février 11

Nice : l’arrêté municipal interdisant les locations touristiques suspendu

Lundi matin, le tribunal administratif de Nice a examiné le recours de l’union des professionnels de la location touristique (UPLT). L’association s’oppose à l’arrêté municipal interdisant les locations touristiques depuis le 6 février. Elle a obtenu gain de cause.

Des professionnels de la location touristique se réunissent devant le tribunal administratif de Nice avant l’audience en référé-liberté du 8 février 2021 contre l’arrêté municipal visant à interdire les locations touristiques

L’union des professionnels de la location touristique (UPLT) a déposé, le vendredi 5 février, un référé-liberté contre l’arrêté municipal pris par la ville de Nice, par le biais de leur avocat Me Fabrice Barbaro. L’UPLT représente une quinzaine d’adhérents tous installés à Nice et ayant des biens touristiques pour l’essentiel sur la municipalité niçoise. 

La présidente de l’association, Lucienne Giulian, qui travaille sur le marché de la location de vacances « depuis une trentaine d’années », relève « le côté largement discriminatoire de cet arrêté, d’autant plus que le préfet n’a pas suivi et que les autres communes reçoivent des touristes. » Elle évoque « un gros manque à gagner, en plus des annonces gouvernementales et des confinements ». 

Pour cause : le maire de Nice, Christian Estrosi a interdit de louer des logements aux visiteurs de passage à compter du 6 février et ce durant deux semaines.  Par la voix de son avocat Me Hervé Letellier, la ville de Nice justifie cet arrêté « pour limiter le tourisme et éviter une propagation de l’épidémie avec une saturation hospitalière plutôt que de permettre aux particuliers de grappiller quelques jours de location. »  

Référé-liberté 

Cette requête en référé-liberté, déposée par Maître Fabrice Barbaro, avocat de l’UPLT, est une procédure d’urgence devant le tribunal administratif pour faire annuler l’arrêté de Christian Estrosi sur les locations saisonnières pris jusqu’au 20 janvier. Mais le contre-argument de l’avocat de la ville de Nice tient au fait que le « référé-liberté est un recours exceptionnel, aux conditions exceptionnelles qui doivent être démontrées par le requérant : urgence manifeste et atteinte manifestement grave à une liberté fondamentale ». L’avocat de l’UPLT s’appuie sur la « remise en cause » de « deux libertés fondamentales » : la liberté de commerce et le droit de propriété.

Le point essentiel de l’audience du lundi 8 février réside dans la légalité ou non de l’arrêté, face à ces libertés. Pour Me Fabrice Barbaro, le constat est clair : « non seulement, il n’existe aucune justification au niveau de la ville de Nice, à part l’argument que le vieux Nice a des rues étroites et il n’existe aucune circonstance particulière propre à la ville de Nice » qui justifie l’interdiction des locations touristiques depuis le samedi 6 février.

L’avocat de la ville de Nice énonce lui les arguments sanitaires devant le tribunal pour justifier la mesure visant à interdire les locations saisonnières : « il y a une progression très significative entre la fin du mois de décembre et les deux premières semaines de janvier. » L’explication donnée par la Ville : les mouvements de population liées aux vacances de fin d’année.  

« L’objectif est de limiter autant que possible la pandémie » durant cette première période de vacances d’hiver ajoute Maître Letellier devant le tribunal administratif de Nice. 

L’arrêté anti-locations touristiques du 25 janvier « interdit pour les logements de particuliers proposant des hébergements payants temporaires de courtes et moyennes durées, d’accueillir, de recevoir, d’héberger des vacanciers, des touristes et tout autre personne se déplaçant aux motifs de vacances, villégiatures, tourisme, visite dans la famille ou tout autre motif similaire ».

Une mesure liberticide pour Maître Fabrice Barbaro qui, à la lecture de cet arrêté qu’il juge caricatural, a l’impression « qu’il y a des hordes de barbares qui vont venir occuper la ville de Nice ». « L’objectif poursuivi n’est nullement atteint » selon lui.

