
À Hong Kong, que reste-t-il de la résistance prodémocratie ?
Un an après le vote de la loi de sécurité nationale, les opposants au régime de Pékin se mobilisent toujours, et appellent à une aide internationale qui peine à se former.

Une restriction de plus pour Hong Kong. Le gouvernement chinois a décidé d’instaurer en mars dernier une réforme électorale dans l’ancienne colonie britannique. Elle donne le pouvoir à la Chine d’évincer les candidats de l’opposition des élections et ainsi d’empêcher la victoire du parti prodémocratie à Hong Kong. D’après l’AFP, le régime a d’ailleurs décrit ce passage en force comme un second « coup de poing » au « chaos » que représente Hong Kong.
Les activistes démocratiques hongkongais se mobilisent pour rendre leur combat international et gagner le soutien des autres pays. En mars dernier, 24 activistes de Hong Kong Watch, dont 13 en exil, ont exhorté, dans une lettre ouverte à Ursula Von Der Leyen, l’actuelle présidente de la Commission Européenne , que l’Europe ne signe aucun accord avec la Chine. Des traités d’investissements devraient être signés entre l’UE et la Chine. Les activistes demandent à la présidente de la Commission Européenne de ne pas engager les démarches tant que les lois de sécurités nationales ne sont pas abolies et que les restrictions en place concernant la réforme électorale ne sont pas supprimées. Parmi les signataires de cette lettre, on retrouve les noms de Nathan Law et Finn Lau.Nathan Law est considéré par Pékin comme un « criminel recherché ». Il est l’un des militants prodémocratie les plus engagés dans la lutte contre la répression chinoise à Hong Kong. Il dirige le parti politique Demosisto, dissous en juin 2020. Depuis mi-décembre, Nathan Law est en droit d’asile à Londres, ce qui a tendu les rapports entre la Chine et l’Angleterre. Pékin accuse le pays anglo-saxon de fournir « un abri à un criminel recherché » selon le porte-parole de la diplomatie chinoise Zhao Lijian. Il ajoute lors d’une conférence de presse que « le Royaume-Uni défend de manière flagrante les séparatistes de Hong Kong ».
Une loi liberticide
La loi de sécurité nationale de Hong Kong, votée en juin 2020, se veut, comme son nom l’indique, remettre de l’ordre à Hong Kong. Pour ses détracteurs, elle permet surtout à la Chine de ne plus avoir d’opposants politiques. En effet, le but est de criminaliser le séparatisme, la subversion et l’ingérence étrangère. L’article 38 souhaite même imposer une forme de contrôle mondial sur ce qui se dit sur la Chine à l’étranger.
Or, Hong Kong obéit à un système politique particulier. C’est une ancienne colonie britannique rendue à la République Populaire de Chine en 1997. Depuis, Hong Kong est une région administrative spéciale de la Chine et répond au principe « une nation, deux systèmes » pour au moins 50 ans : la Chine continentale est autoritaire et communiste tandis que Hong Kong est libérale et capitaliste. Les textes garantissent les libertés fondamentales héritées du système britannique (liberté de la presse, liberté d’expression, libéralisme économique, justice indépendante). Le chef de l’exécutif hongkongais est désigné de façon indirecte par la population, mais a en réalité l’aval de Pékin. Or, la loi sur la sécurité nationale votée par le parlement chinois puis promulguée le 30 juin 2020 met fin à cette spécificité.
Washington se dit soucieux de défendre la démocratie à Hong Kong. Selon le géopolitologue français Pascal Boniface, il s’agit en réalité d’une possibilité d’attaquer la Chine une nouvelle fois : « Hong Kong est une arme, une aubaine que les Américains utilisent » dans le conflit Chine-USA. Selon lui, « La loi de Sécurité Nationale est un rempart à la suprématie américaine, une arme qui permet à Pékin de dénoncer les ingérences étrangères à Hong Kong. »
En réaction à cette loi liberticide, les Hongkongais se sont largement mobilisés malgré la pandémie qui a frappé le monde, voilà un an maintenant. L’un des instigateurs de la mobilisation, Finn Lau, a mis en avant la stratégie de Lam Chau (« destruction mutuelle garantie ») qui se résume en quelques mots : « si nous brûlons, vous brûlez avec nous. » Plus précisément, les militants ont envoyé des centaines de mails demandant à des personnalités politiques étrangères et influentes de supprimer les passeports des différents partisans hongkongais de la loi sur la sécurité nationale. Ainsi, ils espéraient que ceux-ci prennent conscience de l’ampleur de leurs actes : si leur passeport avait été supprimé, ils n’auraient pas pu fuir le pays et auraient dû assumer pleinement les conséquences de la loi qu’ils avaient votée. Dans cette même logique, le 28 juin 2019, le groupe « Lam Chau » a réussi, grâce à 5 millions de dollars hongkongais, à publier une lettre ouverte aux dirigeants occidentaux dans une dizaine de journaux internationaux. Dans celle-ci, ils exhortent le G20 à s’exprimer publiquement quant à la situation à Hong Kong : « Si, comme nous, vous croyez dans des valeurs comme la démocratie, les droits humains et l’État de droit, nous vous demandons à tous de vous exprimer pendant le sommet du G20, et défendez nos droits ensemble avec les Hongkongais. »
Aucun Français en soutien à Hong Kong
Finn Lau est aujourd’hui installé à Londres et recherché par le Parti Communiste Chinois (PCC). Contacté (voir interview ci-dessous), il déplore que Hong Kong ne fasse pas assez depuis l’étranger.
