avril 22

Le camp de Moria 2.0 : « une prison à ciel ouvert »

Manque d’eau, d’électricité, de chauffage, c’est le quotidien des 7 000 demandeurs d’asile
du camp de Moria 2.0. Alors qu’ils venaient en Europe dans la quête d’une meilleure vie, la
réalité est brutale pour ces individus qui sont de moins en moins « tolérés » par les Grecs.

« Libérez-nous, il faut nous libérer ». Ces paroles sont clamées par une dizaine de femmes, demandeuses d’asile pendant la visite du camp de migrant de Moria d’Ylva Johnson, lundi 29 mars 2021. Depuis l’incendie du camp de Moria en septembre dernier, un nouveau camp de réfugiés a été bâti de façon temporaire pouvant accueillir 650 personnes. Mais on compte plus de 7 000 personnes vivant actuellement dans des tentes exposées aux tempêtes et aux inondations. Les demandeurs d’asile sont résignés à attendre d’être fixés sur leur sort dans des conditions difficiles, qui se sont fortement dégradées depuis septembre 2020. 

Sur place, le quotidien des migrants est complexe : « Nous sommes abandonnés avec nos enfants dans une prison à ciel ouvert, au bord de la mer… » Témoigne Gulnaz, une mère afghane de deux enfants, « Il pleut depuis la semaine dernière et il n’y a aucun moyen de se chauffer correctement ». Le manque d’électricité, d’eau potable et de chauffage représente les principaux inconvénients de la vie quotidienne. « Les gens se plaignent de tout, en particulier l’hiver, avec les grosses pluies, sans chauffage, il a fait très froid », rapporte à l’AFP Raed Alobeed, un réfugié syrien de 45 ans. 

Des migrants africains crient « liberté » pendant la visite de la Commissaire européenne sur le camp de Moria 2.0 ARIS MESSINIS / AFP

L’Europe représentait un « rêve » et une opportunité d’aspirer à une « meilleure vie », pour ces demandeurs d’asile. Après avoir idéalisé ce continent, la réalité est dure à avaler, comme le confie Lida Shirzad à France 24 : « Je n’imaginais pas l’Europe comme ça. Je pensais que c’était la sécurité et l’éducation. Moi, j’étais enseignante à Kaboul et je suis très triste de voir les enfants qui jouent avec les poubelles et ne font rien d’autre. »

Il n’existe pas de dispositif en dehors d’aides fournies par des ONG, pour essayer d’assurer un suivi scolaire aux mineurs présents sur le camp de Moria. Les « écoles autogérées » ont été brûlées pendant l’incendie du camp en septembre 2020 et depuis plus rien, « Toutes les guitares ont brûlé. Il ne reste rien. C’est comme si ma propre maison avait disparu. » Témoigne Fatemeh, une jeune afghane de 18 ans qui suivait des cours d’allemand et d’anglais à l’école Wave of Hope, dans l’ancien camp de Moria.

« On est en sécurité par rapport à Moria »

Femmes violées, personnes poignardées, vols, trafic de drogue, rixe. Ces agressions étaient monnaie courante dans l’ancien camp de Moria. De nombreux témoignages pointaient du doigt un manquement des forces de l’ordre. « Dans le camp de Moria, il y avait beaucoup de violence. Des migrants pauvres pouvaient se faire acheter pour 500 € pour tuer des gens. La nuit on ne pouvait pas dormir à cause des bagarres. Des hommes sont morts pour un téléphone ou une bricole. » Confie un migrant congolais aux journalistes de la Croix.

Pour remédier à cette problématique, les forces de l’ordre patrouillent sur le camp de Moria 2.0. À chaque fois qu’un demandeur d’asile souhaite retourner sur le camp, il est fouillé à l’entrée par la police à la recherche de potentielles drogues ou d’armes. Une présence qui rassure : « Ici au moins la police travaille, on est en sécurité par rapport à Moria » précise Jacques, un demandeur d’asile congolais.

Relations tendues avec les locaux

« Six ans que nous supportons tout le fardeau des migrations, le monde entier doit le comprendre. Nous sommes épuisés, ça suffit », blâme Erifili Yiannaka, élue municipale de Lesbos. La cohabitation entre les migrants et les locaux devient invivable, alors que les camps d’accueil étaient perçus initialement comme des solutions temporaires. « Ces gens sont nourris et pourtant, ils viennent et ils volent nos animaux », déclare un éleveur grec qui a perdu une trentaine de chèvres et de moutons volés sur une colline proche du camp. Les insulaires grecs ne veulent plus « subir » la crise migratoire qui les touche depuis 2015, « Nous ne sommes pas des citoyens européens de seconde zone », estime une habitante de Mytilène, Christina Kourtzi. 

155 millions d’euros de fonds européens vont être débloqués pour financer les nouveaux camps permanents de Lesbos et Chios. Ces nouvelles structures ont pour objectif de remplacer le camp de Moria 2.0 alors que les Grecs se sont déjà opposés à leurs créations. Le poids du passé est fort pour les locaux qui ont vu arriver des centaines de milliers de migrants depuis 2015 et la création de ces nouveaux camps pourrait faire monter encore plus les tensions déjà omniprésentes dans la région.

Tom Trichereau