mars 26

L’amour à l’isolement

Couvre-feu, confinement, fermeture des bars, distanciation sociale… Les circonstances ne sont pas idéales pour faire des rencontres amoureuses. Pour les jeunes tout particulièrement, avoir une vie sociale et sexuelle devient compliqué avec la pandémie.

Chez les 18-25 ans, rencontrer l’amour en conciliant vie étudiante et crise sanitaire devient compliqué. Depuis le début de la pandémie, les restrictions imposées, telles que le confinement, le couvre-feu, la fermeture des bars, des restaurants et des boîtes de nuit, ainsi que les gestes barrières (port du masque, distanciation sociale etc.) et la peur de la contagion freinent grandement les rencontres. La crise sanitaire a modifié les relations entre les individus, qu’ils soient en couple ou célibataires. Les jeunes qui poursuivent leurs études hors de leur domicile familial sont pour certains retournés chez leurs parents, renonçant à leur indépendance, ce qui a diminué fortement leurs relations sociales. Pour combler le manque sexuel et affectif, ils interagissent par le biais d’Internet, qui offre divers types d’interactions : conversations, rencontres en ligne, sexto, relations sexuelles virtuelles… L’utilisation des médias sociaux (Instagram, Snapchat, Twitter, Tik Tok…) explose. Les jeunes ont besoin d’appartenir à une communauté et la développent au travers de ces réseaux. Internet serait donc un outil permettant d’améliorer la santé sexuelle, en particulier dans ce nouveau scénario de Covid-19.

À partir du premier confinement, en mars 2020, l’utilisation des sites de rencontre a bondi : selon un sondage IFOP, près d’un tiers des français(es) se sont connectés sur des sites de rencontre, dont une majorité de moins de trente ans. Fruitz, Meetic, Tinder, ou encore AdopteUnMec, ces sites et applications se multiplient et proposent des services de plus en plus complets, en fonction de l’âge et du type de relation recherchée. Une alternative souvent utilisée pour remplacer les rencontres faites dans la vie réelle. Marine Teyssou-Mathieu, psychologue clinicienne à Cannes, explique pourquoi : « C’est difficile pour les jeunes. Il faut réinventer la façon de se rencontrer et de vivre en couple et s’adapter à la crise. Les applications de rencontres sont un bon moyen ». Chloé, 22 ans, étudiante en licence de Digital et Marketing à Nice témoigne de sa situation sentimentale qui était désastreuse juste avant le début de la pandémie. Le premier confinement l’a poussée à s’inscrire sur Tinder, alors que sa vision des applications de rencontres n’était pas positive : « Je crachais sur les sites de rencontre, mais grâce à Tinder, j’ai rencontré Agathe, ma copine actuelle. » Pour la jeune femme, une relation amoureuse était inespérée en plein confinement. « On a commencé à parler en mars 2020. Je suis allée passer quelques jours chez elle pendant le confinement, ça s’est super bien passé. » Pourtant, tous ne voient pas les applications de rencontre du même œil : “Connaître quelqu’un à travers un écran, ce n’est pas naturel ! On ne sait pas sur qui on peut tomber, ça se trouve on parle à quelqu’un qui est totalement différent de nos attentes” confie Thomas, 19 ans, étudiant en école de commerce à Lyon. Ces rencontres via Internet se révèlent parfois être des échecs. L’étudiant raconte son rendez-vous Tinder désastreux : « Une fois, une fille m’a invité chez elle : tout se passe bien, on mange ensemble, et là quelqu’un tape à la porte. En fait c’était son copain, il est entré et elle m’a proposé qu’on couche ensemble pendant qu’il nous regardait. J’ai refusé et je suis parti de chez elle directement. Parfois on tombe vraiment sur des rendez-vous bizarres… »

Crédit photo : Pixabay

« Je ressens un grand manque affectif, de séduction, de jeux de regards, de petites discussions dans un bar » se confie Thomas avec lassitude. Ce manque, il n’est pas le seul à le ressentir. La psychologue Marine Teyssou-Mathieu revient sur le sentiment de solitude qui ne fait que grandir chez les 18-25 ans. Depuis le début de la pandémie, la spécialiste observe une hausse des consultations de cette tranche d’âge. « La plupart de mes patients qui ont dans les 20-23 ans souffrent énormément d’être seuls. Ils me demandent « comment je fais pour rencontrer, personne ne me touche ». Cet aspect du toucher est très important. J’entends souvent « personne ne me prend dans les bras » ou encore « mes envies sexuelles ne sont pas du tout comblées » ». Depuis le début de la pandémie, les ventes de sex-toys, de lingerie et d’accessoires explosent. Pendant le premier confinement, le trafic de Pornhub, site pornographique, augmente jusqu’à 35% en France. Limitations de déplacement, isolement, distanciation physique : autant de facteurs qui plongent les étudiants dans une situation difficile, à un âge que l’on associe d’habitude à une diversité d’expériences sentimentales et sexuelles. « Je pense que ce sentiment est partagé par tout le monde en ce moment, célibataire ou en couple. On manque de contact humain » reconnaît Gauthier, 21 ans, étudiant en communication.

