mars 27

Étiquettes

Les jeunes et l’écologie : quand les actes ne suivent pas le discours

La jeunesse est dans la rue pour le climat et fait de l’écologie une de ses principales préoccupations. Mais dans les faits, ses actes ne suivent pas son discours. 

Manifestation pour le climat, Paris, 22 février 2019. /Crédit : Raphaëlle Hutin

« Tiraillé »« conscient » ou « flemmard », les 18-24 ans ne réussissent pas à agir pour l’environnement. Pourtant engagés, ils confient ne pas être des exemples en la matière comme Arnaud, étudiant de 20 ans, qui se présente comme « le gars qui dénonce, mais ne fait rien ». 

  Il sait être écoresponsable chez ses parents, mais lorsqu’il est seul, il « favorise [son] confort de vie plutôt que l’environnement. […] De moi-même je ne vais pas forcément trier, mais quand je suis avec quelqu’un qui est engagé, je le fais. Je suis très influençable en fait ! » En colocation avec un étudiant qui n’a pas la même conscience écologique, Arnaud n’achète pas de légumes de saison par exemple. En France, selon une étude du Crédoc, les 18-24 ans sont 44 % à être dans le même cas. 

Dylan, 18 ans, habite toujours dans le cocon familial.  Il explique que « quand t’es chez tes parents, t’es encore sous leur tutelle ». Ses parents limitent leurs gestes écologiques au tri. Dylan aimerait, s’il vivait tout seul, « faire plus d’actions ». D’après le Crédoc, les jeunes Français quittent le foyer familial à l’âge de 23,7 ans en moyenne en France.

Mais lorsqu’ils deviennent autonomes, les étudiants n’ont pas assez de revenus pour consommer plus responsable. Si certains bénéficient encore des aides parentales, d’autres doivent vivre de leurs propres moyens. Tom, 19 ans, évoque le coût des transports : « je suis conscient que prendre l’avion, ce n’est pas le bon choix. Mais je suis tiraillé entre le choix de prendre l’avion Nantes-Nice à 35 € pour 1 h 30 avec une giga empreinte carbone ; et faire 13 heures de train et payer 120 €. » Et quand bien même le budget est suffisant pour vivre de manière écoresponsable, les 18-24 ans se heurtent à un nouvel obstacle : ils ne sont pas forcément prêts à arrêter de consommer du fait de la société dans laquelle ils vivent.

« Je dénonce des choses que moi-même je fais »

« Au niveau des vêtements je ne suis pas un exemple, j’achète beaucoup du neuf, sur Zara », confie Chloé, 21 ans. Olivier Galland pointe du doigt « la culture jeune » pour expliquer ces paradoxes de comportement. Selon lui, elle est « consumériste par essence, car elle est fondée sur l’apparence et l’hédonisme. » Ce phénomène n’est pas nouveau d’après le sociologue : les jeunes ont toujours voulu sortir, voyager, consommer.

Ce n’est pas l’avis d’Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, pour qui « de véritables évolutions sont à l’œuvre, comparé aux générations précédentes. » C’est aussi l’avis de Sandrine Matic, éducatrice dans l’association Méditerranée 2000. Elle trouve que les élèves, qu’elle côtoie lors de séances de sensibilisation, sont plus au fait des enjeux qu’il y a 20 ans.

Méditerranée 2000 est née en réponse à la mal-information de la population sur les questions environnementales. Aujourd’hui encore, « 41 % des 15-35 ans estiment être mal informés des manières dont ils peuvent individuellement lutter contre le changement climatique. Ce manque d’informations freinerait l’action d’un tiers des jeunes se considérant non engagés », d’après une enquête de l’IFOP.

Mais certains, plus au courant des enjeux environnementaux, se lancent à fond dans les petits gestes et tentent de réduire leur empreinte carbone. Dans les cas les plus extrêmes, ils se sentent totalement impuissants face au changement climatique et développent une forme de détresse psychologique appelée « solastalgie ». Aussi connue sous le nom d’écoanxiété, elle se manifeste comme un sentiment de dépossession et d’impossibilité d’agir face à la dégradation de son milieu de vie. Eden, une étudiante en journalisme de 25 ans qui souffre de ce désemparement, souhaite changer son quotidien pour réduire son impact sur l’environnement. Sa solastalgie peut parfois tourner à l’obsession : « À chaque fois que je vends une fringue, je calcule le coût carbone de l’envoi et j’augmente les prix pour que ça vaille le coût. Je fais ces calculs pour me racheter une bonne conscience. ».

