mars 18

La culture en colère

A l’heure où les syndicats du spectacle dénoncent le sacrifice de la culture, où les occupations, concerts de rues et manifestations se multiplient pour protester contre les décisions de l’exécutif,comment expliquer l’indignation du monde de la culture ?

Une année noire et blanche

Car derrière les slogans sur la façade de l’Odéon Théâtre, occupé depuis le 4 mars dernier, se cache le malaise d’une caste de métiers aussi variés que dépendants des lieux de culture et du public : les intermittents du spectacle.
Pourtant, malgré l’année noire de 2020 et ses 22,3 milliards de pertes pour le monde de la culture, l’annonce puis le décret d’une année blanche par le gouvernement semblait avoir fait office de canot de sauvetage pour ces professions à l’arrêt. Une mesure qui, si elle n’avait pas fait l’unanimité dans ses conditions, avait quand même été accueillie avec un certain soulagement par les 270 000 intermittents de France. Le gouvernement affirme également avoir mobilisé plusieurs milliards entre le mois de mars 2020 et la fin de l’année, dans le cadre de ses plans de relance.

La fermeture des salles pèse aussi au reste de la population, aller au cinéma fait partie des activités les plus regrettées par les français

Les raisons de la colère

Mais pourquoi toutes ces contestations en ce début d’année 2021 ? Pourquoi la colère des intermittents s’exprime-t-elle maintenant dans la rue, là où elle s’était globalement cantonnée à plusieurs appels et hashtags sur les réseaux sociaux ?
D’abord, les espoirs soulevés par les déclarations d’Emmanuel Macron en novembre, au sujet d’une réouverture possible le 15 décembre pour les salles de spectacle ou de cinéma. Une lueur d’espoir éteinte à cinq jours de la date annoncée, soufflée par Jean Castex, déclarant néanmoins examiner l’idée d’une réouverture le 7 janvier 2021. Le bout du tunnel, reporté de trois semaines pour le monde du spectacle, s’est encore fait plus lointain quelques jours avant ladite date, cette fois par l’intervention de Gabriel Attal le 1er janvier.
Des reports répétés qui avaient déjà commencé à échauffer les esprits, en témoigne la vague de manifestations du 15 décembre, d’une ampleur nationale. Une mobilisation générale avait également été lancée à un peu plus d’un mois d’intervalle, le 19 janvier. Mais l’étincelle, dans ce monde du spectacle changé en vraie poudrière par les annonces successives de l’exécutif, semble avoir eu lieu le 18 février. Ce jour-là, la ministre de la culture Roselyne Bachelot, après discussion avec plusieurs acteurs du monde de la musique, annonce le cadre dans lequel pourront se dérouler les festivals prévus pour 2021.

« Les empêché.e.s de travailler »

Une jauge de 5 000 personnes, en position assise et respectant la distanciation, et aucune réponse concernant la vente de boisson et la restauration, partie non négligeable des revenus de certains festivals. C’en est trop pour Dot Rouffiac, tourneuse, productrice et bookeuse travaillant avec le groupe Goulamas’K et l’artiste Soan. En réaction à l’annonce de ces conditions « complètement irréalistes et irréalisables », elle fonde le 19 février le groupe Facebook « Coordination des empêché.e.s de travailler » avec son ami Fred des Goulamas’K. Derrière le slogan « les empêchés de vivre veulent travailler ! », le collectif appelle à la diffusion de messages sur les réseaux sociaux ainsi qu’à manifester devant les mairies.
Pour Dot, ces mesurent limitent en effet directement « ce qui en réalité constitue le nerf de la guerre pour la plupart des organisateurs, qui leur permet de pouvoir rémunérer correctement les artistes, et pas que ». À ses yeux, le fait de ne pas avoir donné de réponse claire quant à la restauration et la vente de boisson, en plus des autres contraintes, rend presque impossible une bonne partie des évènements prévus, à l’image des « petits festivals gratuits, qui reposent exclusivement sur la buvette, ou des fêtes de village ». D’après elle, ces mesures renforcent également les inégalités entre festivals. Certaines grosses structures ou festivals « bénéficiant de vrais mécénats », habitués au évènements assis, mais au public pour elle moins hétéroclite, ont ainsi plus de chance d’arriver à faire face à cette situation. « On a le sentiment qu’on est en train de faire évoluer la culture vers quelque-chose de très élitiste » déclare-t-elle à ce sujet.

La stratégie Bachelot ?

Ne machant pas ses mots, Dot dénonce ainsi une démarche « complètement hypocrite et absolument assassine de la part de la ministre. » Et à côté de ces restrictions, elle tient à rappeler que les bars concerts, restaurants ou petites salles, en temps normal pourvoyeur de nombre d’heures pour les intermittents, restent aux aussi fermés. Pour elle, cette démarche servirait à la ministre de prétexte afin de ne pas envisager une nouvelle année blanche, pour qui il est officiellement possible de retravailler. « On a l’impression qu’on nous a alignés le long d’un mur et annoncé que le peloton se met en place », conclut-elle déterminée à « se battre » malgré tout.

Simon Martin