Malgré la difficulté à faire des rencontres, certaines personnes réussissent à trouver des alternatives originales. C’est le cas de Valentine, inscrite en licence de droit à Bordeaux. À 22 ans, la jeune femme ne se laisse pas abattre : « Il m’arrive de draguer par Zoom. Pendant les cours à distance, on s’échange des regards et des petits signes. C’est un peu bizarre et peu commun mais on crée une attirance via la caméra ». Une digitalisation de la drague qui révèle de nouvelles manières de se rencontrer. Si l’on compte plus de 39 millions d’utilisateurs actifs des réseaux sociaux en France, le chiffre ne cesse de croître. Une hausse qui souligne une banalisation des rencontres virtuelles après maintenant plus d’un an de pandémie.

La faim de la peau ou « skin hunger » amplifiée par la pandémie

Le besoin de contact humain est primordial pour vous ? Alors vous souffrez peut-être du phénomène de « skin hunger ». Il se traduit par un besoin irrépressible d’affection, de rencontre, et même de câlin. Traduite littéralement, cette expression anglo-saxonne désigne « la faim de la peau ». C’est un phénomène neurologique. Entre les confinements et les gestes barrière, le contact humain est quasiment prohibé pour les célibataires. Avec la pandémie, le phénomène de « skin hunger » est particulièrement exacerbé.

Lorsque l’on ne ressent pas le contact des autres – en particulier le contact affectueux, nous sommes susceptibles de subir un déficit de contact qui peut nous affecter négativement mentalement et physiquement.

Cependant, il existe quelques petites astuces afin de surmonter ce sentiment. Par exemple, adopter un animal de compagnie est une bonne solution. Mais on peut également faire de l’exercice, ou du moins des balades, serrer un coussin contre soi, ou encore se reconnecter avec son propre corps en prenant soin de soi. Néanmoins, si vous ressentez ce phénomène de « skin hunger » de manière trop importante, n’hésitez pas à contacter un professionnel de la santé pour vous aider.

Crédit photo : Pixabay

Interview de Nathalie Giraud-Desforges, sexologue

La pandémie a-t-elle affecté les relations amoureuses et/ou sexuelles des jeunes ?

Évidemment. Certains ont été obligé d’être séparés de leurs partenaires. Avec les confinements, les étudiants retournent souvent chez leurs parents et sont coupés de toutes relations. Ceux qui étaient dans le speed dating, qui avaient pour habitude de faire des rencontres en soirées, n’ont plus cette perspective-là. Et lorsqu’il n’y a plus de perspectives, une sorte d’insécurité s’installe, et provoque une hausse de l’hormone du cortisol : l’hormone du stress et de l’anxiété. Pour faire face à cette montée de stress, la solution est l’hormone de l’ocytocine : celle de l’amour, du contact, de l’attachement. Mais en ces temps de pandémie et de restrictions, il est difficile de la générer. Il y a un phénomène de skin hunger qui se développe : la faim de la peau. La peau est en manque, il y a un besoin irrépressible de contact humain, de rencontre.

Est ce qu’il y a un fort besoin sexuel chez les jeunes ?

Bien sûr. Depuis le début de la pandémie, les sites pornos ont explosé et les jeunes entre 18 et 25 ans se masturbent beaucoup plus. Souvent, ces jeunes m’appellent parce qu’ils constatent une réelle addiction à la masturbation et aux sites pornographiques. Ils ont peur de ne plus savoir comment s’y prendre lors d’un retour à la vie « normale ».

En 2021, est-il toujours possible d’avoir une relation amoureuse ?

Oui, évidemment. C’est une question d’adaptation. On ne va pas se mettre un film plastique entre les corps pour faire l’amour, et les rencontres peuvent aussi se faire avec les masques : on peut se concentrer sur le regard.

Juliette Bujko, Rachel Contensou, Louise Bes