En 2019, des milliers de manifestants à Hong Kong descendent dans les rues et demandent de l’aide à la communauté internationale. La Une du quotidien d’opposition Apple Daily demandait le soutien de Donald Trump. Aujourd’hui, la situation n’a pas bougé, les Hongkongais appellent toujours à l’aide une communauté internationale qui préfère fermer les yeux.
Seule lueur d’espoir : plus de 200 personnalités politiques de 23 pays différents (aucun Français) ont signé un appel lancé par le dernier gouverneur de Hong Kong, Chris Patten, qui demande à la Chine de respecter le Traité sino-britannique de 1984. Mais les réactions restent timorées et sans effet. L’Union Européenne avait par exemple publié un communiqué où elle disait suivre attentivement « l’évolution de la situation à Hong Kong » et qu’elle préparait une « réponse globale et coordonnée ».
Récemment, le président américain Joe Biden a appelé pour la première fois son homologue chinois Xi Jinping. Le successeur de Donald Trump a exprimé ses « profondes inquiétudes » concernant « la répression à Hong Kong » selon le compte-rendu de l’exécutif américain.
Le Canada, quant à lui, est l’un des pays les plus actifs. Le pays a suspendu son traité d’extradition avec Hong Kong. Le Premier ministre Justin Trudeau a pris parti en expliquant qu’il continuerait de s’opposer aux violations des droits de l’homme observées à Hong Kong. Ottawa veut aussi faciliter l’exode des Hongkongais.
Le jaune, emblème de la résistance systémique
Même si l’aide internationale n’est pour l’instant que timide et théorique, le combat quotidien continue sur place. Lors de notre entrevue, l’opposant à Pékin Finn Lau évoque le système d’économie circulaire dit « jaune », soutien incontestable au mouvement prodémocratie. Ce concept est un système d’entraide : les résistants hongkongais repèrent les commerces qui les soutiennent via leur devanture (stickers, objets de décoration à connotation contestataire) ou des applications comme WoliTaxi.
Pepe la Grenouille et le cochon sur fond jaune, devenus les mascottes du mouvement, sont affichés sur les commerces prodémocratie. © AFP/Philippe FONG@@
Favoriser les commerces jaunes en échange de leur soutien permet souvent de les sauver de la faillite, alors que Hong Kong souffre de son commerce amputé et d’une crise liée à la pandémie de COVID-19. Ce favoritisme s’accompagne souvent d’un boycott des commerces bleus (pro-Beijing), et parfois même de leur dégradation, contestée par certains commerces jaunes.
Ainsi, le magazine d’économie Bloomberg Businessweek rapporte qu’en février, une simple publication sur Facebook a permis aux ventes du restaurant C+ Burger d’exploser.
Le jaune a été choisi par les manifestants, en contradiction avec le bleu prochinois. La couleur revient plusieurs fois dans l’Histoire des manifestations de ces deux dernières années. Le 15 juin 2019, un opposant de 35 ans, Ling-Kit Leung, décède lors d’un acte de protestation. 5 heures après être monté en haut d’un building sur la Pacific Place, l’homme habillé d’un anorak jaune sur lequel sont rédigés plusieurs slogans anti-pékin, tombe. Surnommé « l’homme à l’anorak » (« the raincoat man »), Ling-Kit Leung marque l’esprit de ses compatriotes par son acte.
