janvier 05

« Il y a un engouement énorme pour le football en Arabie Saoudite »

Sofian Kheyari (au centrte) a troqué le costume de joueur pour celui d’entraîneur depuis un an et demi. Crédit photo : Linkedin Sofian Kheyari

Entraîneur adjoint de l’équipe nationale d’Arabie Saoudite depuis juillet 2019, Sofian Kheyari évoque le football local et son rôle dans le staff de la sélection saoudienne.

« Cela s’est fait en moins de 48 heures. Je n’ai pas hésité et j’ai tout de suite sauté sur l’occasion !» Alors défenseur à l’AS Cannes, après avoir joué dans les divisions inférieures françaises, belges, suisses et en première division algérienne et luxembourgeoise, Sofian Kheyari reçoit une offre pour devenir entraineur adjoint de la sélection d’Arabie Saoudite. Ce poste est proposé par le sélectionneur, Hervé Renard, une personne dont il est proche. Ce rôle d’adjoint ne lui a pas été proposé par hasard, mais plutôt naturellement, au fil des discussions, selon l’intéressé : « Hervé savait que je préparais ma reconversion. À force de discuter ensemble, il m’a proposé de le rejoindre. Il me connait, il sait qui je suis et ce que je peux apporter dans mes fonctions à ses côtés. Je pense qu’il a trouvé intéressant de me proposer cela. » Sofian Kheyari a vite fait ses valises et s’est envolé pour Riyad. Il confie qu’Hervé Renard « savait que j’allais accepter sans réfléchir ».

Si lui n’a pas hésité, d’autres auraient pris le temps de la réflexion. Après tout, que connait-on du football en Arabie Saoudite ? Sur le plan international, la sélection nationale a participé à cinq Coupes du Monde, en 1994, 1998, 2002, 2006 et 2018. Lors de leur première, aux États-Unis, les Faucons (surnom des joueurs en référence à l’écusson saoudien), ont créé la sensation en se qualifiant en huitième de finale après avoir battu le Maroc (2-1) et la Belgique (1-0). Mais cet exploit de la génération de Saeed al-Owairan, le « Maradona saoudien », restera sans lendemain puisque l’équipe nationale ne parviendra plus jamais à franchir le premier tour.

Si la sélection saoudienne n’est pas la plus connue des fans de football, le championnat local, la Saudi premier league n’est pas des plus médiatisés non plus. Ses seules apparitions dans les médias occidentaux se résument à la rubrique transfert quand un nom bien connu du football, en fin de carrière, vient fouler les pelouses saoudiennes, comme Hristo Stoitchkov (Al-Nasr), Rivelino (Al-Hilal), Roberto Donadoni (Al-Itthiad) ou actuellement le Français Bafétimbi Gomis (Al-Hilal).

En Europe, la sélection saoudienne a comme réputation d’être « un tirage facile » lors des Coupes du Monde. Le championnat local renvoie, lui, l’image d’un championnat où des joueurs vont paisiblement finir leur carrière, cédant aux ponts d’or qui leurs sont offerts. D’ailleurs, la première division locale, comme ses voisines du Golfe, a pour réputation de se jouer dans des stades vides avec seulement quelques émirs présent pour applaudir les footballeurs et faire comme les Européens. Sofian Kheyari, en vacances du côté de Cannes, a accepté de prendre un quart d’heure pour tacler tous ces préjugés occidentaux sur le football saoudien, parler de sa reconversion et de son rôle d’entraîneur adjoint auprès d’Hervé Renard.

Une volonté de pratique du « beau jeu »

Depuis le 28 juillet 2019, trois Français sont à la tête des Faucons. Le sélectionneur Hervé Renard et ses deux adjoints Sofian Kheyari et Lauren Bonnadéi. Leur première mission est de qualifier la sélection à la Coupe du Monde 2022. Il est impensable en haute sphère de manquer le tournoi, disputé chez le rival, l’ennemi qatari. Au niveau continental, le trio devra mener les Saoudiens à le Coupe d’Asie 2023, en Chine, avant, peut-être, d’accueillir l’édition 2027 – un dossier de candidature a été déposé.