Cette détresse fait écho aux pourcentages suivants : d’après l’Institut Français de l’Opinion Publique (IFOP), 67 % des 18-24 ans estiment que les actions individuelles sont efficaces pour lutter contre le dérèglement climatique, alors que seulement 58 % sont en faveur de « l’action collective […] pour faire une différence pour le climat ». Ainsi, seul 1 jeune sur 10 se dit engagé dans une association de protection de l’environnement. L’Association de Défense de l’Environnement de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) juge que « les jeunes ne sont pas très engagés pour l’environnement » puisqu’elle en dénombre seulement 3 pour 100 adhérents.

Solène Valette, organisatrice de marches pour le climat à Poitiers, voudrait que sa génération ne se réfugie pas autant dans les actions individuelles. Atteinte pendant un temps d’une forme de solastalgie, la militante s’appuie sur sa propre expérience pour demander un changement d’adage : « Je culpabilisais beaucoup dès que j’oubliais un petit geste. Aujourd’hui, plein de gens pensent que l’écologie est seulement individuelle donc ils ne viennent pas aux manifs. Toute la culpabilité n’a pas à être sur nous. » Pour elle, le combat contre le réchauffement climatique est autant politique qu’individuel. 


Le modèle consumériste s’adapte

Une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) met en avant la tendance des jeunes à céder à leurs désirs. « Les jeunes adultes (18-24 ans) restent des consommateurs hédonistes, attirés par les produits innovants et par l’achat malin lors des soldes par exemple. Ils ne se situent pas vraiment en rupture vis-à-vis du modèle de société consumériste dans lequel ils ont grandi et vivent aujourd’hui. […] Quand on leur demande pourquoi ils font les soldes, ils sont plus nombreux à répondre que c’est pour acheter plus (30 % contre 18 % de moyenne) si bien qu’ils évoquent moins souvent la volonté de faire des économies (67 % contre 80 % en moyenne) ».

En revanche, la manière de consommer peut changer et devenir davantage éco-responsable. La consommation de textile et de mode, très prisées des nouvelles générations, connaissent des grandes transformations. Par exemple, les vêtements de seconde main se popularisent. Aux friperies classiques, s’ajoutent les applications comme Vinted, qui permettent de vendre ou acheter des vêtements sur internet facilement. 


« Faire bouger les consciences au niveau de la protection de l’environnement », l’objectif de Méditerranée 2000

L’association Méditerranée 2000 a été créée il y a 32 ans, à une époque où l’écologie n’était pas une priorité. Aujourd’hui, elle intervient dans des écoles pour sensibiliser les jeunes. La directrice Estelle Bellanger note une prise de conscience.

Comment en êtes-vous arrivés à faire de la sensibilisation ?

E.B : Environ 3 ans après notre création, on s’est dit que si on voulait faire bouger les consciences au niveau de la protection de l’environnement, il fallait commencer par éduquer les jeunes générations. À l’époque on avait un beau projet, baptisé “1000 enfants sous la mer”, où on offrait à 1000 jeunes cannois un baptême de plongée, pour qu’ils puissent comprendre que la Méditerranée pouvait être abîmée par nos déchets.

Pensez-vous que les jeunes sont bien informés sur ces questions aujourd’hui ?

E.B : Aujourd’hui, l’Éducation nationale a vraiment intégré les questions au développement durable au programme scolaire. Cela fait 20 ans que je travaille dans cette association, donc j’ai observé une évolution. Les jeunes d’aujourd’hui ont intégré ces problématiques, ils posent des questions pertinentes, en partie parce que les médias s’en sont emparés. Ce qui leur manque encore, c’est une vision globale. 

Trouvez-vous qu’ils agissent vraiment pour l’environnement ?

E.B : Ça dépend des familles. Quand les enfants le discours que tiennent leurs parents est en phase avec ce qu’ils ont entendu, il y a des actions qui se mettent en place, comme le tri sélectif. Mais quand les familles ne sont pas sensibilisées, c’est plus compliqué.

GIRARD-BLANC Noé, GUT Samuel, TAUBE Marie