février 24

Les critiques pleuvent sur Frédérique Vidal après ses propos sur l’ « islamo-gauchisme » à l’Université

Le prise de parole de la Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation sur CNEWS a provoqué un tollé dans le milieu universitaire

L’hashtag #VidalDémission était en tendance France sur Twitter en début de semaine, après les déclarations de Frédérique Vidal ce dimanche 14 février sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach. Elle y reprenait la Une du 12 février du Figaro et déclarait que « l’islamo-gauchisme gangrène la société, et l’Université n’est pas imperméable ».

Chez CNEWS, la ministre met en cause la neutralité des enseignants-chercheurs. Source : CNEWS

Problème de priorités ?

C’est le décalage entre les propos de la ministre et la situation des étudiants qui choque particulièrement. Sur les réseaux et dans les médias, on parle de plus en plus de l’isolement, de la précarité et de la détresse de ces jeunes qui subissent les contraintes des mesures sanitaires. Sur Twitter, Manon Milcent, étudiante à Montpellier réagit : « Les étudiants se suicident, souffrent, font face à la précarité, ne peuvent parfois plus se nourrir, l’université et la recherche sont détruites, mais le problème c’est le soi-disant islamo-gauchisme présent dans les universités ».

Cet éloignement de la réalité des facs étonne d’autant plus que Frédérique Vidal avait jusqu’en 2017 une carrière d’universitaire, enseignante en biochimie puis directrice de son département, et enfin directrice de l’université Nice-Sophia Antipolis en 2012. Au Syndicat National de l’Enseignement Supérieur, Anne Roger parle même d’une ministre « hors sol ».

Ses propos rappellent ceux que Jean-Michel Blanquer avait tenus chez Europe 1 il y a seulement quelques mois, le 22 octobre 2020, et qui avaient également suscité un tollé sur les réseaux. Frédérique Vidal les avait d’ailleurs vivement critiqués dans une tribune, répondant que « l’université n’est ni la matrice de l’extrémisme, ni un lieu où l’on confondrait émancipation et endoctrinement ».

Aujourd’hui, la Ministre déclare même souhaiter demander au CNRS une enquête sur la propagation de l’islamo-gauchisme dans les universités.

Les universitaires montent au créneau

Comme elle l’avait fait après le discours de Blanquer, la Conférence des présidents d’université réagit dans un communiqué où elle exprime « sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile », et s’étonne de « l’instrumentalisation du CNRS dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève ‘’du militantisme ou de l’opinion’’ ».

Le centre national de recherche scientifique publie également un communiqué de presse, condamnant « les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ‘’race’’ », et rappelant que l’ « islamo-gauchisme n’est pas une réalité scientifique ».

Il y a 80 ans, le 23 février 1941, on remettait déjà en question la neutralité de la recherche, rappelle sur Twitter un professeur de sociologie à Paris-Saclay. (Source : Bnf Gallica via @coulmont)

Le surlendemain de son interview sur CNEWS, la ministre fait à nouveau part de sa volonté de lancer une enquête du CNRS, devant l’Assemblée Nationale cette fois. La députée Bénédicte Taurine du groupe La France Insoumise, s’est dit choquée par « ces chasses aux sorcières dignes d’un autre régime » pendant les questions au gouvernement. « Vous n’avez rien d’autre à faire que de lancer une police de la pensée ? »

Malaise aussi chez LREM

Alors que Bruno Retailleau, patron des sénateurs Les Républicains, a apporté son soutien sur Twitter et Laurent Jacobelli, porte-parole du Rassemblement National, a salué ces propos au « Talk » du Figaro, on sent un léger malaise au sein de la majorité. Emmanuel Macron a d’ailleurs recadré Frédérique Vidal pendant son Conseil des Ministres, et lui a rappelé son « attachement absolu à l’indépendance des enseignants-chercheurs », tout comme la priorité du gouvernement : « la situation des étudiants dans la crise sanitaire ».

La critique des travaux de recherche sur le post-colonialisme aussi fait grincer les dents, alors même que Macron a nommé Pascal Blanchard, un historien spécialiste de la question, à la tête d’une commission pour fournir une liste de héros des anciennes colonies et des outremers à honorer.

Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal tient tout de même à assurer la confiance maintenue du président en la ministre, qui « se démène pour permettre [aux étudiants] de traverser cette crise dans les conditions les moins difficiles possible », dit-il.

Mais après le reproche de « mollesse » fait par Darmanin à Marine Le Pen pendant leur débat le jeudi, l’utilisation par une ministre du terme d’ « islamo-gauchisme » – jusqu’il y a peu réservé à l’extrême droite – crée à nouveau la confusion autour du président « ni de droite, ni de gauche ».

Par Quentin Dansac