L’art et son avenir : entre bouleversement et genèse

Le coronavirus a mis le monde de la culture et, plus particulièrement, celui de l’art pictural sur pause depuis bientôt un an. Les artistes ont dû s’adapter et repenser leur manière de travailler. Pour certains d’entre eux, la COVID-19 aura même été bénéfique pour leurs ventes et leur a permis de se redécouvrir. Zoom sur un art bouleversé et en plein changement.

Les peintres travaillent depuis chez eux. Image par bridgesward de Pixabay

5 mois de fermeture pour les musées français en 2020 : le constat est similaire pour les galeries d’art qui elles aussi ont dû fermer leurs portes aux visiteurs. D’après les peintres, cette période d’arrêt ne les a pas, pour autant, empêchés de travailler. Bien au contraire : « Le confinement, ça m’a donné plus de temps pour peindre », confie Emilie Marchandin, une jeune artiste qui concède tout de même une perte de temps avec l’impossibilité d’exposer ses œuvres. Ce bilan est partagé et prolongé par Amandine Riou : « Personnellement, le confinement a développé ma créativité, cela m’a donné du temps pour peindre, mais surtout le plus important : j’ai pu faire un travail d’introspection. »

Le manque de visibilité mène à la précarité

Du temps pour créer, mais pas seulement. Se former est aussi un objectif prédominant pour les artistes qui n’ont pas tous eu dans leur parcours des formations pour vivre de leur art.

Savoir créer et produire des œuvres est quelque chose de simple, mais réussir à les vendre ne l’est pas toujours. Le modèle actuel prédominant est « un modèle qui ne marche plus pour les artistes » selon Emilie Marchandin. Avec la crise sanitaire actuelle qui force les galeries d’art à fermer, un problème est apparu. La question de la visibilité, centrale pour les artistes. On observe une autre forme de dépendance qui est ici, la « dépendance à autrui, dans la vente. » Quand un ou une peintre veut gagner en visibilité, il ou elle peut aussi compter sur les musées. Le problème est que, selon le ministère de la Culture, « le droit d’exposition ne fait pas toujours l’objet d’une cession […] — et rarement l’objet d’une rémunération — souhaitable au regard de l’économie des artistes. »

Ainsi en 2019, le ministère a demandé « un minimum de rémunération au bénéfice des artistes au titre de la présentation publique de leurs œuvres ». Mais cette rémunération est insuffisante pour nombres d’artistes, car, toujours selon le site du ministère de la Culture, « le minimum de rémunération est de 1 000 euros pour une exposition monographique, quelle que soit sa durée et quel que soit le nombre d’œuvres. » Dans la plupart des cas, cette rémunération ne représente que le prix d’une seule œuvre. Celle-ci s’amoindrit dans le cas d’une exposition collective payante de moins de dix artistes où « 1 000 euros sont à diviser par le nombre d’artistes ou 3 % des recettes à diviser par le nombre d’artistes. » Si l’exposition collective payante comprend au moins dix artistes, alors « la rémunération chute à 100 euros ou 3 % des recettes à diviser par le nombre d’artistes. » Les galeries fermées ont poussé certains peintres à revoir leur mode de fonctionnement, et nombre d’entre eux se sont tournés vers la vente en ligne. « J’ai eu besoin d’apprendre des bases en économie ou en marketing pour réussir à vendre moi-même mes œuvres », souligne Emilie Marchandin.

Les galeries d’art sont vides. Image par David Mark de Pixabay

Les confinements aident les artistes à se détacher des galeristes

En France, le marché de l’art est un marché très fermé. Dans la majorité des cas, l’artiste doit passer par une galerie pour être exposé. Seulement, cela pose plusieurs problèmes. Cela veut dire que les galeries exercent une sorte de « monopole du bon goût » et décident de ce qui peut marcher ou non. « Cette manière de diffuser l’art nous rend tributaires et est néfaste, car tous les styles ne sont pas représentés. » Estime la peintre originaire d’Aix-En-Provence, Emilie Marchandin. Pour elle, « les artistes pensent beaucoup plus à vendre leur art et plaire aux galeries plutôt que de se concentrer sur leur production elle-même. »

Les différents confinements ont aussi révolutionné la manière de partager les œuvres. « J’ai commencé à mettre mes dessins sur Instagram à 11 ans, et dans un premier temps ça m’a permis de me faire connaître », explique Amandine Riou. Ce réseau social a notamment permis à certains de continuer à mettre en avant leurs créations malgré la fermeture des musées et galeries. Ce nouveau canal de diffusion qui représentait déjà un enjeu majeur avant la pandémie de COVID-19 risque de s’étendre dans les prochaines années.

