
Les Neurchis: la culture du mème sur Facebook
Certains amateurs de mèmes se réunissent dans des groupes privés, sur le Facebook francophone. C’est ce qu’on appelle des « neurchis » (chineurs en verlan). Les membres y partagent des mèmes de leur invention ou dénichés sur Internet.
Connaissez-vous les « neurchis »? Ces groupes privés, francophones, où les membres partagent des mèmes sur des thématiques. Les neurchis doivent donc leur existence aux mèmes.
Entré dans le dictionnaire Larousse en 2014, le « mème » est défini comme « un concept (texte, image,) massivement repris, décliné et détourné sur Internet de manière souvent parodique, qui se répand très vite, créant ainsi le “buzz” ». Autrement dit, un objet culturel, alliant texte et image, le plus souvent humoristique, qui se réécrit dans le but de devenir viral.
Pour Albin Wagener, enseignant-chercheur en sciences humaines et linguistiques numériques, les mèmes sont comme un langage : « C’est un langage qui mobilise du texte et de l’image. Et parce qu’il permet de communiquer à travers des médias différents, au travers des réseaux sociaux, notamment, c’est un nouveau langage. »
C’est avec ce « nouveau langage » que les neurchis sont créés en 2016, avec Neurchi de mèmes. Les Inrocks reviennent avec son créateur, sur l’histoire de ce tout premier neurchi.
Très rapidement, le concept se décline, et de nombreux autres neurchis apparaissent sur Facebook.

Les neurchis: un phénomène francophone
Comme le précise Albin Wagener, même s’il existe de nombreuses communautés de mèmes dans d’autres langues et pays, le neurchi est resté un phénomène francophone.
« Le neurchi est une création française. Les gens se rassemblent par centres d’intérêts et au lieu de discuter de leur centres d’intérêts, ils échangent des mèmes et c’est autour de ces mèmes qu’ils vont discuter. C’est une manière assez ludique de faire communauté. En plus, un même c’est censé être humoristique, faire rire, c’est quelque chose d’assez léger. Je pense que si les neurchis fonctionnent aussi bien c’est parce que c’est léger et divertissant. Alors qu’autour de nous, la société est moins légère et moins divertissante. »
« La neuchisphère est une communauté. » (Camille Teste, créatrice du Neurchi d’introvertis)
Ce sentiment, faire communauté par les neurchis, est une évidence pour Camille Teste, administratrice (admin) du Neurchi d’introvertis : « Clairement, ce qu’on appelle la « neurchisphère » est une communauté. On a sensiblement tous les mêmes règles, on fonctionne plus ou moins pareils, et ça créé une communauté. »
Les règles jouent un rôle important dans les codes et l’identité des neurchis.
Albin Wagener explique : « Chaque communité a ses propres règles et développent un langage qui leur est propre. Sur les neurchis, il y a la mention « stolen ». Le fait de pouvoir chaparder des mèmes, c’est l’esprit du chineur. On va « voler » des petites choses et les poster. Ce qui est intéressant c’est que c’est dit, que ce soit les OC, les original content (les créations) ou les « stolen ». Sur les neurchis, quand on a « volé » un mème on le dit. C’est la joie d’avoir trouver quelque chose de drôle et de le partager à son tour. C’est tout l’esprit bricolage du Web 2.0, un Internet très collaboratif où le but est d’échanger, de participer. »
L’instauration de règles et la présence de modérateurs est aussi nécessaire pour garder l’harmonie du neurchi selon Camille Teste: « On a besoin de contrôler ce qu’il se passe sur le groupe pour garder une bonne ambiance. Il y a aussi certaines règles universelles, comme celle de ne pas tagger (d’identifier) ses potes pour garder des commentaires constructifs sous les différents postes. C’est pour ça que c’est important d’avoir des modérateurs. » En dépassant les 10 000 membres, Neurchi d’introvertis a décidé de recruter d’autres modérateurs.
Des neurchis pour tout le monde
Neurchi d’insomaniaques, Neurchi d’Harry Potter, Neurchi de Pitichat… Cinéma, séries, mangas, bandes dessinées, chats, régions, les thématiques des neurchis sont nombreuses et diverses.
Certains abordent ainsi des traits de personnalité comme Neurchi d’introvertis.
Camille Teste raconte la création du neurchi : « J ’ai toujours apprécié être seule chez moi, je faisais pas mal de mèmes sur le sujet que je partageais à mes amis ou à ma famille. Quand j’ai découvert les neurchis, je n’ai pas pu trouver un neurchi qui représentait ma situation et sur lequel je pouvais poster. » Après avoir demandé sur Neurchi de Neurchi, un groupe qui recense les neurchis existants, si un tel groupe existait, elle a reçu de nombreuses réponses négatives. Mais l’idée a plu. Grâce à un ami et à un membre qui avait commenté sous son poste, Camille Test a finalement créé le groupe qu’elle recherchait.
De Facebook à Instagram
Début février, le générateur de photos présidentielle « Républigram » est devenu viral. Sur les neurchis mais aussi sur Instagram.

Pour en savoir plus sur Républigram : Qui se cache derrière Républigram, ce générateur de photos présidentielles qui amuse la toile ?
De la même manière, d’autres mèmes sont largement partagés sur Instragram avec notamment l’apparition de comptes dédiés.
Même si c’est avec Facebook et les neurchis que Zakary, a créé ces premiers mèmes, il s’en est aujourd’hui éloigné pour créer son compte Instagram : Zakarygolo. « Instagram c’est bien parce que tu postes, et tu as juste des commentaires après. Il n’y a pas autant de risques de dramas que sur les neurchis. » Pas de thèmes particuliers, pas de règles, le « mèmeur » poste quand il a « une idée et rien à faire ».
Si les mèmes restent divertissants, pour Zakary, ils sont aussi devenus des éléments de soft power.
Les mèmes : un outil de soft power
Selon Albin Wagener, l’influence des mèmes dans nos vies est bien réelle : « La « mèmification » des images est assez courante. Je pense récemment à la pose de Bernie Sanders lors de l’intronisation de Joe Biden. C’est devenu viral sur Internet, des médias, même « mainstream » l’ont repris et expliqué. C’est drôle de voir que ce que l’on retient de cet évènement c’est aussi le mème de Bernie Sanders. »
Auriana Castro