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Droit de vote à 16 ans : et si les urnes prenaient un coup de jeune ?
Les dernières générations apparaissent comme politisées, avec les marches pour le climat, pour les droits humains et contre les féminicides. Pourtant, les opposants au droit de vote à 16 ans restent nombreux.

“A 16 ans on est trop cons, et absolument pas responsables (pour la plupart)”, affirme Alexis, 17 ans. Les jeunes ne semblent pas croire en l’intelligence et la maturité de leur génération. C’est ce que nous avons constaté à travers des sondages que nous avons réalisés sur Instagram. Mêm si l’échantillon pris en compte est restreint, à la question, “êtes-vous pour ou contre le droit de vote à 16 ans ?”, environ 80 % des sondés répondaient par la négative. Pourtant, l’avancée de deux ans du droit de vote a fait l’objet d’une proposition de loi enregistrée par l’Assemblée Nationale le 25 août 2020. Le texte est porté notamment par l’aile gauche de LREM (Cédric Villani, Matthieu Lorphellin, Paula Forza) et par la gauche (Clémentine Autain, Jean-Luc Mélenchon). Deux propositions sont ainsi rédigées : l’article 1 propose que soient reconnus comme électeurs les Françaises et Français âgés de seize ans. L’article 2 permettrait que l’inscription sur les listes électorales soit automatique à partir de la seizième année du citoyen français.
“Quand on a 16 ans”
Mathieu Devlaminck, président de l’Union National des Lycéens, affirme que le corps électoral et le système de représentativité colleraient davantage aux aspirations des jeunes si ceux-ci étaient impliqués directement dans le système démocratique actuel. “On n’a pas envie qu’ils [les élus] prennent des décisions à notre place. […] Les jeunes sont autonomes et souhaitent prendre leur avenir en main.” Pour lui, la jeunesse est légitime pour voter et demande à être prise en compte : “Quand la parole des jeunes n’est pas entendue, la colère monte.” Il va jusqu’à avancer que le droit de vote pourrait éviter les scènes de répression comme à Mantes-la-Jolie en 2018.
En 1974 déjà, le président de la République Valéry Giscard-d’Estaing abaissait, par la loi du 5 juillet, l’âge d’obtention du droit de vote à 18 ans au lieu de 21 ans à l’époque. “Les arguments “contre” dans les années 70 semblent similaires à ceux d’aujourd’hui”, remarque Clairanne Dufour, ancienne présidente d’Avenir Lycéen. La jeune femme de 19 ans rappelle que “quand on a 16 ans, on peut travailler, on peut être parents, on peut commencer à conduire : il y a plein de nouveaux droits pour les jeunes à cet âge précis.”

62% des lycéens sont favorables au vote à 16 ans
Ce n’est pas l’avis de Marcel Alédo, maire de Royat dans le Puy-de-Dôme. “A 16 ans, nous sommes encore sous l’influence d’autrui : des parents, des amis, des gens que l’on côtoie et avec qui on échange. Donc on ne peut pas se faire d’avis personnel.” Selon lui, “le vote, c’est pour les gens qui réfléchissent et qui pensent.”
L’Union nationale des lycéens (UNL) avait déjà mené une campagne en faveur de la question en 2016. Ils avaient alors réalisé une votation sur 57 000 lycéens français. 62% d’entre eux étaient favorables à un abaissement de l’âge minimum de vote à 16 ans. Selon les chiffres de l’Insee, la population des 16-17 ans en France en janvier 2021 représente 1 682 897 individus, soit environ 3,25 % de la masse électorale si l’abaissement de l’âge minimum des votant est abaissé à 16 ans. De quoi peser dans les résultats des élections.
Aux dernières présidentielles, 21,3% des 18-24 ans n’ont voté à aucun des 2 tours. Ce phénomène, plus complexe qu’en apparence, est dû à deux principaux facteurs, expliqués dans le studio de France Culture par Céline Braconnier, professeure de sciences politiques et directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Lay. “Quand on est jeune, on vote moins parce qu’on est moins intégré, et plus mobile géographiquement. Ça gêne la participation : il y a un problème d’inscription [sur les listes électorales].”, analyse-t-elle.
Les plus jeunes ont aussi moins la culture du vote, notamment parce qu’ils le voient comme un acquis. Pour eux, c’est un droit plus qu’un devoir de citoyen. Céline Braconnier ajoute : “Il y a un phénomène générationnel : les jeunes culpabilisent beaucoup moins de s’abstenir que les générations plus anciennes. C’est dû au fait qu’ils vont plus longtemps à l’école et qu’ils sont plus exigeants envers leurs représentants.” De fait, ce sont les jeunes retraités qui votent le plus : 80,8% des 65-69 ans ont voté aux 2 tours des élections de 2017.
“Un manque de discernement chez les jeunes”
Les opposants à cet abaissement de l’âge légal voient dans cette proposition une certaine forme de démagogie, un effet d’annonce pour gagner de nouveaux électeurs. Ils pointent du doigt un manque de maturité politique chez les 16 ans et plus. La majorité des jeunes (entre 15 à 21 ans) que nous avons interrogés reconnaissent qu’à 16 ans, rares sont ceux qui s’intéressent à la politique. Laura, 19 ans, s’interroge : “Il faudrait que les jeunes se renseignent de leur côté, mais je ne suis pas certaine que beaucoup de gens le feront. La plupart voteront comme leurs parents parce que c’est leur seul point d’appui.” Et quand bien même ils s’investissent en politique, leur vote potentiel ne serait pas assez réfléchi selon Matteo, étudiant de 19 ans : “Honnêtement, à 16 ans, je m’intéressais à la politique […] mais je réalise maintenant que le vote que j’aurais fait n’aurait pas été un vote réfléchi et rationnel.” Raphaël, 20 ans, complète : “J’observe un manque de discernement terrifiant chez les jeunes. Par exemple, ils repostent un article de Raphaël Glucksmann sur les ouïghours et, dans la même journée, ils publient une story de leurs achats chez Zara”.