De grandes échéances à venir, donc. Pour atteindre leurs objectifs, les entraîneurs souhaitent s’appuyer sur une équipe qui joue bien au football, comme leur prédécesseur Juan Antonio Pizzi. L’Espagnol n’avait pas renié ces principes de jeu lors de la dernière coupe du monde, quitte à s’incliner lourdement contre les Russes (5-0). Sofian Kheyari ne le cache pas, il veut que ses protégés aient le ballon, gèrent le tempo et le rythme du match, « même si plein de paramètres rentrent en compte pour savoir quel sera le plan de jeu du match, comme les joueurs à disposition et l’adversaire. Mais c’est notre philosophie et c’est ce que l’on veut mettre en place. Et on a les joueurs pour car 90% d’entre eux sont des profils de joueurs qui veulent le ballon. »

Pour pratiquer du beau jeu, les Saoudiens auront besoin de plusieurs joueurs de haut-niveau. Et, justement, malgré d’excellentes infrastructures, Sofian Kheyari déplore un manque de formation : « Il y a du talent mais il n’y a pas de centres de formation dans les clubs ou de pôles espoirs. Nous essayons de travailler là-dessus. Il faut vraiment que les jeunes soient encadrés avec des éducateurs compétents et une méthodologie bien définie. » Ce manque de formation n’a pas que des répercussions sur la technique footballistique à proprement parler. L’entraîneur adjoint aime à rappeler l’importance sur une carrière de l’hygiène de vie que doit avoir un sportif. Pour lui, « le talent et les entraînements ce n’est pas suffisant. La diététique et la récupération cela fait aussi partie intégrante des résultats. On essaie de faire comprendre aux joueurs qu’il faut aussi travailler sur cela. »

« Ici, les joueurs sont vraiment des stars »

Pour pallier ce manque de formation, et évoluer dans un effectif plus structuré et professionnel, certains joueurs internationaux saoudiens ont signé dans des clubs espagnols pendant quelques mois, en 2018, avant la Coupe du Monde. Il s’agit de Salem Al-Dossari à Villarreal, Yahya Al-Sheri à Leganés et Fahad Al-Muwallad à Levante. Avoir des joueurs saoudiens évoluant à l’étranger peut être une solution pour progresser affirme Sofian Kheyari. « C’est à faire, avoue-t-il, parce que nos joueurs progresseront, ils verront un autre football et cela va apporter une plus-value, c’est certain. » Mais, avoir tous ses joueurs dans son pays a aussi des avantages. L’ancien défenseur rappelle que la majorité de son effectif est composé d’éléments qui « jouent tous dans les mêmes clubs donc on gagne un temps énorme par rapport aux autres équipes sur les automatismes ».

Si très peu de joueurs saoudiens quittent leur pays ce n’est pas par désintérêts des recruteurs du monde entier. C’est plutôt des raisons extra-sportives. L’adjoint d’Hervé Renard explique qu’il y a « peu de clubs, aujourd’hui, capables de payer les joueurs saoudiens. Ici, ils sont vraiment des stars, ils sont aimés par tout le monde. Ils sont dans leur zone de confort. Ce n’est pas la même mentalité qu’en Europe, ici ils ne voient pas les choses de la même manière. Mais, à terme, cela serait bien que des joueurs aillent jouer en Europe pour franchir un palier. »

« Les joueurs saoudiens n’ont rien à envier aux joueurs européens »

