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« Dégager Poutine » : les ambitions politiques d’Alexei Navalny, ennemi juré du Kremlin

Après 5 mois de convalescence en Allemagne, où il séjournait après avoir été victime d’un empoisonnement, le premier opposant du Kremlin est à nouveau sous le feu des projecteurs en ce début 2021. Emprisonné depuis le 17 janvier, les internautes et les journaux relaient en masse son arrestation filmée puis son procès. Vivement soutenu par la communauté internationale, Navalny apparaît comme l’alternative à une Russie plus démocratique, mais ce personnage aux idéologies floues affiche des revendications populistes loin d’un idéal progressiste russe.
« Je recommande le pistolet » conclu A. Navalny dans cette vidéo postée en 2007. Le blogueur nous explique qu’il est plus efficace d’abattre un humain par balles qu’avec une tapette (propos illustrés avec des rebelles tchétchènes). Entre temps, il participe à une marche d’extrême droite anti-immigration qui lui vaudra d’être exclu du parti social-libéral « Iabloko ». L’oie blanche de la politique telle qu’on l’imagine en France ce n’est pas lui, mais ce quarantenaire à l’aise devant la caméra plaît aux internautes. Pour Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre, spécialiste des sociétés postsoviétiques et interrogée pour Libération : « Ces idées ne sont pas du tout vues comme extrémistes dans le champ politique russe, elles sont beaucoup plus mainstream que dans des pays d’Europe de l’Ouest. »
Alors que l’on constate que 72 % des Russes s’informent via la télé du Kremlin, la bataille idéologique de l’opposition se mène davantage sur Internet et les réseaux sociaux, supports sur lesquels Navalny est hyperactif. Son site internet, rospil.info abrite les travaux de La Fondation Anticorruption qui enquête et publie les détournements de fonds du budget de l’État. L’objectif de « FBK » est d’éliminer la corruption. Tout commence en 2010 lorsqu’il s’attaque via des enquêtes personnelles à la corruption mise en place par le Kremlin. À cette époque, il découvre que l’État pratique le détournement d’argent public comme lorsque 2,9 milliards d’euros disparaissent lors d’un transfert pour le financement du Pipeline Sibérie — Pacifique. Pour combattre le crime institutionnel, il ne suffit pas de s’agiter sur le Net, Navalny l’a compris et se présente en 2013 à la mairie de Moscou. Malgré son statut de « rebelle », il remporte près d’un tiers des voix. Dans un pays où les élections nationales ont maintenu au pouvoir le président Poutine depuis 2 décennies et qu’une autorisation est délivrée arbitrairement pour mener campagne, ce succès lui vaut d’être sanctionné à inéligibilité jusqu’en 2028.
Cette exposition politique et médiatique entraîne plusieurs arrestations pour désobéissance aux forces de l’ordre. S’il a déjà été personnellement condamné de nombreuses fois à la prison, ces proches ne sont pas épargnés par son activisme. En 2014, son frère Oleg Navalny écope de 3 ans d’emprisonnement ferme. Après la récente interpellation d’Alexei le 17 janvier suite à son retour d’Allemagne, rebelote pour Oleg arrêté 10 jours plus tard. Dans la foulée, son médecin, sa femme, ses collègues se retrouvent à leur tour dans la tourmente ; Poutine possède plusieurs cordes à son arc pour fragiliser le militant et son entourage. C’est que le Régime mène la vie dure aux opposants. En 2015, c’est Boris Nemtsov, homme politique reconnu et publiquement anti-Poutine, qui en subit les conséquences. Il a été assassiné par 4 balles en plein centre de Moscou quelques jours avant un rassemblement organisé avec son ami Navalny. Le Kremlin privilégie alors la piste des terroristes tchétchènes pour leur enquête sur le meurtre de l’ex-ministre. Lors d’un entretien au Monde, Alexei Navalny estime à l’époque que, « Soit ils [le gouvernement] ont agi ensemble, soit ils ont laissé faire. »
L’avocat se distingue dans le paysage politique par son endurance face aux représailles et sa capacité à prendre de nouveaux risques pour enquêter sur la corruption. Son positionnement flou sur certains enjeux de société empêche cependant la constitution d’un programme d’alternance solide, et, comme le souligne cet article de Politis intitulé « L’effet Navalny » : « Le “tout sauf Poutine” peut conduire Navalny aux alliances les moins recommandables ». Et pourtant ! Un horizon politique plus démocratique est fermement revendiqué par la population russe (on se souvient en 2018 des manifestations en réponse à la réforme des retraites), notamment chez les moins de 35 ans. Lors des rassemblements organisés en réaction à l’arrestation de l’opposant et très durement réprimés, les militants étaient plus majoritairement anti-poutine que « pro-Navalny » (voir ici). Le cas Alexei Navalny incarne alors la vague de contestation de la jeunesse, mais jusqu’où portera-t-elle le peuple russe ?
Raphaëlle Hutin