur » règne dans le pays. Le gouvernement contrôle les images sortant du pays en ne montrant que des projets gigantesques d’hôtels, de centres commerciaux et plus récemment de la statue de 15 mètres du chien du président entièrement réalisé en or massif. Le gouvernement du régime renvoi une image très particulière pour le reste du monde. « Le président turkmène et le leadership en général ont acquis une image de gouvernants fous, avec des règles très étranges. En un sens, ils sont devenus des clowns pour le monde », estime Ruslan Myatiev, rédacteur en chef du média turkmène indépendant Turkmen.news. Le journaliste fait référence aux nombreuses vidéos du président le voyant chanter avec son petit-fils ou s’exercer au tir au fusil sur son vélo.
Le paysage médiatique est lui aussi très particulier, il n’y a aucun journal indépendant dans la république. Tous les journaux se contentent de reprendre les communiqués des autorités et les rares médias comme Novastan.org et Turkmen.news sont basés à l’étranger pour éviter de se faire harceler par les autorités locales comme c’est le cas pour la journaliste Soltan Achilova qui est interdite de sortie du territoire. Ces médias dépendent de leurs correspondants au Turkménistan et leurs sources doivent agir avec discrétion pour ne pas être découverts. Ruslan Myatiev, fondateur et rédacteur en chef de Alternative Turkmenistan News (un autre journal libre hors du territoire turkmène) avait déclaré : « Il n’y a pas de paysage médiatique au Turkménistan. Tous les journaux, stations de radio et de télévision répètent la ligne du régime. Même en Corée du Nord et en Syrie déchirée par la guerre, la liberté de la presse est plus grande ».
Même en recherchant sur Internet ou dans les ouvrages, il n’y a que très peu de données sur ce pays après la chute de l’ex-Union Soviétique. Le pays est classé 179ème sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters Sans Frontières. D’ailleurs l’organisation titre « Le trou noir de l’information toujours plus profond » dans leur analyse du Turkménistan. Reporters Sans Frontières explique que la répression dans ce pays n’a cessé d’augmenter ces dernières années parallèlement aux crises économiques que le pays traverse. Toujours selon RSF, des fonctionnaires du ministère de la Sécurité nationale Turkmènes harcèlent des militants expatriés à l’étranger, ainsi que leurs proches qui se trouvent au Turkménistan.
Difficile dans ce contexte d’avoir des informations fiables venant du Turkménistan. Comble de l’ironie le président s’était également félicité auprès de Reporter Sans frontières que « les médias étaient libres » et « la censure était interdite » dans le pays. Depuis plus de 30 ans, l’inflation constante, les pénuries alimentaires et l’isolement du reste du monde perdurent dans ce pays et de nombreux journaux, comme Al jazeera, avaient déjà titrés en 2019 que le pays était « au bord de la catastrophe ».
Mattéo Bajard