La Saudi premier league est un championnat de seize équipes scindé en deux, entre ceux qui jouent le titre et ceux qui jouent le maintien. Symbole de cette division à deux vitesses, en 45 éditions, seuls sept clubs ont remporté le championnat. Avec seize titres, Al-Hilal s’est adjugé 35% des titres à lui seul. « Les quatre gros clubs, Al-Hilal, Al-Nasr, Al-Itthiad et Al-Ahli joueraient le maintien en Ligue 1, en France » rapporte Sofian Kheyari, tout en révélant que les clubs du bas de tableau seraient plus du niveau de la Ligue 2. « Il y a de grosses différences entre les équipes de haut et de bas de tableau », continue-t-il. Pour lui, « les joueurs saoudiens n’ont rien à envier aux joueurs européens ». La seule différence se fait au niveau de la rigueur, du professionnalisme et de l’approche du métier de footballeur, comme dit plus précédemment. « Si on arrive à leur faire comprendre que le talent cela ne suffit pas mais qu’avec le talent plus le travail on peut faire de grandes choses, on va passer un niveau au-dessus », rappelle l’ancien joueur de l’AS Cannes.

En tribune, l’atmosphère observée est bien différente de celle décrite dans les préjugés occidentaux. « Il y a un engouement énorme pour le football en Arabie Saoudite », dégaine le membre du staff de la sélection nationale. « Les quatre grands clubs jouent chaque match devant 30 000 personnes avec des ambiances qui n’ont rien à envier à l’Europe », ajoute-t-il. D’ailleurs, il confie avoir été étonné, avec Hervé Renard et Lauren Bonnadéi, de cet engouement et de cette ambiance dans les enceintes saoudiennes : « À notre arrivé, on a fait « wow ». On a été surpris et beaucoup de gens le serait aussi. Il y a une vraie passion pour le football ici. »

Une envie de marcher dans les pas de son mentor

Sofian Kheyari, comme Laurent Bonnadéi, est l’adjoint du sélectionneur des Faucons, Hervé Renard. Les missions des adjoints sont de rythmer les entraînements quand le sélectionneur analyse les performances des joueurs. « Avec Laurent Bonnadéi on s’occupe de la mise en place et de l’animation des séances. Hervé Renard est plus en retrait et il s’occupe plus de la partie tactique de fin d’entraînements » développe-t-il. Leur rôle est également de scruter les performances des joueurs en championnat. « On essaie d’aller voir un maximum de matchs parce que on ne voit pas les mêmes choses en vrai et à la télé, explique-t-il. Quand on ne peut pas aller au stade, on les regarde à la télé. On est plusieurs dans le staff afin que la quasi-totalité des matchs du championnat soit vus. » Si le staff a une liste d’une soixantaine de joueurs suivis, lors du visionnage de match, « il y a toujours une surprise comme un jeune qui émerge… Nous avons une ossature mais il y a toujours un ou deux joueurs qui peuvent sortir de notre liste ou y rentrer. »

Après une carrière de joueur loin du haut niveau à l’AS Cannes, au Stade de Vallauris et au SC Draguignan, Hervé Renard a débuté sa carrière d’entraîneur professionnel comme adjoint d’un autre grand entraîneur français, Claude Le Roy. Désormais, il est un entraîneur mondialement reconnu. Son palmarès parle pour lui, avec notamment deux Coupes d’Afrique des Nations (2012 et 2015). Sofian Kheyari a lui aussi eu une carrière de joueur professionnel notable, mais pas au sein de l’élite footballistique, avant d’enchaîner sur une carrière d’entraîneur au côté d’Hervé Renard. Est-il en train de suivre les traces de son mentor ? « En rigolant je lui dis souvent que j’aimerai avoir la même carrière que lui » explique-t-il. « Hervé a toujours su ce qu’il voulait. Il a toujours travaillé, il a dû partir à l’étranger mais au final il a eu des résultats. J’apprends énormément à ses côtés surtout sur un point essentiel pour moi, le management. Et Hervé est très fort là-dessus. Avec lui et Laurent Bonnadéi, je suis à la bonne école pour me former, mais avec ma sensibilité à moi car chaque entraîneur à ses idées. » S’il devient un jour entraîneur principal, portera-t-il comme Hervé Renard des chemises blanches, qui en a fait un rituel à chaque match ? « Non ça c’est sa marque de fabrique à lui. Après on est trop stigmatisé comme son adjoint. Non, je lui laisse sa chemise blanche, sinon il sera jaloux surtout si je la porte mieux que lui ! »

Loïc Bessière