Dans la salle d’audience, des professionnels du secteur échangent des regards agacés quand Me Hervé Letellier, l’avocat de la Ville, parle d’un « impact très limité » de l’arrêté face à des « intérêts particuliers » des professionnels, notamment « pécuniaires » qu’il oppose à « l’intérêt collectif » avec une situation sanitaire dégradée et des hôpitaux « saturés ».

Face à cela, il indique « qu’un touriste qui ne viendrait pas à Nice serait déjà une victoire » et que « dix touristes évités, ce sont éventuellement dix cas évités ». Il réitère ses propos à la sortie de l’audience en rappelant les conséquences des vacances de Noël, après lesquelles « trois fois plus » de traces du Covid-19 étaient présentes « dans les eaux usées de Nice ». 

Le magistrat Olivier Emmanuelli qui présidait cette instruction, a terminé l’audience par des questions à l’avocat de la ville de Nice. Il a rappelé que « la ligne de conduite du président de la République était davantage de faire appel à la responsabilité civique de la population » et s’est interrogé si « la multiplication des arrêtés n’allait pas à l’encontre de l’intérêt des Français ».

Olivier Emmanuelli a mis en délibéré sa décision après avoir écouté les deux parties. 

« Sauver la saison »

À la sortie de l’audience, les professionnels de la location touristique expriment leurs craintes. Salvatore Luci, qui dirige l’agence de location de maisons de vacances « MY CASA NICE », évoque de « nombreuses annulations et particulièrement en dernière minute ». Une perte de chiffre d’affaires, qu’il ne « pourra pas remplacer ». C’est pourquoi il espère que le tribunal va « contrer cet arrêté ». « Nous souhaitons sauver la saison » ajoute-t-il.

Séverine Martena, co-gérante de l’agence « Nice Booking » et membre de l’UPLT rappelle que « la filière touristique est très impactée depuis maintenant un an ». Elle évoque la mise en place de protocoles sanitaires stricts pour pouvoir accueillir les clients.

« On a attaqué ce recours principalement pour sauver les vacances d’avril, les ponts de mai et les vacances estivales. On a peur que Christian Estrosi reproduise ce schéma dans le futur » s’inquiète le vice-président de l’union des professionnels de la location touristique, Frédérick Seidita-Aeres. 

En moyenne, les agences membres de l’UPLT « ont perdu 80% de chiffre d’affaires sur l’année 2020 » ajoute Lucienne Giulian, présidente de l’association.

Lucienne Giulian et Frédérick Seidita-Aeres, présidente et vice-président de l’union des professionnels de la location touristique, ont déposé le recours contre l’arrêté anti-location saisonnières de la mairie de Nice

Suspension de l’arrêté

Dans l’après-midi, Olivier Emmanuelli a rendu sa décision.

Ce juge des référés mentionne que « l’afflux massif de touristes invoqué sur la Côte d’Azur en période hivernale » n’est « pas démontré », une « rupture d’égalité entre les différents acteurs du tourisme » et « qu’il n’a pas été démontré en quoi les mesures contestées […] seraient actuellement indispensables à Nice. »

Il a donc « prononcé la suspension de l’arrêté du maire de Nice en date du 25 janvier 2021 » au vu des mesures liberticides notamment pour la « liberté de commerce ». Une « bizarrerie », selon Christian Estrosi qui, sur RLT, dit ne pas « comprendre » la décision. Il a donc décidé de « s’en remettre au Conseil d’État ». Au passage, il qualifie « d’irresponsable » l’UPLT et juge la décision du tribunal administratif « incohérente » : « La même juridiction qui m’a reconnu le droit, voire le devoir d’agir face aux circonstances exceptionnelles que connaissait la Ville de Nice lors de l’examen du recours contre le couvre-feu ou le port du masque, tient aujourd’hui le raisonnement inverse », s’agace le maire de Nice.

Un nouveau rebondissement dans ce dossier où le tribunal administratif a donné raison aux propriétaires. Reste à savoir si le Conseil d’État ira dans le même sens.

Joseph Grosjean