Clairanne Dufour met pourtant en lumière le fait que les jeunes ne sont pas les seuls à être amadoués par les discours politiques : “On est tous influençables parce qu’on est tous dans des classes sociales particulières, notre socialisation politique est impactée par notre environnement […] Même à 55 ans, on se fait charmer.” Rappelons d’ailleurs que les droits des enfants reconnues internationalement stipulent que “chaque enfant a le droit d’exprimer librement ses opinions […]. Aussi, un enfant ne doit pas être victime de pression de la part d’un adulte, qui chercherait à le contraindre ou à l’influencer dans son opinion.”
D’après Céline Braconnier, des études menées aux États-Unis montrent que l’abaissement de l’âge électoral permet un accompagnement des jeunes par la famille et par l’école dans leurs premiers engagements dans le vote. “Abaisser l’âge du vote c’est rendre possible l’accompagnement des premières expériences électorales », explique-t-elle. La professeure de sciences politiques défend l’idée selon laquelle il faut donc s’entraîner à voter, le plus tôt possible.
L’EMC, ou l’Enseignement Minimisé et Camouflé
Le vote à 16 ans, non… sauf si on sait de quoi on parle. C’est le dilemme majeur de ce débat. “Il faudrait comprendre les enjeux du vote avant de voter, avance le président de l’UNL. Quand on va en cours d’EMC [Enseignement Moral et Civique, ndlr], ce sont des enseignements très descendants, les profs ne font pas vivre la politique en incluant les élèves dans les valeurs que les politiques mettent sans cesse en avant. Liberté, égalité, fraternité… ce sont des concepts qu’il s’agirait de pratiquer en cours”.
“On doit revoir les bases sur la connaissance des institutions. Aujourd’hui, qui sait comment fonctionne le parlement européen ?”, provoque Clairanne Dufour, ex-présidente d’Avenir Lycéen. Les institutions sont étudiées en histoire notamment. D’après Rémy Bourgaud, le programme est essentiellement dirigé vers la Ve République. Il essaie d’adapter ses cours à la matière et d’impliquer ses élèves car, dit-il, “pour l’enseignement moral et civique je veux que les élèves réfléchissent. Je me vois mal y faire des cours classiques”.
Selon Clairanne Dufour, l’école n’est pas assez représentative de ses élèves. “Pour l’instant, les instances de représentativité des élèves telles que le Conseil de Vie Lycéenne, le Conseil Académique de la Vie Lycéenne, ou la Maison des Lycéens (MDL) [3 organismes de vie lycéenne] sont en dehors de l’Education Nationale !”, s’offusque-t-elle. La voix des jeunes est tout de même entendue par l’Etat : certaines instances les font participer. C’est le cas notamment du CESE (Conseil Economique, Social et Environnemental), qui “conseille le gouvernement et le Parlement” sur les politiques publiques. Le CESE possède son propre groupe dédié aux questions concernant les jeunes et les étudiants : le Groupe des Organisations étudiantes et mouvements de jeunesse. Il intègre également des mouvements de jeunes à ses actions : quatre représentants âgés de dix-huit ans minimum y siègent. Un comité centré sur la jeunesse a aussi été créé, le CIJ, avec un plan “Construire avec la Jeunesse”. Il permet aux jeunes de se concerter sur des sujets locaux qui les concernent, comme l’avenir de la montagne à l’horizon 2040 en Rhône-Alpes. L’Etat s’est aussi engagé à accompagner les territoires dans la création d’instances de jeunesses. Pourtant d’après le CIJ, “Il n’existe qu’à peine une vingtaine d’organisations nationales de jeunes en France, contre 50 à 100 dans la plupart des pays européens.”
L’Enseignement Moral et Civique (EMC), présenté par l’Etat comme permettant de transmettre les “valeurs de la République acceptées par tous”, de “vivre ensemble dans une République indivisible, laïque, démocratique et sociale” n’est pourtant pas assez mis en avant d’après Clairanne Dufour. Elle dénonce : “On dit que l’EMC existe, mais on ne donne pas l’argent nécessaire pour que l’enseignement soit réalisé correctement.” Sur le programme de l’enseignement moral et civique, on peut lire que la matière “doit avoir un horaire spécialement dédié. Mais il ne saurait se réduire à être un contenu enseigné « à côté » des autres. ”Cela signifie que l’EMC est compris dans la matière “Histoire-Géographie-EMC”. Il fait donc partie des enseignements obligatoires, mais n’est pas une matière à part. La tenue des heures d’EMC dépend de chaque professeur d’“Histoire-Géographie-EMC” qui dispose de 3 heures de cours par semaine dans le secondaire. Ce qui revient à 1 heure par semaine pour apprendre le poids du vote.
Noé Girard-Blanc, Jessica Granato, Arthur Grollet, Samuel Gut, Raphaëlle Hutin