Un monde élitiste entretenu

Le monde de l’art pictural est très développé à Paris, mais peu en province. Selon une étude du département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture rapportée par l’Association Internationale des Critiques d’Art : « les galeries d’art contemporain sont très inégalement réparties entre les régions : cinq régions seulement (Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Bretagne, Rhône-Alpes, Aquitaine) regroupent près de 80 % des galeries d’art contemporain en France. Et la seule région Île-de-France (y compris Paris) comporte 1 151 galeries d’art contemporain, soit 53 % du total ». Toujours selon l’étude, « pour près de 40 % des galeries interrogées, les cinq plus grands collectionneurs génèrent plus de 50 % du chiffre d’affaires. » L’art est onéreux, ce qui participe à son désintérêt par une partie de la population qui le voit comme un monde élitiste. 

La santé économique de ce milieu confirme cet entre-soi de l’art. Les États-Unis et la Chine sont toujours en tête dans le classement du marché mondial. C’est un artiste américain qui trône à la première place : l’œuvre nommée « Sans Titre » de Jean-Michel Basquiat s’est vendue à plus de 110,5 millions de dollars en 2017. Un record bien loin des 19 000 dollars auxquels elle s’était vendue en 1984. L’acheteur est un entrepreneur milliardaire collectionneur d’art japonais, Yusaku Maezawa.

L’œuvre d’art comme produit de placement

En 2013, le directeur d’Arteprice Thierry Ehrmann déclarait déjà, auprès du Figaro : « Selon nos calculs, une œuvre de 15 000 à 50 000 euros se valorise de 5 à 7 % par an à terme, entre 50 000 et 100 000 euros de 8 à 10 % par an. Et au-delà de 100 000 euros, pour des œuvres à la traçabilité parfaite avec de bons certificats, de 14 % par an ». De nombreux amateurs d’art utilisent leurs œuvres en tant que produit de placement financier. Cependant, comme le rappelle Mathilde Courteault, la responsable de la banque Neuflize OBC Art dans un article des Échos, une œuvre d’art coûte beaucoup et ne rapporte rien en dehors du marché. « Celui qui achète une œuvre doit prendre en compte la question de la conservation de celle-ci et de son assurance, voire parfois de sa restauration. ». Cette pratique n’est pas nouvelle : elle est apparue au XXe siècle avec la globalisation, la mondialisation et l’évolution de la répartition des richesses dans le monde d’après Guillaume Cerutti dans un article paru dans le journal nommé Commentaire. Le développement d’Internet facilite également la diffusion et l’analyse des informations sur les transactions. L’aspect économique est devenu un facteur déterminant dans l’achat d’œuvres, dépassant le facteur affectif. Les clients n’achètent plus parce qu’ils aiment l’œuvre, mais parce qu’ils la voient comme un « placement à part entière, dont la valeur dépend, comme tout autre produit d’investissement, du jeu de l’offre et de la demande. » selon Arnaud Dubois, responsable du service art moderne et contemporain à l’Institut du patrimoine dans un article des Échos.

Si le monde de l’art est facilement accessible pour les classes sociales aisées, ce n’est pas le cas pour les autres. Et si le marché de l’art veut se remettre du séisme Covid, une des solutions semble être de s’ouvrir plus largement à toutes les catégories socioprofessionnelles et à tous les âges. Cela permettrait d’éviter un microcosme réduisant son accessibilité et sa portée.

Tanguy Tricoire, Tom Trichereau, Dylan Vandevoorde, Marie Taube