
Argentine : un premier pas vers la légalisation de l’IVG
Le projet de loi du gouvernement argentin, qui légalise l’IVG jusqu’à 14 semaines de grossesse, a été approuvé à 131 voix contre 117 au parlement.
Une loi qui divise le pays
La légalisation de l’IVG jusqu’à 14 semaines de grossesse a été approuvé à 131 voix contre 117 au parlement. Le Sénat doit maintenant examiner le texte. Une situation similaire s’était déjà produite il y a deux ans : un projet de loi semblable à celui voté ce vendredi 11 décembre avait été adopté par le parlement mais rejeté par le Sénat réputé conservateur. Toutefois, cette année le projet de loi provient de l’exécutif. Le président argentin Alberto Fernandez est de centre-gauche et la légalisation de l’IVG est une de ses promesses de campagne. En cas d’égalité au Sénat, c’est à la présidente du Sénat et à la vice-présidente argentine de statuer. La présidente du Sénat s’était déclarée contre l’avortement durant ses deux mandats entre 2007 et 2015, mais depuis 2018, cette dernière a changé d’avis, convaincue par « les milliers et milliers de jeunes femmes dans les rues demandant la légalisation ».

Ce vote par le parlement a suscité de vives réaction à la capitale. A la place du congrès de Buenos Aires, des dizaines de milliers d’argentins ont célébré cette victoire. A l’image de la division de la société, d’un côté la « Marée verte » est la masse d’individus pro-avortement vêtus de verts, symbole de cette lutte pour le droit d’avorter dans le pays, de l’autre, les représentants de l’Eglise catholique et évangélique, beaucoup moins nombreux, se proclame la « majorité bleu ciel ». De nombreuses femmes, de tout âge, ont exprimé leur joie sur cette place emblématique de la capitale. L’ambiance festive, sous des airs de morceaux de cumbia, a supplanté les retransmissions en direct des députés.
« Seulement 27,3% des argentins sont pour le droit à l’IVG sans conditions »
Les opposants à l’avortement sont majoritaires dans l’ensemble du pays. Une enquête d’opinion réalisée par le Centre National de recherche scientifique et technique révèle que seulement 27,3% des argentins sont pour le droit à l’IVG sans conditions. 52% se disent favorables uniquement en cas de viols ou si la grossesse présente un danger pour la santé de la femme enceinte. [Le Monde – 11/12/2020 par Aude Villiers-Moriamé]
« Augmentation de plus de 50% des appels reçus par les permanences téléphoniques pour les femmes victimes de violences »
Les femmes qui souhaitent avoir recours à l’avortement en Argentine, doivent s’exposer à de grands risques. Avec 50 meurtres, le nombre de femmes tuées dans le pays a atteint son plus haut niveau depuis 10 ans selon une organisation de défense des droits. Avec la pandémie de Covid 19, ceux-ci sont démultipliés. Amnesty International a publié en septembre dernier un article sur les violences faites aux femmes en Amérique Latine. « Ces cinq derniers mois, le Chili et le Mexique on fait état d’une augmentation de plus de 50% des appels reçus par les permanences téléphoniques pour les femmes victimes de violences. Le confinement oblige certaines femmes à rester bloquées chez elles avec des personnes qui les maltraitent sans aides ni soutien présents physiquement. De ce fait, de nombreuses femmes n’ont pas eu accès à une assistance médicale de base, notamment de soins de santé sexuelle et reproductive, ni à une contraception ou à un avortement sécurisé.«
Accès inégal à l’avortement en Amérique latine
L’Amérique Latine est une des régions du monde où la question du droit à l’avortement reste taboue. Le sujet divise dans ce continent empreint par le catholicisme. L’accès à l’avortement y est inégal comme le montre la carte ci-dessous.
Il est totalement interdit d’avorter dans six pays de la région : Haïti, Honduras, Nicaragua, République Dominicaine, El Salvador et Suriname. Le Mexique n’est pas cartographié car les règles, en son sein, sont hétérogènes. L’avortement est en théorie autorisé en cas de viol mais dans ce pays fédéral, les 32 Etats disposent d’une législation propre. Dans les faits, les femmes peuvent se voir refuser l’accès à ce droit. Un vingtaine d’Etats ont ajouté récemment des clauses constitutionnelles protégeant le droit à la vie dès la conception, ce qui créée une confusion juridique entre les dispositions prises par leur code pénal et la Constitution. Seulement deux Etats, celui de la ville de Mexico et de l’Etat d’Oaxaca, ont légalisé jusqu’à 12 semaine de grossesse, l’avortement.
Finalement, le vote favorable à l’avortement au parlement argentin est un événement inédit dans une région où la tradition catholique et évangélique conserve une place importante dans les sociétés d’Amérique Latine.
Elodie Radenac