mars 26

les aventuriers des ruines

LA NATURE REPREND SES DROITS SUR LES RUINES DU CHÂTEAU HANSEN. PHOTO: LUCIE CAMMAS

L’exploration urbaine, appelée Urbex pour les habitués, consiste à visiter des lieux abandonnés. Cette pratique, interdite par la loi, fascine et attire de nombreux curieux.

Non loin de Cannes, sur les hauteurs des collines, une ruine surplombe la mer. « Le château Hansel n’est plus très loin » explique Mathieu, urbexeur, qui ne souhaite pas donner son vrai nom. Habillé en tenue militaire, le passionné se fond presque dans la nature. Après quelques enjambées au milieu d’une végétation dense, la bâtisse surgit au milieu des branches. Déambulant dans ce qui devait être l’ancien hall d’entrée, le château fait penser à une maison de poupée. Le sol s’est écroulé, laissant une vue dégagée vers le ciel et les trois étages du dessus à qui voudra bien lever la tête. La structure date du XIX siècle et appartenait à un roi D’Arabie. Comme Mathieu, ils sont environs 10 000 en France à pratiquer l’exploration urbaine d’après France info. Anciennes usines, palais ou hôpitaux, tous les lieux sont propices à cette activité, tant qu’ils sont à l’abandon. Cette pratique attire particulièrement les jeunes entre 15 et 30 ans. Elle rassemble de simples curieux tout comme de réels spécialistes. Les motivations de ces passionnées des ruines varient. Pour Ronce, un des plus grands urbexeur des Alpes- Maritimes, l’intérêt est avant tout historique: « Visiter ces endroits, c’est du patrimoine ! Il faut en prendre soin ». D’autres profitent des débris pour pratiquer la photographie. C’est le cas de trois jeunes débutantes venus exprès de Toulon, et tant pis pour le confinement : « Les décors sont insolites. Nous ne pouvions pas rater cela.» sourit l’une d’entre elles.

L’urbex, c’est aussi et surtout des sensations fortes. L’adrénaline est grande à l’idée de découvrir un site avant tout le monde. Mais attention, une fois sur les lieux, hors de question de faire n’importe quoi. Il existe une déontologie avec des codes précis à suivre. Ce protocole peut se résumer en deux points essentiels : discrétion et respect. Il ne faut pas dévoiler l’emplacement exact des lieux d’explorations « sinon tout le monde viendrait » commente Ronce. Il est inconcevable pour cette communauté de voler des objets ou encore d’abîmer les endroits qu’ils visitent.

Ronce du haut de ses trente ans, prend ses expéditions très au sérieux. Sur le terrain, l’homme se transforme en un véritable James Bond : « Dans un bâtiment, si l’alarme sonne, nous avons trois minutes pour sortir avant que les flics arrivent ». Aucun un bruit n’est autorisé, la communication passe par une gestuelle presque militaire. Regarder ses coéquipiers le point fermé signifie qu’il faut s’arrêter. Lever la main signale qu’il faut « décamper » explique Ronce. Cette technique silencieuse permet de prévenir ses coéquipiers en cas de danger – car les adeptes de l’Urbex s’exposent à quelques risques.

« Certains ont fini en garde à vue. C’est un peu chaud parfois »
Le code pénal sanctionne la violation de domicile. L’urbexeur s’expose à 15 000 euros d’amende et à un an d’emprisonnement en cas d’intrusion dans la demeure d’autrui. Seulement, dans le cas d’un abandon de propriété, cette notion disparaît. Il faut donc être sûr que le lieu est abandonné pour rester dans le cadre légal. Les urbexeurs joue sur ce flou juridique : « Si on entre sur un lieu à priori abandonné car un portail est ouvert, on ne transgresse aucune règle, on ne viole aucune propriété privée, c’était ouvert, nous n’avons rien cassé et rien n’indique que le bâtiment appartient à quelqu’un » témoigne Ronce. En cas de contrôles par les forces de l’ordre, les policiers peuvent vérifier l’intention de(s) (l’)explorateur(s) ou encore demander ses papiers. Si une dégradation des lieux est constatée par les autorités, ces derniers peuvent vous demander de les suivre. Ronce n’a jamais eu de problème, mais connaît plusieurs personnes qui ont rencontré des soucis : « Certains ont fini en garde à vue. C’est un peu chaud parfois. Ce n’était pas de vrais urbexeurs. Les vrais ne dégradent pas les lieux ».

« Souvent, les débutants demandent où trouver des lieux sympas à visiter. Ma réponse, c’est qu’ils doivent se démerder. »
Difficile de trouver des lieux à explorer quand la déontologie de l’Urbex veut que ces derniers restent secrets. « Souvent, se sont les débutants qui demandent où trouver des lieux sympas à visiter. Ma réponse, c’est qu’ils doivent se démerder. » Affirme Ronce. Repérer un site abandonné fait parti des compétences de l’urbexeur. Cela s’apprend. Il faut aiguiser son regard, être attentif au moindre détail : un toit cassé, des fenêtres sans carreaux, une chute de façade, autant de détails qui ne trompent pas. Les urbexeurs continuent leur observation en ligne, grâce à Google maps. Cette technique permet notamment de vérifier si le lieu est répertorié et connu du grand public. Sur le net, il est possible de trouver facilement quelques sites d’Urbex avec les coordonnées GPS. À Cannes, il existe plusieurs endroits à explorer. Les plus connus sont l’ancienne tour d’observation située dans le quartier Californie, et l’atypique villa Auguste Sangret. Ces zones sont souvent prisées par les débutants, encouragés par leur curiosité.

Mais pour trouver des lieux uniques, les affaires se compliquent. Certains demandent un prix en échange d’une bonne adresse. Ce business se développe de plus en plus et « ce n’est pas normal » d’après Yann, un ami de Ronce qui l’accompagne souvent lors de ses aventures. Cette formule vise principalement les amateurs, peu avertie des codes de la pratique. Si Ronce n’aime pas donner ses bonnes adresses, il partage volontiers ses conseils en termes de sécurité pour aider les « bleus » comme il les appelle : « Une trousse de secours est indispensable, une bonne paire de chaussures aussi (…) et une lampe torche, ça sert toujours.»

Malgré toutes ces précautions, l’Urbex reste dangereux. Les sites visités sont souvent en ruine et délabrés. Pour autant, cette communauté ne cesse de s’agrandir avec la médiatisation de cette pratique. Plusieurs groupes Facebook existent pour échanger avec des adeptes plus aguerris. Des chaînes YouTube autour de l’exploration urbaine comptent des millions d’abonnés. « Le grand JD » ou encore « MamyTwink » sont des pionniers en la matière. Avec cette mise en lumière, il devient donc de plus en plus complexe de garder ces lieux cachés.

Cammas Lucie

Grollet Arthur

Moulin Aymeric