Lokman Slim : l’homme qui aimait la liberté

L’intellectuel libanais qui inspire par son courage et son combat, de Paris à Beyrouth, a été froidement assassiné le 4 février dernier

Lokman Slim n’avait pas peur de dire « non » malgré les nombreuses menaces de mort – ©Sam Tarling

C’est dans son pays natal, au Liban, que Lokman Slim a trouvé la mort à 58 ans. Le 4 février dernier, on le retrouve avec quatre balles dans la tête et une dans le dos, tirées à bout portant. Mais ses récits continuent de planer sur la terrasse de la Querelle Byzantine, ce petit restaurant à Beyrouth où il avait l’habitude de venir. Cette voix qui ne tremblait jamais même lorsque ses mots pouvaient signer sa mort comme le proférer de nombreuses menaces en décembre 2019. « Il me disait qu’il n’avait pas peur de la mort« , a déclaré à l’AFP sa sœur Rasha al-Ameer. Son discours résonne et berce encore les rêves de liberté des libanais.

Issu de la haute bourgeoisie chiite, fils d’un avocat de renom et d’une mère égyptienne, il est un fervent défenseur de la laïcité. Il affichait sans peur son hostilité au Hezbollah, le « parti de Dieu ». Il vivait d’ailleurs à Dahieh, où se trouve le quartier général du parti car « c’était son quartier et que personne ne l’obligerait à partir » selon les mots du journaliste Jean-Pierre Perrin. Une lutte risquée, il avait déclaré dans un communiqué, qu’il a publié sur Facebook en 2019 «Au cas où une attaque verbale ou physique serait perpétrée contre moi, ma femme, ma maison ou ma famille, je rends, par cette déclaration, les forces de facto – représentées par Hassan Nasrallah et Nabih Berri – responsables de ce qui s’est passé ou se produira. ».

Cinéaste, éditeur, érudit ou militant, Lokman Slim se faisait entendre par tous les moyens. Il n’a jamais vraiment quitté Beyrouth mais la ville n’a jamais quitté son cœur. Il décide de quitter les terres libanaises pour Paris en 1982. Il commence alors des études de philosophie à La Sorbonne, qu’il finit par abandonner. Il entreprend donc de voyager en Europe : en France, en Allemagne et en Belgique. Et puis en 1988, il retourne habiter les quartiers animés de Beyrouth.

Donner la parole, de la littérature au cinéma

L’écriture a bercé sa vie. Et lorsqu’il revient au Liban, il ressent le besoin de partager ce goût de la littérature. Il crée donc la maison d’édition Dar al Jadeed en 1990. Il explique au micro des Clés du Moyen-Orientque « Travailler dans l’édition était une nouvelle forme pour continuer à écrire, écrire avec les textes des autres ». Il publie notamment des livres interdits par la Sûreté Générale, les services secrets libanais. Mais également des traductions en arabe des écrits de Muhammad Khatami, ancien président de l’Iran qui prônait la liberté d’expression et la tolérance, perçu comme un chef de file des « réformateurs ». Lokman Slim fait alors un premier pas dans ce rôle de diffuseur de la parole et se place au travers de la censure.

Mais il ne s’arrête pas ici puisqu’en 2001, il co-produit Massaker avec sa compagne allemande, Monika Borgmann. Le documentaire délivre les récits de 6 participants aux meurtres et aux barbaries perpétrés lors du massacre de « Sabra et Chatila » qui a eu lieu en 1982 à Beyrouth. Il dénonce la violence que les palestiniens ont subi durant de ces évènements qui ont fait près de 3500 victimes. Il fut d’ailleurs lauréat du prix Fipresci au festival international du film de Berlin en 2005 et continue d’être diffusé dans le monde entier, mais censuré au Liban. Bien plus tard, en 2016, ils sortiront le documentaire « Tadmor » qui donne la parole à d’anciens détenus libanais. Ces films s’ancrent dans cette volonté de conserver et de faire vivre à tout prix la mémoire libanaise.

Devoir de mémoire

C’est sûrement sa plus grande fierté : la fondation Umam Documentation and Research. « Ce travail sur le film Massaker nous a permis de découvrir – même si c’était une vérité de Lapalisse – que les Libanais ne disposent d’aucunes ressources ouvertes pour travailler sur la guerre », alors en 2004, il s’installe avec sa femme dans une grande maison blanche entourée d’un jardin luxuriant, maintenant appelée la « Villa Slim ». Et au sein de celle-ci ils décident de fonder cette organisation qui donne l’accès à une archive ouverte de document concernant l’histoire sociale et politique du Liban, ils voulaient « essayer de créer une sorte de collection de documents qui aiderait à instruire le dossier de divers aspects relatifs à la guerre ». Sa femme se confie lors d’un entretien à l’Orient-Le Jour « Personne n’est comme Lokman, il comprenait la valeur de toutes ces archives, même d’une simple note, grâce à ses connaissances ».

Le bureau de Lokman Slim à Beyrouth – Reuters

Et à côté de cette maison se trouve le « Hangar ». Un lieu animé par des expositions et des projections de films en tout genre. On a pu par exemple y voir une exposition intitulée « Missing » qui représente un collage de photos des personnes disparues pendant la guerre civile qui s’est déroulée de 1975 à 1990. Elle fit entre 130 000 et 250 000 victimes civiles.

Lokman Slim dans les locaux de l’organisation Umam Documentation and Research – João Sousa

La clé : l’éducation

Son engagement continue avec le lancement de l’initiative Hayya Bina (Let’s Go). À l’aube des élections de 2005, elle promeut la participation des citoyens à la critique du système politique en place. Elle dénonce une structure politique non viable. Cette initiative, d’abord citoyenne, devient plus tard une ONG. Des projets tels que « Teach Women English » ont pu voir le jour. Celui-ci consiste au recrutement d’enseignants pour apprendre l’anglais aux femmes dans les zones rurales.

Lokman Slim souhaite que les libanais réfléchissent par eux-mêmes et parfois même contre eux-mêmes. Son combat imprégna sa vie, mais continue de subsister. Et les mots que l’érudit libanais prononçait au micro de France Culture en 2019 résonnent maintenant amèrement « C’est un travail infini. Nous sommes tout à fait conscients que, finalement, peut-être qu’il va nous survivre, mais, sûrement, nous n’allons pas lui survivre ». Il n’a pas survécu, mais son travail, lui, continue de faire battre le cœur de ses proches et de ses partisans.

Lola Dravet

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