De Kaboul à Paris, la course contre la mort de Rateb Noori

La prise de pouvoir des talibans, en août dernier, a bouleversé l’Afghanistan et le monde du journalisme. Rateb Noori fait partie de ces journalistes qui ont connu les menaces de mort et les attaques quotidiennes. Le 23 août dernier, il n’a eu d’autres choix que de quitter sa terre natale pour trouver refuge en France.

Vingt ans de progrès balayés d’un revers de la main. Le 15 août 2021, Kaboul tombe aux mains des talibans. Entraînant dans sa chute les 37 millions d’Afghans qui peuplent ce carrefour de l’Asie. Une question se pose alors : faut-il quitter le pays ? Pour certaines professions, fuir la capitale n’est pas un choix, mais une obligation. Rateb Noori, journaliste de 33 ans fait partie de ces journalistes qui ont dû abandonner leur vie et leurs souvenirs. Arrivé à Paris, avec sa femme, dans l’après-midi du 24 août, le rédacteur en chef de Radio Azadi — la branche afghane de Radio Free Europe— s’attache à apprendre « le plus rapidement » la langue de son nouveau pays pour devenir « un citoyen français responsable. »

Après dix jours d’attente, Rateb Noori et sa femme ont pu prendre un avion en direction de Paris. RATEB NOORI

Être obligé de quitter son pays, Rateb Noori ne pensait pas en arriver à cette situation. L’arrivée au pouvoir des talibans, bien que soudaine, ne s’est pas faite en un jour. En 2012, Barack Obama, alors président des États-Unis, décide d’annoncer le retrait des troupes américaines en Afghanistan. Avec cette déclaration, la Maison-Blanche pose les premières bases de l’expansion talibane en Afghanistan. « En 2014, il y a eu beaucoup d’attentats suicides, c’est là qu’on a pris vraiment peur. Parce que c’étaient des attaques à la bombe et quand on allait sur place il y a avait une seconde explosion. Ces attentats ont tué beaucoup de mes collègues à l’AFP, à Radio Free Europe », témoigne Rateb.

« Tout le monde pensait que Kaboul allait tenir au moins six mois »

Pendant huit ans, la vie de Rateb Noori va être rythmée par le bruit des bombes. En novembre 2020, le point de non-retour va être franchi par les talibans. En l’espace de deux mois, ce n’est pas moins d’une dizaine de journalistes qui vont trouver la mort. « Chaque semaine, il y avait une attaque sur un journaliste. Le 7 novembre, un de mes amis les plus proches qui travaillait pour TOLOnews a été tué et le 12 novembre, ils ont tué Elyas Dayee qui couvrait la province du Helmand. » Pour continuer à travailler et assurer la sécurité des journalistes, la rédaction a fermé ses portes et les reporters ont commencé à travailler chez eux.

En 2017, le bureau de Rateb Noori a subi la déflagration d’une attaque kamikaze dans Kaboul. RATEB NOORI

Il faudra attendre le mois de mai 2021 pour constater la percée éclair des talibans. Les 365 districts tombent un à un. Si bien que le 9 juillet, le groupe islamiste revendique le contrôle de 85% du territoire afghan. Face à cette progression talibane, Rateb Noori décide de mettre à l’abri ses proches en leur cherchant des visas et des vols pour quitter le pays. « Le 15 août, je suis allé déposer mes parents à l’aéroport. Ce n’est qu’en rentrant à la maison, que mon beau-père m’a prévenu que les talibans venaient de pénétrer Kaboul. J’étais surpris parce que tout le monde pensait que Kaboul allait tenir au moins six mois. »

La stupeur laisse très vite place à la crainte et le journaliste accompagné de sa femme enceinte décide d’aller se réfugier chez sa belle-famille. « J’ai vraiment essayé de quitter le pays le plus vite possible. Les talibans m’avaient déjà menacé et tout le monde me connaissait parce qu’on avait eu une longue discussion pendant les accords de Doha. Je ne voulais pas risquer la vie de ma femme et de mon enfant. »

Devant l’aéroport de Kaboul, les Afghans se sont rués pour essayer de quitter le pays dès le 15 août. RATEB NOORI

L’arrivée des talibans dans la capitale afghane va marquer le début d’un long périple de dix jours pour Rateb Noori et sa femme. Dix jours pour quitter l’Afghanistan et « se reconstruire un futur ailleurs ». Dès les premières heures, l’évacuation des civils se met en place. Des amis français vont demander à Rateb de leur envoyer ses papiers d’identité et ceux de sa femme. « Je n’ai pas eu de réponses jusqu’au 19 août. Ce jour-là, mon bureau m’a demandé d’aller à l’aéroport. On est resté là-bas pendant une vingtaine d’heures à attendre un avion, c’était difficile d’arriver à se coordonner sur place. Le matin, on a décidé de rentrer à la maison parce que ma femme était très malade à cause de sa grossesse. »

Repartir à zéro

Les jours passent et les messages se font rares. « Deux places et un transport sécurisé à l’aéroport. » Cette demande, Rateb Noori l’effectue au quotidien dans l’attente d’un retour favorable. Le 21 août, il obtient son précieux sésame et fait cap avec sa femme en direction de l’aéroport de Kaboul. « On a attendu toute la nuit dans le bus et le lendemain matin on nous a annoncé que notre avion était prévu dans deux jours pour l’Ouganda ». L’attente avant de pouvoir quitter le pays, va se révéler problématique pour le jeune couple. « Sur place, on a rencontré Thomas, un diplomate français qui nous a conduits à une clinique américaine pour ma femme. Sur le trajet, je lui ai raconté que j’avais travaillé pour l’AFP et il s’est rappelé que mon nom était sur une liste pour partir en France. » Le 23 août, la longue attente prend fin. Rateb et sa femme quittent leur pays pour rejoindre Paris.

Une fois arrivé sur le sol parisien, le couple a été submergé par un mélange de deux émotions. « Deux personnes nous ont demandé comment on allait et on s’est mis à pleurer. Dans une main, on était enfin en sécurité, mais dans l’autre on a tout laissé derrière nous, notre famille, nos racines, notre culture », se remémore avec émotion Rateb. Conscient de sa chance, il n’oublie pas les journalistes qui continuent d’exercer en Afghanistan. « TOLOnews était le symbole des médias libres et impartiaux, mais maintenant je me sens vraiment triste parce que je sais que ce qu’il montre ce n’est pas la réalité sur le terrain ». Les talibans, malgré les apparences « n’ont pas changé » et ont replongé l’Afghanistan dans un climat de peur après vingt années d’espoir.

Tom Trichereau