La même année apparaissent les taxis jaunes qui délivrent lors de leurs courses des fascicules prodémocratie aux clients. Dans un article des Observateurs (France 24), un anonyme confiait : « Les chauffeurs sont prodémocratie, ça me donne un sentiment de communauté. »
« Pendant deux ans, ce concept a dominé à Hong Kong. Et vous pouvez constater qu’il a aidé différents magasins prodémocratie et des personnes à survivre à la pandémie. Nous espérons également pouvoir maintenir notre influence économique à Hong Kong », déclare Finn Lau. « Nous voulons maintenir une activité qui favorise l’égalité, la liberté et la démocratie », conclut-il.
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Finn Lau, militant prodémocratie et cible du Parti Communiste Chinois
Comme d’autres opposants à la Chine, Finn Lau a fui Hong Kong pour s’installer au Royaume-Uni.
Raphaëlle Hutin : Est-ce que vous pouvez vous présenter ? Finn Lau : Je suis le fondateur de la coalition « Hong Kong Liberty » et je suis un ex-membre du collectif « Stands with Hong Kong ». Je suis l’un des exilés au Royaume-Uni, recherché en vertu de la loi de sécurité nationale à Hong Kong. J’ai eu des ennuis avec le gouvernement chinois ainsi qu’avec la police hongkongaise, dus au fait que j’ai participé à des rassemblements en 2019 et 2020, et que je suis encore aujourd’hui activiste pour défendre les valeurs prodémocratiques et la liberté. J’ai même proposé une stratégie idéologique clé qui se nomme « Lam Chau » (voir article, NDLR). RH : Pourquoi avez-vous trouvé exil au Royaume-Uni ? FL : En fait, en juin 2019, je vivais déjà au Royaume-Uni, mais j’ai décidé d’aider Hong Kong. Le 9 juin 2019, pour soutenir ma ville, il y avait 3000 personnes dans les rues de Londres. Là, j’ai réalisé que les Hongkongais à travers le monde pouvaient faire plus. Donc, en décembre 2019, j’étais vraiment enthousiaste de retourner à Hong Kong même si j’étais l’une des cibles du Parti Communiste Chinois (PCC). Je ne sais pas où mon identité a fuité, mais j’aurai pu être arrêté en arrivant à l’aéroport international. Malgré cette menace, j’étais vraiment content. Quelques jours plus tard, quand je participais à l’une des plus grandes marches que la ville ait connues, j’ai été arrêté sur le sol hongkongais. C’était assez dramatique, la police utilisait des gaz lacrymogènes et tentait de bloquer toute l’avenue. Tout s’est passé vite, j’ai été aveuglé par la police même si j’étais pacifique. En fait, ils avaient fait des recherches sur moi et j’ai dû disparaître après avoir été relâché. J’ai perdu tout contact avec mes amis et ma famille et j’ai rejoint le Royaume-Uni. RH : À quoi ressemble votre vie maintenant ? FL : Le fait que j’ai quitté Hong Kong ne veut pas dire que je suis en sécurité. En avril 2020, trois mois environ après mon arrivée à Londres, une rumeur a circulé comme quoi le Parti Communiste Chinois avait lancé une récompense de 100 000 livres sur ma tête. Deux mois après avoir eu cette information, j’ai été agressé par un groupe de personnes. Ils n’ont rien dit de raciste, ils n’ont pas emporté mes affaires personnelles. Ils m’ont juste frappé. J’ai souffert de blessures à la tête, au bras. Le sang n’arrêtait pas de couler et mon œil droit était fermé parce que j’avais trop mal. J’ai pensé que ma vie allait se terminer au sol. Heureusement, je n’ai pas eu d’hémorragie interne et c’est pour ça que je peux vous parler aujourd’hui. Finalement, en août 2020, mon nom a été publié dans les journaux pro-Pékin. Ils savent désormais qui je suis, où je suis, et ce que j’ai fait. Ils ont récupéré toutes mes informations. RH : Quelle est la situation à Hong Kong aujourd’hui ? FL : La liberté de la presse, la liberté d’expression, toutes ces choses ont disparu à Hong Kong. Dernièrement, il y a eu 47 personnes arrêtées parce qu’elles avaient créé une aile d’opposition au Legislative Council. Donc dès que vous tentez de gagner une élection vous êtes poursuivis en justice. C’est notamment pour ça que la loi sécurité nationale est absurde. De plus, le gouvernement a décrété que le 15 avril serait l’occasion chaque année de célébrer la loi sécurité nationale, notamment dans les établissements scolaires. Ainsi, on a pu voir des images où la propagande incite des enfants à manipuler des armes à feu… |
GIRARD-BLANC Noé
GRANATO Jessica
GROLET Arthur
GUT Samuel
HUTIN Raphaëlle